« Avant de venir ici, je ne connaissais pas le no code… je n’avais même jamais entendu ce terme. » Ce sont bien les mots de Jean-Marc Jancovici, l’illustre ingénieur consultant en énergie et climat, engagé dans la lutte contre le dérèglement climatique, lors de sa conférence au NoCode Summit 2024.
Ces propos du fondateur du bilan carbone illustre bien la « révolution silencieuse qui commence à faire du bruit » dont nous vous parlions l’an dernier. Si Jean-Marc Jancovici est l’un des invités spéciaux du plus grand événement mondial dédié au no code, il y a bien une raison. Le no code connaît depuis quelques années un essor rapide. Et pour cause, selon Gartner, environ 70 % des nouvelles applications d’entreprise devraient être développées via des technologies no code ou low code d’ici 2025, contre seulement 25 % en 2020.
Le NoCode Summit 2024 était donc le rendez-vous incontournable de cette année pour comprendre ce qui se joue dans notre monde en pleine transformation numérique. Plusieurs enjeux ont été au cœur des discussions : l’accessibilité numérique, la cybersécurité, ou encore la Tech for Good. Revenons ensemble sur ce qu’est le no code (si Jean-Marc s’est posé la question, vous devez bien vous la poser aussi), comment et pourquoi ces outils se sont imposés comme des évidences pour les projets d’impact social et environnemental et quelles sont les limites de ces technologies.
Qu’est-ce que le no code ?
Le no code est une approche du développement numérique qui permet aux utilisateurs de créer des applications, des sites web, des plateformes et d’autres solutions logicielles sans écrire une seule ligne de code. Il repose sur des plateformes de conception intuitives, souvent basées sur le principe du « glisser-déposer ». Il rend possible la conception de projets numériques en quelques clics grâce à des blocs visuels configurables.
L’idée d’un développement sans code remonte aux logiciels de gestion de contenus et aux éditeurs HTML visuels des années 2000 – tels que WordPress ou Dreamweaver. Ces logiciels ont permis aux créateurs de sites web d’utiliser des interfaces graphiques pour concevoir et structurer leurs projets. Toutefois, c’est dans les années 2010 que l’approche no code a vraiment pris son essor, parallèlement à une pénurie croissante de développeurs. Cela a encouragé de nombreux acteurs du marché à proposer des solutions de développement simplifiées pour répondre rapidement aux besoins de transformation numérique des entreprises, notamment à travers des plateformes populaires comme Webflow, Bubble ou Airtable.
Le no code regroupe aujourd’hui une multitude d’outils permettant de créer des sites web, des applications, des plateformes, mais aussi des automatisations, des intégrations d’API, ou encore des bases de données administrables, sans connaissances techniques avancées. Cet engouement n’est donc pas le fruit du hasard : en simplifiant l’accès à la création numérique, le no code offre des avantages et ouvre de nouvelles perspectives aux organisations de toutes tailles et en particulier aux PME et aux associations à mission sociale.
No code et accessibilité : une démocratisation du numérique
Apprendre le no code : autonomiser les profils non-techniques
L’essor des outils no code et low code s’inscrit dans une volonté de démocratiser la technologie, en rendant le développement accessible à ceux qui ne maîtrisent pas les langages de programmation, un atout majeur pour les entrepreneurs, les créateurs de contenus et les équipes non techniques.
Erwan Kezzar, l’un des pionniers du mouvement no code en France et co-fondateur de Contournement et de NoCode for Good nous explique : « En 2018, on s’est dit – mon associé Alexis Kovalenko et moi-même – qu’il fallait former les gens au no code. Un manifeste a été écrit et Contournement a été créé. On ne voulait pas que ça reste un truc d’ingénieur, mais plutôt que ce soit accessible à tous. On voulait donner le pouvoir aux gens de se faire obéir de la machine et non l’inverse. Il y a une dimension de démocratisation dans le no code. C’est un moyen d’autonomiser les gens et de permettre à des profils non-techniques de mettre en place leurs propres solutions eux-mêmes. »
Formation au no code : des outils pédagogiques
Les outils no code sont des outils très visuels et concrets, designés pour être accessibles. Ils fonctionnent directement dans nos navigateurs. Il n’y a donc rien à héberger : pas besoin de louer un serveur ou de coder. Ces outils confèrent à leurs utilisateurs des compétences en gestion des données, mise en ligne d’interfaces (sites et applications), automatisations et maîtrise de l’IA générative.
Plus encore que des compétences techniques, le no code confère une base de méthodologie et de bonnes pratiques. Il apprend à organiser l’expression de ses besoins. Par exemple, Erwan Kezzar explique qu’après une journée de formation, « des personnes ayant un profil non technique comprennent ce qu’est une table de jonction parce que le no code rend ça réel, concret. Il lève la barrière de code qui est abstraite. De cette manière, la mise en pratique via ces outils est une forme d’acculturation. C’est en cela que le no code est quelque chose de très pédagogique. »
Les limites du no code
Le développement no code présente certaines limites : les applications web développées restent tributaires des fonctionnalités proposées par les plateformes et, sans ligne de code, il n’est pas toujours possible d’ajouter des personnalisations avancées. Les performances peuvent être moindres par rapport à celles des logiciels développés de manière traditionnelle, ce qui restreint son usage pour des applications nécessitant des calculs intensifs ou des fonctionnalités de haute complexité. Le low code, qui nécessite un besoin minimal de codage, permet de dépasser certaines de ces limites et d’accéder à des fonctionnalités plus complexes.
La demande de compétences en no code est aujourd’hui en plein boom, notamment à cause des coûts élevés et de la rareté des développeurs sur le marché du travail, et cette tendance est susceptible de croître avec l’accélération de la transformation numérique. Cependant, l’avenir du no code pourrait ne pas se limiter aux profils dédiés ; les entreprises tendront de plus en plus à en faire une compétence transversale, attendue de leurs collaborateurs, qu’ils soient chargés de projet, responsables marketing, ou au sein d’autres fonctions.
En somme, le no code sera sans doute un atout essentiel dans l’environnement professionnel quel que soit le domaine d’activité, mais il n’est pas certain qu’il assure, pour les « no codeurs » exclusifs, des parcours professionnels sur le long terme. « Tous les messages de type « il y a des dizaines de milliers d’emplois » ou « tu peux gagner 1000 euros par jour en freelance »… c’est faux ! », explique le fondateur de Contournement. « Ça reste un secteur dans lequel il faut se donner les moyens et qui est saturé de jeunes talents. Il y a bien sûr une chance de trouver un poste, mais la concurrence est rude. »
Le no code : accélérateur de projets à impact positif
Le no code/ low code inscrit dans le mouvement Tech for Good
La Tech for Good désigne un mouvement qui utilise les technologies numériques pour répondre à des enjeux sociaux et environnementaux, en promouvant des initiatives ayant un impact positif sur la société. Ce concept incarne une approche éthique et responsable de la technologie, où les innovations ne visent pas seulement la rentabilité, mais également le bien-être collectif.
En permettant à un plus large éventail d’acteurs, y compris les organisations à but non lucratif et les entrepreneurs sociaux, de développer rapidement et efficacement des solutions numériques adaptées à leurs besoins, le no code s’inscrit parfaitement dans le mouvement Tech for Good. C’est pourquoi ce mouvement était mis à l’honneur lors de l’événement NoCode Summit 2024 avec la table ronde « IA et no-code : accélérateurs de projets à impact positif ».
Le no code élimine les barrières techniques à la création d’applications et facilite l’accès aux outils nécessaires pour mettre en œuvre des projets à impact, qu’il s’agisse de solutions pour l’éducation, la santé, l’environnement ou l’inclusion sociale. De cette manière, il s’impose comme un levier essentiel pour démocratiser l’innovation et favoriser la transformation positive de la société. Appréciée pour sa flexibilité et sa rapidité, cette technologie permet aux entreprises et aux associations de concrétiser leurs idées sans gros budget ou sans attendre les longs délais souvent associés aux projets de développement.
Exemples d’utilisation du no code comme levier d’innovation solidaire
Développement no code et soutien environnemental
L’accélérateur Tech for Good, Share it, propose des programmes d’accompagnement gratuits aux entrepreneurs sociaux dans la réalisation de projets digitaux. En particulier, le no code y est utilisé comme levier de soutien environnemental. Par exemple, en accompagnant l’association Des enfants et des arbres avec la mise en place, grâce au no code, d’une plateforme unique réunissant les supports pédagogiques, administratifs et opérationnels, Share it a permis à l’association de multiplier par 10 le nombre de haies plantées par les jeunes sur les fermes des agriculteurs. En soutenant des opérations de terrain, le no code se positionne ainsi comme un accélérateur de productivité et un levier d’innovation pour des projets à impact.
Les logiciels no code pour optimiser le travail des équipes
Victoria Mandefield, fondatrice de Solinum, a également partagé son expérience lors du NoCode Summit 2024, avec Soliguide, plateforme visant à aider les personnes en situation de précarité à trouver les ressources dont elles ont besoin. « Les outils no code nous ont permis d’optimiser le temps des équipes. Nous avons automatisé les onboarding, offboarding, le suivi des financements, les actions répétitives, l’administratif et la comptabilité. » précise-t-elle.
Ce gain de temps s’accompagne d’une flexibilité accrue, rendant les projets plus autonomes et moins dépendants de ressources techniques externes. Surtout, l’entrepreneuse souligne l’avantage d’interconnexion de ces outils : « Aujourd’hui, Soliguide s’étend à l’international, notamment en Catalogne. On a donc rajouté Softr sur Airtable, et Weglot par dessus pour traduire en plusieurs langues dont le catalan. C’est ce que j’aime avec le no code : on peut tout interconnecter ! »
Une application no code comme levier de mobilisation solidaire
Autre illustration de l’impact du no code dans les projets à dimension sociale et solidaire. En 2020, dans le contexte d’urgence du premier confinement, Erwan Kezzar réalisait sa première application en no code de manière bénévole pour l’association Banlieues Santé, qui avait besoin de diffuser les informations sanitaires et d’organiser des livraisons de repas. « On a fait une application mobile sans une seule ligne de code avec les outils Glide et Airtable pour gérer tout le système de livraisons. En cinq minutes, elle était prête » confie-t-il. Bilan : l’association a pu rapidement décupler son impact sur le terrain.
En 2021, Erwan rencontre d’autres profils désireux d’aider des projets solidaires ou environnementaux grâce à la puissance du no-code. Ils co-fondent ensemble NoCode for Good, qui propose une plateforme de mise en relation entre projets positifs et no-codeurs qui veulent les aider. L’association organise également des hackathons solidaires et met en place des actions de sensibilisation sur le no code et l’IA générative à destination des associations et des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire.
No code : entre enjeux environnementaux et potentiel inclusif
Des outils intrinsèquement polluants
Bien que les outils no code représentent une avancée prometteuse pour soutenir des projets sociaux et solidaires, il est important de nuancer cette vision en considérant l’impact environnemental des outils digitaux. En effet, comme le rappelle Jean-Marc Jancovici, « le secteur numérique, dont fait partie le no code, est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un chiffre qui dépasse même les émissions de la France. La moitié de cette pollution provient de la consommation électrique, tandis que l’autre moitié est liée à la fabrication des équipements. »
Par conséquent, même si le no code peut être utilisé pour des initiatives ayant un impact positif sur l’environnement, il reste intégré dans un écosystème numérique global qui génère des externalités négatives. Pour le fondateur du bilan carbone, « on ne peut pas considérer le digital comme une seule chose ». Il existe, selon lui, deux catégories : d’une part, les services tels que les plateformes de streaming ou les logiciels industriels, qui n’apportent aucune valeur environnementale; et d’autre part, en proportion minime, des plateformes, applications ou sites, qui peuvent servir à baisser la pression environnementale.
Le no code, comme tout autre outil technologique, n’est pas intrinsèquement porteur d’un impact positif. Bien que cette approche facilite la création d’applications et de plateformes à moindre coût, son empreinte environnementale reste liée à l’écosystème numérique plus large, qui est responsable d’une part significative des émissions de gaz à effet de serre. Son effet dépend donc largement des choix et des intentions de ceux qui l’utilisent. C’est l’usage que l’on en fait, et les objectifs que l’on poursuit, qui détermineront s’il devient un vecteur de changement positif ou non.
Un levier potentiel de féminisation des métiers du numérique
Les femmes occupaient seulement 23 % des emplois dans les professions numériques en 2022, selon l’INSEE. D’après le baromètre GenderScan, paru en février 2024, deux fois plus d’apprenantes que d’apprenants dans le numérique déclarent avoir été découragées d’aller vers ce domaine, notamment pour le motif qu’il ne s’agirait pas de « métiers de femmes » (pour 33 % d’entre elles). Ces chiffres témoignent de la persistance des stéréotypes et de leur impact sur l’orientation des femmes.
Face à ce constat, l’association Femmes@numérique, qui était présente au NoCode Summit, évoque trois leviers de féminisation des métiers du numérique : l’attractivité des métiers, la sensibilisation sur les biais cognitifs liés à la représentation de ces métiers et la représentation des femmes, trop souvent invisibilisées. Pour Peggy Vicomte, Directrice Générale de l’association Femmes@numérique, « le no code peut être un levier de féminisation des métiers du numérique. Aujourd’hui, l’un des freins dans l’orientation des jeunes femmes est la partie technique, la manipulation : les petits garçons assemblent des legos tandis que les petites filles jouent à la poupée. Or, il faudrait qu’elle manipule dès le plus jeune âge pour aller dans la technique. Les études montrent que les filles accordent davantage de sens à l’objectif final qu’à l’outil utilisé. Le no code peut donc contribuer à effacer ce frein. »
Attention, il ne s’agit pas ici de laisser le code et la technicité aux hommes, mais bien de conférer une chance égale aux femmes d’évoluer et d’entreprendre dans ce milieu quelles que soient les inégalités dont elles ont été victimes dès le berceau. Là encore le no code n’est pas intrinsèquement porteur d’un impact positif, mais il peut être utilisé comme tel.
Perspectives et opportunités futures du no code
En démocratisant l’accès aux outils digitaux, le no code transforme les organisations et leur donne la capacité de se développer de manière autonome. Ce mouvement s’inscrit dans une tendance similaire à celle de l’intelligence artificielle, qui permet aux non-techniciens d’exploiter des technologies avancées pour innover et renforcer leur résilience dans un monde digitalisé.
Cependant, pour que le no code devienne un levier durable, il doit être associé à des pratiques de cybersécurité strictes et à une réflexion continue sur l’empreinte écologique du numérique. La responsabilisation des utilisateurs et la vigilance quant à l’impact de chaque application sont donc essentielles. En favorisant une adoption technologique responsable, le no code peut devenir un pilier de l’innovation numérique au service de l’économie sociale et solidaire, permettant aux organisations de prospérer et de répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux actuels.