L’IA s’est invitée dans les outils du quotidien. Elle génère, elle automatise, elle optimise. Dans ce contexte, une nouvelle approche de la création de solutions digitales commence à émerger : le vibe coding. À mi-chemin entre création assistée par IA, prototypage no-code et improvisation intuitive, il séduit de plus en plus de profils marketing. Alors, simple buzzword ou opportunité à saisir ? On a mené l’enquête.
On l’a vu passer, ici ou là, dans les fils LinkedIn, les posts sur X, les articles de veille. Son nom peut intriguer ou faire sourire, quoi qu’il en soit, il revient de plus en plus dans les discussions tournées création et marketing. Le vibe coding, c’est une technique de programmation logicielle qui se veut fluide, simple et accessible, à la croisée de l’idéation créative, du prototypage, des outils no/low code et de l’intelligence artificielle. À l’instar du prompt-to-image ou du prompt-to-text, c’est une manière de concevoir des expériences digitales, comme des sites interactifs, à partir d’instructions en langage naturel, sans compétence particulière en code ni besoin d’intervention d’équipe technique.
Le concept du vibe coding émerge, mais reste flou. Alors nous avons voulu comprendre ce que cela recouvre vraiment. Pratique émergente avec un bel avenir ou tendance de surface ? Opportunité à saisir ou miroir aux alouettes ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé ceux qui le pratiquent au quotidien : développeur, professionnels d’agence, représentant de plateforme de création. Que permet réellement le vibe coding ? Pour qui, pour quoi, et avec quelles limites ? Les réponses, avec les éclairages de Jorge Bestard (Canva’s EMEA Head of Sales and Success), Mickael Bourgois (Product Builder Web & IA et fondateur de NoCode Bento), ansi qu’Hadi El Haber et Anh Tuan Bui (respectivement Results-driven Senior Digital Project Manager & Product Owner et Creative AI Consultant chez Ogilvy Paris).

Créer sans coder : l’essor des outils no-code / low-code et de l’IA
Créer un site ou une application sans être un professionnel du code n’est pas nouveau. Les possibilités de concevoir des produits digitaux avec une maîtrise partielle (voire inexistante) des langages informatiques se sont élargies ces dernières années avec l’essor du no-code et du low-code. Le premier permet de construire des interfaces via des blocs visuels, le second autorise l’ajout de scripts personnalisés pour gagner en souplesse.
Démocratisant l’accès à la création digitale, ces pratiques ont suscité un fort engouement et ont progressivement gagné en popularité dans les milieux professionnels. Pourquoi ? Parce qu’elles répondent à plusieurs réalités. D’abord, elles pallieraient une certaine « pénurie de développeurs », estimée à plus de 85 millions de postes non pourvus d’ici à 2030 par le U.S. Labor Statistics. Ensuite, des enjeux d’autonomie, de temps et de budget. Côté entreprises, les équipes, notamment marketing, doivent s’adapter pour réduire encore et toujours le time-to-market. Et les indépendants qui ont besoin d’un site web (indispensable aujourd’hui) n’ont pas toujours les moyens nécessaires pour externaliser ces projets. C’est de cette convergence d’enjeux qu’est né le concept de « citizen development » : permettre à des profils non techniques de concevoir eux-mêmes des outils métiers et solutions digitales.
Et puis, il y a eu l’IA… L’IA et sa démocratisation. L’IA et son entrée fracassante ! Son mariage avec les outils de no-code / low-code ouvre la voie à de nouvelles pratiques, encore plus fluides et instinctives. C’est dans ce contexte-là qu’émerge le vibe coding.

Qu’est-ce que le vibe coding ?
Si le concept s’est développé (sans mauvais jeu de mots) dans les sphères tech sans dénomination précise, c’est Andrej Karpathy, cofondateur d’OpenAI, ancien de Tesla et figure de proue de l’IA, qui en a popularisé le nom. Début 2025, il écrit sur X : « Il y a une nouvelle manière de coder que j’appelle le vibe coding, où l’on se laisse complètement porter par les vibes, on embrasse l’effet exponentiel, et on oublie que le code existe. »
There’s a new kind of coding I call “vibe coding”, where you fully give in to the vibes, embrace exponentials, and forget that the code even exists. It’s possible because the LLMs (e.g. Cursor Composer w Sonnet) are getting too good. Also I just talk to Composer with SuperWhisper…
— Andrej Karpathy (@karpathy) February 2, 2025
Quelques éléments de définition
Le vibe coding est donc une nouvelle façon de programmer sans programmer, de coder sans coder. Plus encore : c’est une manière de co-créer avec l’IA, de décrire ce que l’on veut voir apparaître, de donner une intention, un mood, une ambiance (une vibe !), puis de la laisser générer le code et la guider dans les ajustements. On supervise, affine à chaque étape, en « chattant » avec son assistant IA aussi simplement qu’on le ferait avec un collègue.
Si le concept a déjà sa page Wikipédia, il ne semble pas (encore) exister de définition figée du vibe coding. Mais l’on peut déjà y voir une nouvelle posture, une nouvelle approche de la création, rendue possible par la maturité des outils IA.
Anh Tuan Bui (Creative AI Consultant chez Ogilvy Paris) résume bien cette évolution : « C’est exactement comme ce qu’on a vu avec la génération d’images grâce à Midjourney. Avant, on tapait une idée pour créer une image. Aujourd’hui, c’est pareil avec le vibe coding. Ce n’est plus une suite de bouts de code réservée aux développeurs : c’est devenu compréhensible, exploitable, actionnable, même pour ceux qui ne savent pas coder. »
Ainsi, sur des plateformes comme Replit, Cursor, Bolt.new ou Lovable, on voit naître des prototypes fonctionnels (tels que des sites web, des expériences interactives, outils ou MVPs) par des équipes réduites, parfois par des « non-devs », en quelques jours, voire quelques heures à peine.

À ne pas confondre : coder avec l’IA vs vibe coding
Même si les notions sont très proches, vibe coder et coder avec l’IA, ce n’est pas la même chose.
Coder avec l’IA, c’est ce que font de plus en plus de développeurs. Ils utilisent des outils comme Copilot, ChatGPT ou Cursor pour générer, corriger ou compléter du code. Cela reste une approche technique, fonctionnelle, orientée exécution, où l’IA joue le rôle d’un copilote intelligent. Le développeur garde la main, orchestre, supervise, débugue. Mickael Bourgois (Product Builder Web & IA et fondateur de NoCode Bento), que nous avons interrogé sur le sujet, l’explique très bien : « Cela reste du code… écrit par une IA, mais sous la supervision d’un dev. Le rôle change : le développeur devient product engineer. Il ne code plus tout, il conçoit, il orchestre. » Il conclut : « On dit souvent : ‘Demain, 90 % du code sera écrit par l’IA’. Mais dans certaines boîtes, c’est déjà presque une réalité. »
Le vibe coding, lui, change la posture. Il ne s’agit plus d’accélérer une tâche, mais de créer. On décrit une intention, un usage, une ambiance, etc. Et l’IA propose un livrable. « Le vibe coding comme on l’entend aujourd’hui, c’est pouvoir développer une application quasiment à la voix. En promptant, l’IA sort quelque chose de testable très rapidement. On teste, on itère… C’est idéal pour ceux qui n’ont ni compétences en code, ni en no-code, mais qui veulent concrétiser une idée. »
Le code with AI est donc plus proche d’un changement de posture métier dans la tech, là où le vibe coding est une ouverture créative pour les non experts, qui veulent prototyper sans barrière technique.
Le vibe coding : un coup d’accélérateur à l’adoption de l’IA ?
L’IA générative a déjà décuplé les capacités de création. Jorge Bestards, EMEA Heads of Sales & Success chez Canva, nous a d’ailleurs indiqué que « notre dernier rapport Marketing & IA révèle que 79 % des responsables marketing français rapportent un gain de temps hebdomadaire de quatre heures, avec une personne sur cinq qui gagnerait même plus de dix heures de travail par semaine. Et 77 % estiment que l’IA générative booste la créativité de leurs équipes. » Et ces derniers mois, un nouveau cap a été franchi : on ne parle plus seulement d’IA capables de produire du contenu à partir d’un prompt, mais d’agents IA (ou IA agentique) plus autonomes, plus connectés, capables d’enchaîner des actions sans supervision constante. Ce ne sont plus des IA qui répondent, mais des IA qui exécutent.
« Dans nos métiers, côté création, on manque parfois d’outils pour matérialiser une intuition. Là, on peut la tester, la modeler, la faire évoluer, sans attendre qu’une équipe entière se libère. »
Dans les entreprises, l’intelligence artificielle est perçue comme un levier stratégique. Pour autant, le Baromètre de l’IA : vision et enjeux des décideurs (Opinion Way pour Salesforce), relève que le premier frein à son adoption est le manque de compétences en interne (40% des répondants). C’est là que le vibe coding peut jouer un rôle intéressant. Comme le résume Anh Tuan Bui (Ogilvy Paris) : « Dans nos métiers, côté création, on manque parfois d’outils pour matérialiser une intuition. Là, on peut la tester, la modeler, la faire évoluer, sans attendre qu’une équipe entière se libère. »
Cette approche conversationnelle de la création de solutions digitales, plus directe et intuitive, pourrait faciliter une première prise en main de l’IA, notamment dans les métiers marketing. Bien sûr, elle ne remplace ni ne représente pas une stratégie d’IA à part entière, mais peut offrir un point d’entrée, là où certains outils peuvent sembler trop complexes ou techniques. Deloitte le souligne : les usages de l’IA se multiplient déjà hors des services IT, notamment en marketing et en relation client. Le vibe coding, en tant qu’espace d’expérimentation concret, expressif et même ludique, peut s’inscrire dans cette dynamique, à condition d’être accompagné d’une vision stratégique et de bonnes pratiques.
Vibe coding et marketing : un levier d’agilité créative ?
C’est donc assez logiquement que le vibe coding commence à trouver sa place dans les métiers de la communication, du contenu et du marketing. Après tout, si une simple instruction permet déjà de générer un site, une interface ou un prototype fonctionnel, pourquoi ne pas s’en saisir ? Et pourquoi ne pas appliquer cela à la création d’une landing page, d’un visuel social media, d’un mini-site événementiel ou même d’un jeu-concours ?
Le marketing regorge déjà d’outils : CMS, CRM, plateformes de design, d’automatisation, de reporting… Le vibe coding ne viendrait pas les remplacer, mais il peut offrir une nouvelle manière d’explorer, de se projeter, ou même d’exprimer ses idées. Et il peut s’avérer bien pratique et utile quand les délais sont courts et les budgets limités.
« Le vibe coding, c’est en quelque sorte une façon de supprimer les intermédiaires pour passer d’une idée à un prototype ou un produit. »
Prenons un exemple : une entreprise souhaite revoir son site institutionnel. Plutôt que de lancer immédiatement un appel d’offres, l’équipe marketing peut utiliser le vibe coding pour générer une première maquette interactive. Elle décrit les besoins à l’IA, ajuste l’arborescence, les blocs de contenu ou les éléments graphiques, et obtient un prototype fonctionnel en quelques jours. De quoi valider les grandes lignes et affiner la direction créative, avant même d’engager un développeur ou une agence.
Pour les marketeurs, cela ne change donc pas tout, mais ça peut faciliter les choses : itérer plus vite, tester des concepts sans lourdeur opérationnelle. De quoi, in fine, gagner en performance et efficacité. On ne parle pas de revoir complètement les workflows actuels, mais d’ajouter une corde à l’arc des équipes, pour gagner en agilité. Anh Tuan (Ogilvy Paris), nous a précisé que « Le vibe coding, c’est en quelque sorte une façon de supprimer les intermédiaires pour passer d’une idée à un prototype ou un produit. Avant, il fallait toute une chaîne de métiers (PO, designers, développeurs…). Aujourd’hui, on peut prototyper très vite et tester plus librement des concepts, surtout du côté créa, où les outils sont moins développés que côté média. »
Ça donne quoi sur le terrain ? Exemple des meilleures pratiques
Alors non, ça ne révolutionne pas tout, mais ça peut être utilisé dans de nombreux cas, par exemple :
- Générer un prototype ainsi qu’une présentation complète, pour proposer un projet à un client.
- Créer des jeux et des outils interactifs, comme des quiz, des simulateurs, des mini jeux ou expériences gamifiées à embed sur un site par exemple).
- Générer des visuels pour ads ou social media directement adaptés à chaque plateforme en se concentrant sur l’intention et le message plutôt que l’exécution technique.
- Cartographier dynamiquement des segments de clientèle.
- Créer une landing page dans les couleurs et le ton de votre marque, ou encore des sites vitrines ou mini-sites événementiels.
- Générer un CRM allégé qui scrape des contacts et imagine des relances. Cette manœuvre est un peu plus technique, mais des plateformes comme Lovable ou Cursor expliquent et accompagnent chaque étape.
- Etc.
En bref, le champ des possibles est ouvert : « Que ce soit une équipe qui conçoit un widget léger pour fluidifier son flux de travail, ou une petite entreprise qui imagine une expérience de marque interactive pour un salon professionnel, des choses qui semblaient hors de portée deviennent accessibles. » Nous précise Jorge Bestard, à propos de la fonction Code de Canva.
On a testé le concept : créer gratuitement un site en moins d’une heure
Pour mieux comprendre la prise en main et le potentiel, on a mis les mains dans le cambouis. Objectif : transformer notre livre blanc des meilleures campagnes social media 2024 en site interactif, dans notre ligne édito, avec notre charte graphique, en moins d’une heure. Et sans rien payer, pour démontrer que chaque budget peut tenter l’expérience. Pour ce faire, nous avons opté pour Lovable. Résultat ? En 50 minutes chrono, on avait une première version interactive et brandée de notre contenu. Sans toucher au code, sans compétence technique, sans rien d’autre qu’un bon contenu de base et de quelques prompts pour orienter l’assistant IA dans la création.

D’autres exemples d’application vibe coding qui parlent
Therese Waechter, fondatrice de la boutique en ligne Otto’s Grotto, a partagé son expérience dans Business Insider. Graphiste de formation, elle vend des stickers et objets personnalisés sur Etsy et Shopify. Le vibe coding lui a permis d’améliorer elle-même son site sans faire appel à un développeur. Ajout de catalogue, fiches produits customisées, gestion de précommandes… Elle estime que ces optimisations ont renforcé la confiance dans sa marque, en particulier auprès de ses clients professionnels. C’est même, selon elle, une des raisons pour lesquelles elle a pu doubler son chiffre d’affaires en un an.
Autre exemple parlant : Billy Howell, un développeur freelance, a raconté dans un podcast animé par Greg Isenberg comment il s’est mis à faire jusqu’à 750 dollars par jour en « vibe codant » des applications à la demande. Son secret ? Il scanne d’abord les offres sur Upwork, repère un besoin, puis construit un MVP avec Replit et ChatGPT. Puis, il crée un petit produit fonctionnel, montre la démo au prospect… Et si ça marche, facture entre 500 et 2500 dollars le prototype. Il aurait déjà vendu plus de 40 projets ! Une preuve de plus qu’il n’y a pas besoin d’être ingénieur pour expérimenter, produire, tester et monétiser des idées.
Canva Code : quand le design devient exécutable
Ces solutions gagnent en popularité, et les plateformes de création suivent la tendance. Canva, par exemple, a dévoilé cette année lors de l’événement Canva Create 2025, l’outil Canva Code. L’idée est simple : intégrée nativement à la suite créative de Canva, cette fonctionnalité permet aux utilisateurs de créer des expériences interactives (quiz, widgets, mini-apps) directement à partir de prompts en langage naturel. « Canva a évolué d’un simple outil de design vers une plateforme complète de communication visuelle, permettant à des équipes dans les RH, les ventes, le marketing et bien d’autres domaines de collaborer, de rester fidèles à leur image de marque, et de communiquer de manière visuelle », nous explique Jorge Bestard, Head of Sales and Success de Canva EMEA, que nous avons questionné à ce sujet.

Avec Canva Code, la plateforme franchit une nouvelle étape : celle de la création fonctionnelle, sans écrire une ligne de code. Une extension logique pour une entreprise qui a toujours cherché à démocratiser la création, mais qui pousse ici un cran plus loin. « Les utilisateurs peuvent créer des expériences personnalisées et interactives, comme des quiz, des formulaires ou d’autres éléments dynamiques, en utilisant de simples instructions, le tout sans quitter leur environnement de travail Canva. Cela étend le champ des possibles en design, en transformant des visuels statiques en outils fonctionnels et engageants. », ajoute-t-il.
« Ce qui m’enthousiasme le plus, c’est de voir ce que des personnes sans formation en code vont réussir à créer, et les problèmes qu’elles vont choisir de résoudre. »
Cette logique s’inscrit dans une volonté plus large de répondre à l’évolution des usages et des attentes dans le monde du travail. « Nous construisons des outils pour un futur du travail toujours plus interactif, dynamique et visuellement orienté. La demande pour des outils permettant une communication plus rapide, plus riche et plus flexible n’a jamais été aussi forte et Canva Code est une nouvelle étape dans la concrétisation de cette vision. »
Derrière Canva Code, l’objectif est aussi de réduire les frictions à l’expérimentation, en permettant à tout utilisateur, quel que soit son niveau technique, de prototyper une idée et de la tester rapidement. « Ce qui m’enthousiasme le plus, c’est de voir ce que des personnes sans formation en code vont réussir à créer, et les problèmes qu’elles vont choisir de résoudre. »

Et en agence ? L’exemple d’Ogilvy Paris
Si le vibe coding et l’IA permettent aux marketeurs de produire plus vite, certaines agences n’attendent pas que la vague passe. Chez Ogilvy Paris, la transformation IA est déjà bien engagée. Hadi El Aber (Results-driven Senior Digital Project Manager & Product Owner) et Anh Tuan Bui (Creative AI Consultant) travaillent tous deux au sein d’Ogilvy AI.Lab Paris, un centre d’expertise interne rattaché à Ogilvy Global. « Ce n’est pas une pression, mais un challenge. Comme à l’époque de la digitalisation, il faut adapter les équipes, former, intégrer ces outils au quotidien. » Nous indique Hadi.
Depuis 2024, Ogilvy et WPP ont initié cette transformation, avec WPP Open notamment, qui centralise différents agents IA, modèles de langage et outils spécialisés, accessibles aux collaborateurs, à l’échelle locale comme mondiale. « L’IA arrive au bon moment », poursuit Anh Tuan. « Aujourd’hui, les campagnes sont digital-first, avec une explosion de formats et d’adaptations en conséquence. L’IA nous aide à absorber cette charge, à fluidifier les workflows sans sacrifier la qualité. »
« Chez Ogilvy, on y voit un vrai potentiel en phase d’idéation : cela permet de prototyper très rapidement. »
C’est dans ce contexte que le vibe coding se présente comme un levier opérationnel concret. « Chez Ogilvy, on y voit un vrai potentiel en phase d’idéation : cela permet de prototyper très rapidement, ce qui est précieux », explique Hadi. Il poursuit en détaillant les quatre grands usages identifiés en interne :
- En support technique : face à des demandes clients complexes, le vibe coding facilite les échanges avec les équipes techniques, même sans background dev. Anh Tuan précise : « Il y a souvent un gap entre ce que le client veut et ce que le développeur comprend. Le vibe coding permet de visualiser rapidement ce que le client a en tête, de valider cette vision en amont, et ainsi de briefer les équipes techniques avec beaucoup plus de clarté. On évite l’effet téléphone arabe, où chacun réinterprète. »
- En prototypage rapide pour les pitchs : « On a pu créer en deux jours une démo fonctionnelle pour un client sans faire appel à une équipe complète. » Nous informent-ils.
- En tant qu’outil d’apprentissage : selon Hadi, « même pour des profils techniques, ça devient un coach, un copilote. »
- Et enfin, pour la création de MVPs en petite équipe, sans attendre de validation ou de ressources externes.
Et Hadi complète : « Ça peut aussi aider les développeurs à être plus créatifs dans leur domaine, à sortir de certaines limites. Moi, en six ans d’expérience, il m’est arrivé d’être bloqué sur des projets plus créatifs à cause de contraintes techniques. L’IA ouvre de nouvelles possibilités, parfois même des solutions ou des idées techniques qu’on n’avait tout simplement pas en tête. »

Quelques outils pour « viber »
Pour mettre en œuvre le vibe coding dans le cadre d’une stratégie marketing, voici quelques outils.
Outils fonctionnant depuis un navigateur
La majorité des outils fonctionnent directement depuis un navigateur. C’est ce qui en fait leur force : pas besoin d’installer quoi que ce soit, tout démarre par une simple idée.
- Bolt.new est une plateforme tout-en-un pour créer, éditer et déployer des apps web et mobile full-stack à partir d’un prompt.
- Lovable se présente comme votre super-ingénieur full stack personnel : vous expliquez votre idée, il génère une app fonctionnelle en retour. C’est l’un des plus poussés sur la logique produit.
- v0 by Vercel vous aide à générer une interface front-end NextJS en quelques lignes. Parfait pour une landing page ou un prototype interactif.
- Firebase Studio, récemment dévoilé par Google, pousse encore plus loin : cette interface agentique peut générer à la fois le front-end et le back-end, avec des standards ouverts et des connexions automatiques à d’autres outils.
- Replit, enfin, reste une référence. Avec ses agents intégrés, vous pouvez juste décrire votre projet, laisser l’IA coder, tester dans l’environnement, et itérer.
IDE et éditeurs de code assistés par IA
Pour celles et ceux qui veulent garder un peu plus de contrôle ou affiner ce que l’IA produit, les éditeurs de code nouvelle génération viennent combiner intelligence et liberté.
- Cursor est un éditeur ultra-réactif qui facilite la collaboration avec une IA intégrée : vous codez, elle assiste, corrige, explique, anticipe. Un peu comme si vous codiez avec un copilote.
- Windsurf Editor (par Codeium) pousse l’expérience plus loin, en fluidifiant autant que faire se peut la co-écriture entre humain et machine.
- Continue.dev est une solution open source qui permet de créer ses propres assistants de code IA, à intégrer dans votre éditeur préféré. Une approche modulable et personnalisable, utile pour les projets complexes.

Créer dans des environnements familiers
Pas besoin de repartir de zéro : certaines solutions vous permettent d’intégrer l’IA directement dans les outils que vous utilisez déjà.
- Canva Code : Nouvelle brique du géant du design, Canva Code permet aux créatifs non-développeurs de générer des composants interactifs, des outils ou des mini-apps dans leur écosystème. Pratique pour enrichir une campagne ou un site sans quitter Canva.
- Claude Code (Anthropic) vous aide à comprendre, organiser et automatiser votre code, tout en dialoguant en langage naturel.
- OpenAI Codex CLI (ChatGPT) : il vous permet de lancer des tests, de naviguer dans votre projet ou d’écrire du code à la voix, de manière simple et rapide.
On peut également vibe coder depuis son téléphone :
- SteerCode : Vibe Coding : permet de créer des apps, sites webs ou jeux directement depuis votre smartphone. Intéressant de noter que l’application s’adapte à votre niveau de connaissance en code.
- AppSmith : permet de créer des apps ex nihilo ou depuis des modèles préétablis (depuis une app de fitness, un jeu, suivi de taches, etc.).
- Sticky : celui-ci n’est pas nécessairement utile en milieu professionnel mais a eu le don de nous faire sourire. Il permet de créer des jeux mobiles (idem, en partant de rien ou d’un template), de le personnaliser puis de le partager pour jouer avec ses proches.
Extensions pour environnements existants
- GitHub Copilot reste un classique. Désormais enrichi de fonctionnalités agentiques, il peut non seulement compléter votre code, mais aussi effectuer des actions, générer des scripts ou gérer des tâches entières via des requêtes en langage naturel.

Limites et zones grises : l’envers des vibes
Nous l’avons donc plus ou moins défini, avec le vibe coding, l’IA exécute, mais c’est l’humain qui donne la vibe, l’élan, la direction, l’intention. Car encore faut-il ne pas tout déléguer. Ce n’est ni une révolution, ni un outil magique. C’est un équilibre à trouver. Et comme toute pratique en émergence, celle-ci charrie son lot de limites, de défis, de zones grises et de risques à anticiper et à prendre en compte. Faisons le point.
Un besoin d’acculturation et de compétences
Si le vibe coding est séduisant pour prototyper rapidement, il n’est pas exempt d’erreurs. L’IA peut générer du code instable ou buggué, et peiner à le corriger de manière autonome. Selon Hadi El Haber : « Aujourd’hui, l’IA peut faire une grande partie du travail, mais l’expertise en code reste nécessaire. » Par ailleurs, selon Mickael Bourgois : « si les outils actuels permettent de gagner en productivité, il ne faut pas oublier qu’il faut aussi savoir intégrer ces outils entre eux, contrôler la qualité de ce qui est produit. »
Outre les connaissances techniques, il s’agit aussi de bien savoir visualiser et exprimer ses idées. Hadi insiste : « Ce n’est pas magique. Il faut savoir formuler la bonne demande. Tout le monde peut chatter, mais sans prompt skills, les résultats sont aléatoires. »
Même pour les non-techs, une acculturation est nécessaire : designers, PO, UX… doivent comprendre la valeur ajoutée, les usages et les limites du vibe coding pour en tirer pleinement parti. Comme le résume Anh Tuan Bui : « Si les équipes ne comprennent pas ce qu’on peut faire avec l’IA – que ce soit sur l’image, le texte ou le code – elles ne l’utiliseront jamais vraiment. »

Regard critique : un risque d’uniformisation créative ?
Quand tout le monde utilise les mêmes outils, les mêmes modèles, les mêmes prompts… le risque, c’est l’uniformisation. Le danger ? Des produits qui se ressemblent, un imaginaire marketing appauvri, et des marques qui peinent à se différencier. La clé : entraîner l’IA pour en faire un levier de différenciation, et non de standardisation.
Comme le souligne Anh Tuan Bui (Ogilvy Paris) : « Chaque codeur a un style, une manière d’organiser sa pensée. Si on prend le temps de customiser l’outil, de lui donner des références de ce qu’on a déjà produit, alors il peut apprendre ce style, exactement comme on le fait déjà avec les IA textuelles ou visuelles. C’est une manière d’éviter l’effet standardisation. »
Droit d’auteur & créations IA : flou artistique
Ce conseil vaut autant pour la singularité du projet que pour sa protection juridique. Car lorsqu’il s’agit de génération de contenu par IA, une question se pose : qui détient les droits ? Si la réponse varie selon les pays, une constante émerge : sans intervention humaine significative, les créations générées par IA ne peuvent pas bénéficier d’une vraie protection. Sauf si l’humain a joué un rôle actif (modifications, choix, prompts détaillés, etc.)
Enjeux de sécurité et confidentialité des données
Utiliser Lovable, Replit ou d’autres plateformes de vibe coding implique souvent d’envoyer des données à des services tiers. D’où une autre question : que deviennent ces données ? Sont-elles stockées, exploitées, revendues ? Le RGPD impose des garde-fous, mais la vigilance reste de mise. Par ailleurs, des API mal sécurisées peuvent exposer à des fuites de données, des attaques ou du scraping, et nécessitent des mesures de sécurité adaptées.

Dépendance technologique
Pannes d’API, changements de tarifications, verrous propriétaires… Miser sur des outils externes comporte des risques. La dépendance aux API peut vite devenir un casse-tête opérationnel. Mickael prévient : « Les outils sont puissants, mais ils évoluent sans arrêt. Il faut rester en alerte sur les mises à jour, gérer les erreurs, suivre la maintenance. »
Des coûts cachés ?
Même pour un usage « léger » les frais peuvent grimper vite : « Etant ProductBuilder NoCode/LowCode de base, je commence depuis peu de temps à jouer avec les outils de type vibe coding. Pour moi, ils tiennent leur promesse si on arrive à les suivre de près, à les orienter et à contrôler ce qui est généré. Mais attention au coût ! J’ai commencé sur Lovable avec 20 € par mois, puis 50 €, puis j’ai dû exporter et basculer vers un IDE. » Raconte Mickael. « Les coûts cachés à prévoir sont les coups d’infra, les frais de serveur, le temps nécessaire pour maintenir et mettre à jour, le coût d’acquisition client ou le marketing ».
Les défis du passage à l’échelle
Créer un prototype avec du vibe coding, c’est rapide et souvent bluffant. Mais transformer ce prototype en produit stable, sécurisé et évolutif ? C’est une autre histoire. « Pour des projets complexes ou à grande échelle – surtout avec nos clients comme L’Oréal, Nestlé ou Coca – les limites techniques, sécuritaires et légales sont encore importantes », rappelle Hadi.
Mickael précise : « Ce n’est pas mission impossible, mais ça exige de bonnes pratiques : optimiser ses bases de données, automatiser ses tests, anticiper la croissance, refactoriser régulièrement son code, découper en microservices,… » pour éviter la dette technique. Il tempère également l’engouement autour des agents IA : « C’est vrai qu’on en parle beaucoup depuis plusieurs semaines, mais dans la pratique, qui peut se permettre de construire et d’utiliser de manière quotidienne ses agents ? Ce qui me bloque, c’est plutôt l’usage que l’on pourrait faire de ces agents IA qui, pour la plupart des cas, sont juste là pour faire un effet waouh sur un post LinkedIn. Pour ceux qui ont une réelle utilité, il faut pouvoir ensuite gérer la maintenance des workflows. »
« Pour des projets complexes ou à grande échelle, les limites techniques, sécuritaires et légales sont encore importantes. »
Et ce n’est pas qu’une question technique : « Une croissance significative nécessite généralement l’embauche d’une équipe technique et commerciale. Le solopreneur peut tester un concept, mais le scale demande des investissements de plusieurs milliers d’euros, sans compter la valorisation du temps investi », ajoute-t-il.
« Un assistant, pas un auteur »
Cette citation, nous la devons à Ahn Tuan. Si l’IA exécute, c’est bien l’humain qui doit garder la main : par ses intentions, ses prompts, ses arbitrages. Et c’est là que tout se joue. Mal formulé, un prompt peut générer un résultat erroné, incohérent ou mal aligné avec l’image de marque. Mal encadrée, une IA peut produire trop de contenu, trop vite, sans logique de supervision ni cohérence éditoriale
D’où la nécessité d’un HITL (Human in the Loop) : un regard humain pour ajuster, corriger, filtrer, interpréter. Anh Tuan rappelle que : « L’IA est là pour aider. C’est un assistant qui libère du temps sur les tâches répétitives, et qui permet de passer plus de temps à modeler les idées. Mais elle ne remplace pas un créatif : il y aura toujours quelqu’un pour dire “ça c’est bien, ça non, et voilà pourquoi.” »
« L’IA excelle dans l’exécution de tâches bien définies avec des paramètres clairs. Mais elle peine à gérer l’ambiguïté. Les solutions les plus efficaces aujourd’hui combinent automatisation et supervision humaine. » déclare Mickael. « Aujourd’hui certains outils IA marchent très bien pour de l’optimisation de campagne publicitaire (génération de contenus courts suivant des directives précises, analyse de données et la production de rapports synthétiques, personnalisation basique des interactions clients…). Mais il y a encore du travail sur des sujets comme la prise de décision stratégique complexe et la génération de codes avancés sans supervision. »

Et après ? Ce que le vibe coding laisse entrevoir
Tout bien considéré ces risques et limites du vibe coding, l’on ne peut désormais que se tourner vers l’avenir et se demander ce qu’il adviendra du vibe coding. Évolution des outils et pratiques ? Transformation des équipes ? Bousculement du marché ou bien passage aux oubliettes ? Le temps nous le dira. Il marque néanmoins une inflexion. Car il ne se limite plus aux prototypes bricolés sur Replit. Il s’installe peu à peu dans les process d’agences, les pitchs, les mains du grand public. Et demain ?
« Comme les CMS type Wix à leur époque, il y aura toujours besoin d’experts. Mais le vibe coding va s’installer durablement comme alternative », anticipe Hadi. « C’est un peu comme Midjourney pour l’image : un nouveau standard qui coexiste avec d’autres pratiques. Et ça ne fait que commencer. », ajoute Anh Tuan.
Si cela n’est qu’un début, cette tendance représente peut-être l’ouverture d’un nouveau champ des possibles. « Aujourd’hui, nous nous concentrons sur des projets créatifs légers, mais nous ne faisons qu’effleurer la surface de ce qui est possible », explique Jorge Bestard, EMEA Head of Sales and Success chez Canva.
À ce titre, dans nos recherches, un concept a particulièrement retenu notre attention : celui de vibe marketing. Selon ses promoteurs, nous pourrions bientôt assister à l’émergence de campagnes auto-optimisées, capables de s’ajuster en temps réel aux réactions des audiences. Des campagnes conçues, produites et diffusées par l’IA à partir de simples briefs « émotionnels ». Un scénario qui deviendrait possible avec l’adoption massive des Modèles de Contenus Personnalisés (ou MCP), capables d’apprendre ce qui fonctionne pour chaque marque et chaque cible.
« Tout ce qui est exécution pourrait être automatisé. La stratégie, elle, restera humaine. »
Utopie ou futur proche ? Anh Tuan insiste sur un verrou technique encore bien présent : « Le vrai défi, c’est de tout connecter. Le jour où toutes les plateformes et outils seront interopérables, ce sera possible. » Il précise que les signaux vont dans ce sens : « l’environnement évolue vite. À la dernière Google I/O, ils ont présenté Firebase Studio, qui code à la fois le front et le back-end. Avec des standards ouverts comme les MCP, l’IA peut se connecter à d’autres outils très facilement. Cela va dans le sens d’un développement toujours plus intégré et autonome. » Pour l’heure donc, les écosystèmes restent encore trop cloisonnés. Les fameux walled gardens du marketing digital tiennent bon. Et quand bien même les barrières tomberont, Hadi nuance : « Tout ce qui est exécution pourrait être automatisé. La stratégie, elle, restera humaine. »
Et c’est tant mieux ! « Ce que nous constatons systématiquement chez Canva, c’est que lorsque vous mettez entre les mains des gens des outils puissants et intuitifs, leur créativité s’exprime pleinement. Plutôt que de mener à une uniformisation, nous observons l’inverse : une montée en puissance de la diversité et de la confiance créative. L’IA offre aux gens les outils et le temps nécessaires pour donner vie à leurs idées », résume Jorge Bestard.
Il soulève ainsi que, paradoxalement, dans ce monde de plus en plus automatisé, c’est peut-être (surtout) l’humain qui fera la différence. Non pas dans la production brute, mais dans la vision, dans la capacité à orchestrer les outils, à donner du sens. Dans l’émotion, la narration, le parti pris. Le futur du marketing ne sera ni 100 % IA, ni 100 % humain. Comme le vibe coding semble commencer à démontrer, il sera augmenté, par la technologie, mais aussi (et, là encore, surtout) par la créativité et l’intelligence sensible de celles et ceux qui savent la guider.