Dans une société où les consommateurs sont de plus en plus conscients des problématiques contemporaines, les annonceurs et agences se doivent de leur proposer de nouvelles alternatives. En effet, il est de leur responsabilité de proposer des modèles et stratégies responsables, et durables. Et c’est aussi le cas dans le marketing ! L’idée est de limiter l’impact de ses activités sur l’environnement, et de – réellement – agir en faveur de ce dernier. Non pas par de simples activations visant à redorer leur image, mais par des actions concrètes et durables afin de créer de la valeur autrement.
Dans ce contexte, comment éviter le greenwashing et bâtir une stratégie marketing durable ? Quels outils sont aujourd’hui à la disposition des annonceurs afin de promouvoir un marketing plus vertueux ? Comment former les futurs acteurs du marché du travail aux enjeux RSE ? Pour y répondre, nous avons rencontré Clémentine Doumenc, Directrice conseil de Wise & Wild (cabinet de conseil indépendant sur les sujets d’impact et d’engagement) et intervenante à ESG Act, l’école de management et développement durable.
JUPDLC : Qu’est-ce qu’une stratégie marketing « responsable » ? En quoi se distingue-t-elle d’une stratégie marketing « traditionnelle » ?
Clémentine Doumenc : Tout d’abord, je distinguerais la stratégie marketing « responsable » d’une stratégie marketing « durable », qui est le but vers lequel nous devons tendre.
Une stratégie marketing responsable prend la pleine responsabilité de ses actions, incitant le public à adopter des comportements plus vertueux et limitant l’impact négatif de ses activités. En cela, elle participe à la transition vers un marketing plus durable, régénératif et contributeur ne visant pas uniquement à minimiser les impacts négatifs mais bien à construire pro activement un modèle durablement vertueux pour son écosystème environnemental et social.
Elle prend donc ses distances d’un marketing traditionnel dont la finalité est entièrement tournée vers la création de valeur financière pour l’entreprise ou pour les marques.
JUPDLC : Quels sont les objectifs d’une telle stratégie à court et à long terme ?
Clémentine Doumenc : L’objectif est toujours de créer de la valeur, mais celle-ci est désormais bien plus large. Il ne s’agit plus seulement de générer de la valeur financière, mais plutôt extra-financière. De la même manière, il est important de chercher à créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes (clients, consommateurs, citoyens, salariés, partenaires, etc.), en les impliquant dans les décisions, plutôt que de considérer uniquement la valeur de l’entreprise. Enfin, une stratégie marketing « responsable » se pense sous un prisme moyen et long terme, et non court terme.
JUPDLC : Selon vous, quels sont les principaux obstacles à la mise en place d’une stratégie marketing responsable ?
Clémentine Doumenc : Tout d’abord, il faut savoir que la formation des professionnels et l’éducation sur les enjeux RSE sont des objectifs absolument fondamentaux. Il s’agit probablement du levier le plus puissant. On a progressé, et les fresques ont notamment beaucoup favorisé cette acculturation. Mais la tâche reste encore immense !
Ensuite, je pense que les entreprises sont encore dans une démarche réactive et timide. Elles mesurent bien les risques à ne pas changer (bashing consommateur par exemple) et les coûts de telles démarches, mais sans réellement se poser la question des bénéfices et de la manière dont leur stratégie de marque responsable peut devenir un véritable élément de différenciation et de préférence.
Ces bénéfices sont rarement calculés, pourtant ils sont très nombreux. Il suffit de regarder des entreprises comme Darty, Decathlon ou Camif qui ont opéré un virage durable audacieux pour voir à quel point cela a été un levier de performance vertueux à tous les niveaux. La performance des entreprises ayant un modèle durable est bien supérieure à la moyenne.
JUPDLC : Quelles sont les étapes à suivre pour une entreprise qui débute dans le marketing responsable ?
Clémentine Doumenc : La première étape est sans conteste de définir sa raison d’être / son purpose de marque. C’est-à-dire la raison pour laquelle sa marque ou son produit existe, au-delà du profit.
Mais pour parvenir à un marketing responsable, c’est bien une révolution de nos pratiques marketing qu’il faut opérer à tous les niveaux de la stratégie et du mix opérationnel ! Cela implique parfois de faire pivoter son business model et de changer fondamentalement son offre.
Il s’agit :
- de considérer sa cible non plus comme simple consommateur… mais comme un consom’acteur, en lui offrant de la transparence et de la traçabilité.
- de ne plus se contenter de quelques actions marketing éthiques ad hoc, mais de devenir une véritable plateforme d’engagement (manifeste, mécénat, fondations…).
- de passer d’un modèle d’innovation à marche forcée à un modèle d’innovation frugale.
- de sortir des logiques de prix d’appel pour établir un prix juste, équitable, social et environnemental.
- de sortir des logos ostentatoires pour mettre en place une production raisonnée, faisant la part belle au Made In France, aux matières durables, bio sourcées, labellisées avec des stocks limités.
- de sortir d’une économie de gaspillage pour promouvoir une sobriété d’usage s’appuyant sur les 4R (Refuser, Réduire, Réparer, Réutiliser).
JUPDLC : Comment peut-on mesurer la réussite d’une stratégie responsable ?
Clémentine Doumenc : Il n’est pas toujours aisé de mesurer la réussite car les indicateurs de mesure doivent eux aussi être réinventés, mais quelques-uns commencent à émerger :
- Part des produits/services couverts par une ACV ou un Bilan Carbone
- Baisse en valeur absolue et en pourcentage du CA des produits carbonés
- Part du CA provenant de produits bas carbone (et sa progression)
- Émissions évitées par l’usage des produits/services rendus
- Part des moyens marketing consacrée aux produits mieux disants (et son évolution)
- Intégration du climat dans les processus d’innovation (brief, R&D…)
- Intégration du climat dans les processus marketing (revue des marques, plateforme de marques, purpose…)
- Poids du climat dans les bonus/incentives des équipes marketing/dirigeants
- Part des marketeurs formés aux enjeux RSE (enjeux environnementaux et sociaux)
JUPDLC : De nombreux annonceurs souhaitent devenir plus responsables dans leurs opérations marketing. Comment ne pas tomber dans l’écueil du greenwashing ?
Clémentine Doumenc : Je pense que la communication a un rôle essentiel à jouer dans la transition écologique, sociale et culturelle que nous devons initier. Cette communication se veut plus inclusive, doit permettre à chacun et chacune d’être représenté(e) et doit faire la part belle aux nouveaux récits.
Le greenwashing domine encore malheureusement nos écrans. Pour l’éviter, l’enjeu principal est de passer d’une logique de publicité et de promotion à une logique d’actes et de preuves. En gros, on ne dit pas qu’on est parfait, mais on dit ce qu’on fait vraiment et on le prouve.
Voici quelques conseils qu’on peut d’ailleurs retrouver dans le guide anti-greenwashing de l’ADEME :
- Sincérité, proportionnalité et humilité
- Discours de preuve, être factuel
- Bannir le vert de son vocabulaire (green, écologique, responsable, écolo, naturel, éthique…) ou alors préciser/prouver les allégations
- Utiliser des mots simples, être clair et concis
- Faire de la pédagogie sur les impacts de notre consommation et des pistes pour des modes de vies plus durables
- Valoriser les bénéfices individuels et collectifs
JUPDLC : Avez-vous des exemples d’annonceurs ayant mis en place des stratégies réellement responsables, et ce sur le long terme ?
Clémentine Doumenc : D’un point de vue marketing, je citerais Darty, Decathlon, Camif, qui sont des cas d’école. D’un point de vue communication, la campagne Patagonia, demandant aux consommateurs de ne PAS acheter de produit Patagonia s’ils n’en ont pas besoin, est complètement révolutionnaire ! Dans la même logique, Camif a pris la décision de fermer son site Internet le jour du Black Friday. Il s’agit d’une campagne très audacieuse.
Chacun de ces annonceurs a véritablement fait pivoter son business model vers la durabilité et changé radicalement son offre !
JUPDLC : Dans ce contexte, quels outils recommanderiez-vous pour construire une stratégie vraiment responsable ? Quels sont, selon vous, ceux à éviter ?
Clémentine Doumenc : Il y a beaucoup d’outils qui peuvent être utilisés :
- Tous les outils qui permettent de comprendre et mesurer son empreinte environnementale et sociale (ACV, Bilans Carbone…)
- Les outils permettant de renforcer la transparence de son empreinte au consommateur (par exemple, Nutriscore ou Ecoscore)
- Ceux issus de l’économie circulaire, pour mieux gérer ses ressources et déchets, la seconde main
- L’écoconception
- Les labels thématiques ou sectoriels
- Les certifications : Ecovadis, B Corp, etc.
- Les nudges qui peuvent encourager un changement de comportement vertueux du consommateur
JUPDLC : Vous êtes enseignante au sein de l’école ESG Act. Comment formez-vous les étudiants, qui seront futurs managers du développement durable ?
Clémentine Doumenc : Je crois que je fais d’abord appel à eux comme citoyens, et j’essaye de leur faire prendre conscience de leur pouvoir en tant que professionnels mais aussi salariés, clients, consommateurs, ou encore partenaires.
On peut parfois se sentir petit face aux défis sociaux et environnementaux mais si chacun prend sa part, d’abord on se sent mieux dans sa tête et ses baskets, aligné avec soi-même et on entraîne par aspiration les autres dans son sillage !
JUPDLC : Selon vous, les nouvelles technologies, notamment avec l’essor de l’IA générative, sont-elles des aides au développement durable, ou, au contraire, des freins ?
Clémentine Doumenc : Tout dépend de la manière dont nous choisirons de les utiliser… Et de les réguler. On peut tout à la fois voir le potentiel extraordinaire de l’IA qui consiste à libérer les gens des tâches pénibles, et ce tout en craignant pour les emplois. On peut également voir le potentiel énorme de trouver des solutions novatrices aux problèmes environnementaux, tout en étant effrayé de la quantité d’énergie qu’il faut pour faire tourner les ordinateurs. Il est encore temps de poser les garde-fous et de choisir quelle finalité nous voulons servir !
Si vous souhaitez, vous aussi, mettre en place une stratégie marketing responsable et viable sur le long terme, nous vous invitons à découvrir le Bachelor Marketing et Développement Durable de l’ESG Act.
Et pour en savoir plus sur l’ESG Act, rendez-vous sur sa page dédiée !