Nous le lisons dans les médias, nous l’entendons dans les conversations et le voyons sur nos réseaux. C’est un fait : l’intelligence artificielle est en plein essor. Au fil de ses évolutions rapides, l’IA est devenue un outil puissant dans de nombreux domaines. Vie personnelle, professionnelle, elle a également fait une entrée tonitruante dans le monde de l’éducation. Comment les écoles, étudiants comme professeurs, accueillent-elles cette révolution ? Quelles conséquences sur les méthodes d’apprentissage ? Comment se saisir du potentiel de l’IA pour enrichir le parcours éducatif ?
Qu’à cela ne tienne ! Pour répondre à nos questions, nous avons rencontré Damien Douani, enseignant en IA, créativité augmentée et nouvelles narrations, et responsable de l’Innovation chez Narratiiv, ainsi que Léo Chollet, étudiant en Mastère 1 Marque, Influence et Relations Publics à Narratiiv. Une rencontre fort à propos, puisque depuis la rentrée de septembre 2023, l’école a intégré des cours d’IA dans son programme pédagogique.
JUPDLC : Pouvez-vous nous parler du contenu des cours que vous dispensez chez Narratiiv ?
Damien Douani : Nous avons lancé l’ensemble de nos cours intégrant l’IA à la rentrée de septembre 2023. C’est une innovation pédagogique majeure et un travail de longue haleine car nous avions commencé à travailler dessus un an auparavant, alors même que l’IA générative n’était qu’à ses balbutiements.
Narratiiv s’est ainsi positionnée en précurseur parmi les écoles de communication, journalisme et création en ouvrant la voie sur le sujet. Et nous n’allons pas en rester là à la rentrée 2024 !
JUPDLC : Pouvez-vous partager des exemples de la manière dont vous tirez parti de l’IA dans vos cours pour stimuler la créativité des étudiants et favoriser de nouvelles formes de narration ?
Damien Douani : À date, nous proposons 3 cursus. Nous proposons une sensibilisation pour les 3ème année aux techniques créatives avec l’IA. Nous avons également un ensemble de cours destinés aux Mastères sur l’IA et les nouvelles narrations. L’école propose, enfin, une expérience pédagogique sur l’Art du Prompt en mode projet et équipes.
« La machine est un outil, l’imagination doit rester humaine. »
Dans chacun d’eux, nous inspirons les élèves en leur montrant des réalisations innovantes réalisées avec le concours de l’IA. Nous mettons à l’épreuve leur créativité en leur demandant, par exemple, d’écrire un pitch de scénario « à la Netflix » en un temps précis. Cela peut aussi être une histoire pour enfants illustrée, ou encore un mood board visuel pour une crème beauté unisexe bio vegan et punk. Et pour faire sortir l’IA de ses représentations formatées, il faut être bon et créatif ! La machine est un outil, l’imagination doit rester humaine.
JUPDLC : Quels sont les changements les plus significatifs que vous observez dans les méthodes d’apprentissage et de travail chez les étudiants ?
Damien Douani : J’ai réalisé une étude sur mes classes et je constate que l’IA n’est pas un sujet qui leur fait peur. C’est avant tout une crainte de « boomer ». Ils n’ont pas d’appréhension des innovations numériques. Bien souvent, ils ont toutes et tous déjà testé ChatGPT ou Adobe Firefly.
En revanche, ils ont une compréhension moindre de comment travailler efficacement avec l’IA. Ils sont dans une recherche de réponses immédiates, ce qui n’est absolument pas la bonne approche. Tout d’abord, car les réponses des IA sont formatées et cela se « sent ». Et surtout parce que l’IA doit être avant tout leur « meilleur coéquipier ». C’est un outil qui va les faire progresser dans leur raisonnement et les aider à aller plus loin vers l’objectif qui est le leur.
Il faut arriver à « déconstruire » ce réflexe hérité de notre usage de Google et apprendre à parler aux IA. Sinon, on reste dans une reproduction standardisée de réponses. C’est la méthodologie que nous suivons dans nos cursus.
JUPDLC : En quoi l’utilisation de l’IA dans l’éducation peut-elle contribuer à repenser les approches pédagogiques traditionnelles et encourager l’innovation dans le processus d’enseignement et d’apprentissage ?
Damien Douani : L’IA, c’est le syndrome de la calculatrice au XXIème siècle. Quand elle est apparue, on a hurlé à la fin de l’apprentissage des tables de multiplication. Finalement, on continue à apprendre les tables, car cela « structure » l’esprit, c’est de la culture scientifique. Les exercices de math ont changé. On a mis l’accent sur le raisonnement, et la machine est là pour accompagner sur le chemin de la bonne réponse. Il faut appréhender les choses de la même manière avec l’IA, en faisant en sorte qu’elle soit un facilitateur pour réaliser un objectif.
Conséquence : les enseignants doivent promouvoir une culture du test, de la pédagogie active. Ils doivent repenser leurs matières en mettant l’accent sur les talents personnels (soft skills) et promouvoir la créativité par l’usage agile des outils. On attend plus un résultat mais une réalisation. Cela veut aussi dire qu’il faut mettre à jour ses connaissances de manière régulière. C’est ce que nous promouvons en interne via nos Incroyables Académies. Nous convions régulièrement les tuteurs de nos alternants, mais aussi nos intervenants, à des sessions de formation et mise à niveau sur différents sujets, comme l’IA par exemple en mars dernier.
Enfin, il s’agit de tester et d’intégrer à la pédagogie les idées les plus prometteuses. C’est la démarche Creative Lab qui travaille actuellement sur l’aide de l’IA à la prise de parole.
JUPDLC : Y’a-t-il un risque de dépendance chez les élèves ? Quels sont les impacts sur le développement de certaines compétences (pensée critique, résolution de problème, créativité) ?
Damien Douani : Ces points sont cruciaux. L’humain reste ce qu’il est… Si on lui propose d’aller plus vite entre un point A et B, il va prendre ce chemin sans se soucier de ce qu’il peut en faire. Or, c’est là que nous devons expliquer qu’aller plus vite ce n’est pas aller plus loin. L’addiction à toute forme de facilité est une erreur dans laquelle personne ne doit tomber.
« C’est l’enjeu de l’éducation du XXIème siècle : développer la réflexion alors que nous sommes sur-assistés. »
L’IA est une machine qui donne des réponses statistiques : elle n’a aucune compréhension du contexte ni de la justesse de ses réponses. Elle se borne à répondre ce qui lui semble juste, au regard de ce qu’elle a appris et en faisant des connexions que nous ne maîtrisons pas.
Sans esprit critique, sans curiosité, on ne fait que prendre ce qu’elle nous donne sans nous soucier de la justesse et de la véracité de sa réponse. Ce qui nous enferme dans, à minima, des réponses stéréotypées, et à maxima des erreurs majeures ou « hallucinations » qui ont l’apparence de la vérité ! C’est l’enjeu de l’éducation du XXIème siècle : développer la réflexion alors que nous sommes sur-assistés.
JUPDLC : Quelles compétences spécifiques pensez-vous que les étudiants devraient acquérir pour être compétitifs dans un monde où l’IA joue un rôle de plus en plus important dans la création et la communication ?
Damien Douani : L’IA, c’est un tour de magie : on a l’illusion que c’est simple et que l’on va faire le prochain Pixar en écrivant une ligne de texte. Ce qui est doublement faux : une IA n’a pas d’intelligence créative propre, il faut donc compter avant tout sur la sienne. Et de plus, il faut apprendre parfaitement à lui parler pour qu’elle sache ensuite réaliser ce que l’on a en tête. C’est là que l’on aura des surprises intéressantes.
Professionnellement parlant, l’IA est un outil clivant qui va scinder le monde en deux : ceux qui seront bons, et les autres. Il n’y aura pas de place pour les « moyens ». C’est un peu dur à entendre, mais c’est déjà une réalité.
Les élèves doivent donc développer leur singularité, leur signature, ce qui les rendra plus difficilement substituables. Et pour cela ils doivent s’appuyer sur trois piliers, ce que j’appelle les 3C. Les Connaissances (ce qu’ils apprennent à l’école), la Culture (ce qu’ils apprennent par eux-mêmes), et la Curiosité (ce qu’ils veulent découvrir en sortant de leur zone de confort). Sans cela, ils se mettront eux-mêmes à la merci de la machine. Et chez Narratiiv, nous les préparons à tout cela.
Interview de Léo Chollet, étudiant
JUPDLC : Avez-vous déjà utilisé des outils basés sur l’IA pour améliorer votre productivité ou votre organisation dans vos études ?
Léo Chollet : L’intelligence artificielle améliore considérablement mon quotidien, mais aussi ma productivité ! Elle m’aide dans mes études, mais aussi dans ma vie personnelle. Personnellement, j’utilise l’IA pour mieux m’organiser et hiérarchiser mes tâches de travail. J’y ai recours aussi pour réaliser mes rendus de cours : du contenu textuel aux visuels, ça me rend beaucoup plus productif. C’est un gain de temps énorme.
À titre d’exemple, à l’école je m’aide souvent de ChatGPT. C’est un outil qui, si on sait bien l’utiliser, permet d’améliorer considérablement sa productivité. Auparavant, j’utilisais l’outil d’un point de vue très basique. Désormais, suite au cours que nous avons eu, je l’utilise d’une manière beaucoup plus pertinente, pour appuyer mes propos.
JUPDLC : Avez-vous déjà ressenti une différence dans votre façon d’apprendre lorsque vous avez utilisé des ressources ou des plateformes qui intègrent l’IA par rapport à des méthodes traditionnelles ?
Léo Chollet : L’intelligence artificielle a fait évoluer les méthodes d’apprentissage traditionnelles et c’est tout à fait normal. De façon générale, les méthodes d’apprentissage évoluent au fil du cursus scolaire. Le numérique occupe une place importante, principalement en post-bac. Dire que l’intelligence artificielle ne m’apporte pas un coup de pouce dans mes études, ce serait mentir : elle m’aide quotidiennement !
Ces outils m’aident notamment à apprendre à synthétiser mes idées, ainsi qu’à les classer en fonction de leur pertinence. Étant donné que l’IA se nourrit de ce que l’on lui donne, elle va apprendre petit à petit à affiner ses propositions. Plus le temps passe, plus elle apprendra à connaître mes attentes et sera en mesure de proposer un contenu que je trouverai intéressant.
JUPDLC : Pouvez-vous partager une situation concrète où vous avez eu recours à l’intelligence artificielle lors d’un de vos cours ou projets ? Quels ont été les résultats obtenus ?
Léo Chollet : J’ai eu plusieurs situations dans lesquelles j’ai utilisé l’intelligence artificielle au sein de mes cours et dans des projets. Par exemple, lorsque j’ai besoin de faire des recommandations à l’école. Je commence par chercher et trouver mes idées, mes concepts. Par la suite, je demande à l’IA s’il peut y avoir des points supplémentaires. Des points qu’il serait intéressant d’approfondir.
Auparavant, mes recommandations nécessitaient beaucoup plus de temps. Les créations, notamment, étaient difficiles à concevoir. Par exemple, une idée de concept ou des visuels futuristes. Grâce à l’intelligence artificielle, j’optimise mon temps. L’IA m’aide à concevoir mes bases graphiques, puis je les peaufine sur les logiciels de créations de la suite Adobe essentiellement. D’ailleurs, ces logiciels sont également boostés avec de l’intelligence artificielle, ce qui facilite de nouveau grandement le travail.
Je ne vois pas spécialement de différence sur les résultats obtenus, car l’intelligence artificielle m’offre des réponses que je retravaille derrière. Je la vois davantage comme une « amie » qui pourrait m’aider, mais les idées et les argumentations proviennent de mon cerveau.
JUPDLC : Comment votre relation avec vos enseignants a-t-elle évolué avec l’intégration de l’IA dans vos cours ? Est-ce que cela a influencé votre interaction avec eux d’une manière ou d’une autre ?
Léo Chollet : L’arrivée de L’IA en cours n’a pas véritablement changé les relations que j’ai avec les intervenants. J’ai de la chance d’être étudiant au sein d’une école qui a décidé d’intégrer des modules de cours en lien avec l’intelligence artificielle au sein de nos programmes. Je trouve que c’est une excellente idée car ça nous permet d’apprendre, de manière structurée, ce qu’est véritablement l’intelligence artificielle. On apprend à connaître son histoire, son utilisation, mais aussi ses dérives.
Il est vrai que depuis deux ans, on a l’impression qu’elle est au centre de toutes les discussions (à l’école, au travail, entre amis, en famille…). Nous apprenons à l’utiliser avec beaucoup d’intelligence (humaine cette fois-ci). De ce fait, je trouve que les intervenants que nous avons sont bien conscients que les étudiants utilisent l’IA. Ils ne nous l’interdisent pas. Au contraire, ils nous montrent comment s’approprier ces outils qui peuvent avoir une réelle valeur ajoutée s’ils sont bien utilisés.
JUPDLC : Pensez-vous que l’IA pourrait vous aider à découvrir de nouvelles perspectives ou approches d’apprentissage que vous n’auriez pas envisagées autrement ? Y a-t-il des aspects spécifiques de votre parcours d’apprentissage où vous aimeriez voir davantage l’utilisation de l’IA ?
Léo Chollet : L’intelligence artificielle m’aide au quotidien, mais je suis conscient que je n’utilise pas à 100% de ce que peuvent m’offrir ces outils. Étant très curieux, et intéressé par ce domaine, je vais sans cesse chercher ce qui peut m’intéresser et m’aider dans mon quotidien professionnel et personnel. Très régulièrement, je découvre d’ailleurs de nouveaux outils, logiciels ou même applications qui me permettent d’avoir l’IA à portée de doigts sur mon téléphone.
« Grâce à l’intelligence artificielle, le cursus scolaire serait optimisé pour développer les compétences des étudiants »
Au niveau de l’utilisation de l’IA sur mon parcours d’apprentissage, je pense que l’intelligence artificielle doit être présente dès la formation post-bac pour former les nouvelles générations au monde qui sera le monde de demain. À titre d’exemple, je pense que l’intelligence artificielle pourrait être en mesure de fournir un agenda de cours personnalisé pour chaque étudiant. Il croiserait en fonction des résultats, des appétences et d’autres critères pour nous fournir les cours les plus pertinents et optimiser l’apprentissage. Ainsi, grâce à l’intelligence artificielle, le cursus scolaire serait optimisé pour développer les compétences des étudiants.
JUPDLC : Pensez-vous que l’IA pourrait remplacer complètement les enseignants à l’avenir ?
Léo Chollet : Pour moi, il est tout à fait possible que l’IA aide les enseignants et les intervenants. Mais il est impossible qu’elle puisse les remplacer. Le métier d’enseignant est essentiel pour accompagner au mieux les étudiants et capter au mieux leur attention.
Personnellement, si je devais suivre des cours via l’intelligence artificielle, je pense que je décrocherais très facilement. L’IA peut être considérée comme un tuteur qui suit les étudiants tout au long des études, mais ça reste un outil et pas du réel. Il faut vraiment faire la distinction entre les deux mondes.
JUPDLC : En quoi pensez-vous que l’IA pourrait influencer votre future carrière dans le domaine de la communication/journalisme ? Voyez-vous des opportunités ou des défis potentiels liés à cette technologie ?
Léo Chollet : Étant étudiant en communication, je vois le monde de l’intelligence artificielle comme un monde dans lequel les innovations et avancées technologiques sont très rapides. Je pense qu’il est impératif de mesurer, dès mes études, l’importance et l’ampleur que peut prendre l’intelligence artificielle. En prenant en compte ces nouveaux outils, je serai plus confiant lorsque des outils plus puissants encore que ceux que nous connaissons aujourd’hui verront le jour.
Selon moi, il faut travailler main dans la main avec l’intelligence artificielle. On ne doit pas aller à l’encontre de ce monde qui sera notre futur, que nous le souhaitions ou non. Un futur rempli de défis, certes, mais surtout d’opportunités. En particulier pour le monde de la communication, qui se tourne de plus en plus vers le numérique et l’intelligence artificielle.
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