Les trois premières définitions du luxe offertes par le Larousse nous permettent de comprendre ce qu’est vraiment le luxe au sens littéral du texte. La première, « caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux », la seconde « environnement constitué par des objets coûteux ; manière de vivre coûteuse et raffinée » et la dernière « plaisir relativement coûteux qu’on s’offre sans vraie nécessité ». Un poil culpabilisantes, ces définitions vont à l’encontre de ce que les professionnels du luxe veulent véhiculer.
Tout d’abord, présentons le secteur en quelques chiffres. LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy) a connu en 2021 un bond de 44% de ses ventes par rapport à 2020, dégageant ainsi 13 milliards d’euros de trésorerie. Le groupe Kering (Gucci, Saint Laurent, Balenciaga…) quant à lui, annonçait mi-février un chiffre d’affaires de 17,6 milliards d’euros. Concernant Hermès, son chiffre d’affaires s’est élevé à 8,98 milliards d’euros, soit une croissance de 40,6%. « L’Oréal Luxe est devenue la première Division du Groupe L’Oréal, avec notamment un succès remarquable en parfums » déclare Nicolas Hieronimus, Directeur Général de L’Oréal. Enfin, la trésorerie nette de Chanel est remontée en flèche en 2021, avec, en caisse, un peu plus d’1 milliard de dollars, contre 282 millions en 2019, précise le groupe de luxe détenu par les frères Wertheimer.
Mais derrière ces chiffres astronomiques, un discours qui est propre au secteur : le voyage avec Marion Cotillard sur la Lune, Mohamed Ali en Louis Vuitton, James Bond à travers le monde, et tout un champ sémantique associé à la désirabilité. Le journal du luxe parle ainsi de désir, de plaisir, d’identification, d’image, de sérénité et d’élégance. On peut aussi parler de moments d’exception. Mais comment les grands noms du luxe, peuvent-ils communiquer sans diluer leur identité exclusive ? Toute la communication des marques de luxe est-elle forcément élitiste ?
Dans son essence, la communication des marques de luxe doit être élitiste
Si le luxe veut conserver son aura, son attrait auprès de tous… il doit paradoxalement ne pas s’offrir à la vue de tous. Combien de communicants pestent contre l’expression « luxe accessible » ? Le luxe devrait être rare, miser sur des séries limitées et viser des prix illimités (Hermès a d’ailleurs relevé tous ses prix de 3,5% en 2022). Répondre à des désirs, et non à des besoins.
Les marques de luxe sont ainsi à leur place quand elles communiquent dans les magazines de luxe, les magazines spécialisés, la presse business paneuropéenne, et la presse féminine / mode. On ne trouvera pas de communication de marque de luxe dans les pages de magazines populaires comme TV Magazine ou Télé 7 jours, par exemple. Elles occupent aussi historiquement une place de choix dans le sponsoring des événements les plus prestigieux : de la F1 aux Grands Chelems, en passant par la regrettée Coupe Louis Vuitton et les compétitions de polo.
En ligne, de nombreuses marques ont déjà pris des mesures de brand safety, pour protéger leur image de marque et ne pas être associées à n’importe quels sites web par la publicité programmatique. Le luxe doit rester le luxe, et donc élitiste.
« Très prudentes, voire frileuses, dès lors qu’il s’agit de leur image, les marques de luxe ont mis en œuvre des stratégies de communication mobilisant des outils plutôt traditionnels. Tant dans les choix des supports médias que des outils hors-médias utilisés, les marques de luxe ont, jusqu’à récemment, cherché à capitaliser sur leurs valeurs patrimoniales. L’objectif était avant tout de nourrir « l’effet pont levis » entre la marque et le consommateur. Inspirant la révérence, l’admiration, le désir : la marque de luxe a longtemps puisé la valeur de son aura dans cette distance entretenue. Les outils de communication mobilisés devaient servir ce dessein » explique Philippe Bastien, intervenant à l’école de communication SUP’DE COM et Spécialiste de la communication des marques de luxe.
Dans la pratique, c’est pourtant autre chose… déplorent les spécialistes
Mais sous la pression des actionnaires, la communication des maisons de luxe a bien changé. Désormais elle doit s’adapter à la demande grandissante et à l’acquisition de nouveaux marchés.
Quelles qu’en soient les raisons, on peut aujourd’hui douter du côté exclusif de la communication des marques de luxe, qui se donnent à voir à tous sur Instagram. Et de nombreux indices laissent à penser qu’on assiste à une « mainstream-isation » de la manière dont les marques de luxe vont communiquer dans les années à venir.
Lors du MET Gala, Billie Eilish arrivait avec plus de 507 000€ de bijoux prêtés par Cartier. Chez le concurrent Tiffany’s, c’est Jay-Z et Beyoncé qui portent l’amour au premier plan. Le cas Balenciaga est l’un des plus éloquents : créer un épisode spécial des Simpson, voilà ce qu’a orchestré le directeur artistique Demna Gvasalia pour la présentation de sa collection Printemps/Été 2022. Assiste-t-on à une nouvelle phase, plus populaire, de l’endorsement ? Que dire de la triple collaboration Balenciaga / Gap / Yeezy ? Un tel mélange d’ADN questionne la notion de « luxe ».
Alors que certains voient le verre à moitié vide, d’autres préfèrent voir en cette mutation du luxe le verre à moitié plein, et optent pour le terme de « luxe étendu » pour qualifier ces collaborations dont les maisons de luxe ont le secret. Louis Vuitton a par exemple donné dans le streetwear, au cours des années du règne de Virgil Abloh. En 2018, s’associer au label new-yorkais Supreme permettait donc au classique Vuitton de s’attribuer sans risque une bonne dose de « hype », et de séduire une toute nouvelle génération de clients largement enclins au streetwear et biberonnés aux réseaux sociaux. Le trophée des playoffs de la NBA est ainsi dévoilé dans une valise Louis Vuitton.
« Le socle des valeurs revendiquées par les marques de luxe a considérablement évolué. Désormais, c’est la puissance créative et évocatrice de la marque qui potentialise l’expérience client. La marque se doit d’être avant tout « aspirationnelle ». Ce choix a bouleversé la palette des outils de communication mobilisés car la marque cherche à différencier ses cibles. Génération Z, « HENRYs » et bientôt génération Alpha, les outils mobilisés sont générationnels : placement de produit dans les jeux vidéo, appel à des égéries tirés de l’univers du gaming… Et l’avènement du « métavers » nous promet sûrement de belles surprises » ajoute Philippe Bastien.
Plus récemment, on a aussi pu voir Gucci annoncer sa collaboration avec adidas. Nike, quant à lui, a enfin décidé de collaborer avec une maison de luxe. Voilà ce que déclarait Kim Jones, le directeur artistique de la maison Dior au sujet de la collaboration avec le géant du sportswear de l’Oregon : « De nos jours, tous les grands noms sont des marques mainstream. Mais il est vrai que cette collaboration a fait l’objet d’un débat en interne qui est remonté jusque très haut dans notre organigramme, révélait Kim Jones. Et finalement, tout le monde a été enthousiasmé par l’idée. Qui ne le serait pas ! Nike ne s’est jamais associé avec une maison de couture. Et si la marque à la virgule avait existé du temps de M. Dior, il aurait probablement collaboré avec elle. Parce qu’il aurait adoré son état d’esprit, son souci d’innovation. Nike, c’est le best of the best en matière de sportswear. Comme Dior, pour la mode ! »
Les marques de luxe et la gestion des influenceurs
Trop mainstream. Trop vulgaires, les influenceurs ? Les marques qui ne voulaient pas les voir en front row il y a 10 ans se battent maintenant pour leur présence, tant leur poids est important en termes d’image et de ventes. Les maisons de luxe doivent donc trouver l’équilibre entre une clientèle historique qu’il faut continuer à satisfaire et de nouveaux acheteurs issus des campagnes d’influence, tout en gardant leur discours de rêve et de désir.
L’exercice avec les influenceurs peut parfois être délicat. En 2017, l’italien Dolce & Gabbana avait créé l’événement en faisant défiler 49 Instagrammeurs, pour bénéficier de la visibilité auprès des communautés de chacun… Malheureusement, un an plus tard, ils ont souffert d’un sacré retour de bâton et d’un boycott en Chine orchestré par les influenceurs, à la suite d’un bad buzz d’un des créateurs de la marque.
A contrario, certaines campagnes sont un succès, à l’image de la collaboration Léna Situations x Dior. Âgée de 24 ans, cette dernière est courtisée par les plus grandes marques. Et pour cause ! Léna Mahfouf, de son vrai nom, figure parmi les influenceuses mode les plus puissantes de la planète et fédère la GenZ. Une notoriété qui a séduit Dior… et qui paye ! En effet, selon les calculs de Launchmetrics, Léna Situations se hisse à la première place du classement 2021 des influenceurs les plus influents du monde, devant Emma Chamberlain, avec un impact évalué à 4,72 millions de dollars rien que pour Dior ! Pour obtenir un tel résultat, l’entreprise d’analyse mentionnée a utilisé son algorithme Media Impact Value (MIV), permettant de « mesurer l’impact des placements et des mentions sur différentes plateformes dans le secteur de la mode, du luxe et des cosmétiques ».
L’évolution de la communication des marques de luxe sur les réseaux sociaux… puis dans le metaverse ?
A partir du moment où Mickael Kors prend la parole en premier sur Instagram (source : #NoFilter, le livre économique sur les coulisses d’Instagram de la journaliste Sarah Frier), à partir du moment où les marques de luxe ouvrent un compte sur un réseau social, est-ce que social n’est pas par définition opposé à élitiste ?
Aujourd’hui, Gucci débarque sur Discord et investit le métavers avec son concept store NFT. Alors que Louis Vuitton fournit la valise qui contient le trophée pour les vainqueurs des playoffs NBA, la maison fournit désormais aussi l’écrin dans lequel a voyagé la Coupe du Monde de League of Legends, preuve de son engagement à venir dans l’e-sport. En août 2021, Louis Vuitton lançait un jeu vidéo et des NFTs dans « Louis : The Game ». Le luxe pour tous ne sera-t-il possible que dans le monde virtuel ? Mais même dans ce monde virtuel, les maisons de luxe continueront à veiller sur leur asset le plus précieux : leur marque. Récemment, Hermès a attaqué un créateur d’art virtuel, Mason Rothschild, pour sa collection NFT « MetaBirkins », qu’il avait conçue et commercialisée en ligne dans la blockchain. Et si le retour du « vrai » luxe passait par des signaux forts, comme Bottega Veneta qui avait supprimé ses comptes Instagram, Twitter et Facebook pour lancer… un journal en ligne ?
« Il est clair que l’ADN de la marque de luxe est en profonde mutation. Deux mouvements apparemment contradictoires se confrontent, hésitant entre duel ou duo. Le premier qui valorisera les savoir-faire d’exception et d’excellence (Journées particulières LVMH) ; l’autre qui voudra rendre la marque de luxe toujours plus actuelle et inspirante. La marque de luxe s’inscrit de plus en plus dans son époque, mais au même moment souhaite léguer un héritage de plus en plus riche aux générations futures. La marque de luxe est outil de sa propre communication : un pied enraciné dans son Histoire, l’autre projeté dans le devenir de son consommateur » conclut Philippe Bastien
La communication du luxe s’est donc redéfinie au fil des années avec les nouvelles techniques marketing. Entre influence et métaverse, l’expansion de la communication des maisons de luxe en ravi certains pour en décevoir d’autres. Les marques de luxe se sont adaptées à un univers en mouvement pour capter ses consommateurs de demain, au détriment parfois de leur essence même : l’inaccessible.
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