En 2022, quel rôle doit jouer la publicité ?

En collaboration avec Babel
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À travers notamment les films et les séries, la pop culture n’a cessé d’alimenter de nombreux clichés à propos de la création publicitaire. Pour sortir sa « Big Idea », le professionnel de la pub est une personne qui possède une intuition presque divinatoire qui lui fait comprendre l’air du temps. En observant le monde autour de lui, il est capable de crier « eureka ! » et ainsi d’anticiper ou de faire la tendance. Bien évidemment, la création a toujours possédé cette dimension artistique, presque romantique parfois, notamment durant l’ère des médias de masse. Mais dans les grandes lignes, c’est plus une image d’Épinal, qu’une réalité globale.

Depuis deux bonnes décennies, la progression, constante et révolutionnaire, du digital est venue peu à peu bouleverser la méthodologie publicitaire. En parlant de digital, nous faisons référence aux supports de communication qui se sont diversifiés, aux réseaux sociaux qui sont venus complexifier les activations de marque, mais bien évidemment aussi à la data. Un mot-valise composé de multiples atomes : e-commerce, social media, stratégie multicanal, campagne Google Ads et Google Analytics, marketing d’influence… Si bien que la création publicitaire s’est vue peu à peu diluée au sein de nouvelles priorités.

Du coup, en 2022, et dans les années à venir, quel sera le rôle de la publicité ? Entre les nouvelles velléités des consommateurs depuis la crise sanitaire, la prochaine disparition des cookies tiers et l’importance croissante des questions écologiques, comment les marques et les agences doivent-elles se positionner ?

Pour aborder ce vaste, mais passionnant, sujet, l’équipe de J’ai un pote dans la com s’est entretenue avec Alain Roussel et Jean-Laurent Py, respectivement Vice-Président et Directeur de Création au sein de l’agence Babel.

 

Entretien avec Alain Roussel et Jean-Laurent Py, Vice-président et Directeur de Création chez Babel

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Crédit photo : Babel

 

JUPDLC : Depuis quelques années, l’avènement de la toute-puissance décisionnelle de la data a créé un nouveau paradigme publicitaire, celui de l’hyperpersonnalisation. Est-ce que, pour les agences, de bons insights ont encore de la valeur dans ce contexte ?

Alain Roussel : Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que les datas, les algorithmes et l’IA, poussés jusqu’à l’hyperpersonnalisation, produisent massivement des messages pauvres qui se répètent à l’infini et nous agressent par leur harcèlement. Pourquoi ? Simplement parce que le fantasme du mesurable et son caractère prédictif sont souvent vendus comme autosuffisants. La qualité des messages associés, tant sur le fond que sur la forme, importe alors peu. D’une part, cela entraîne des investissements massifs aux ROI médiocres. D’autre part, l’hostilité des publics ne fait malheureusement que croître. Bâtir une marque, c’est bien autre chose. En 2022, on constate toujours que la justesse des insights, la qualité des messages qui en découlent et la force des idées créatives qui naissent de ces deux énergies sont d’une performance unique pour engager une relation, un lien, une valeur durable entre une marque et ses publics. Jusqu’à présent, ce dilemme est rarement surpassé ou résolu.

Jean-Laurent Py : 100% d’accord. La data n’a d’intérêt et de sens que pour aider à produire de « bons » insights. Elle a le mérite de la précision et de révéler parfois des angles morts, mais cela reste juste une source de matières supplémentaires pour les planneurs, et ensuite pour les créatifs. La data doit passer à la moulinette de notre « data humaine », de nos cerveaux émotionnels, de notre expérience et de nos instincts. Le pire pour notre métier – un métier de création – serait de perdre tout ça.

 

JUPDLC : Comment articuler le mieux possible, au sein d’une agence, la relation entre les prérogatives de la data et la liberté de création ?

Jean-Laurent Py : Je pense qu’il faut commencer par ne pas les opposer. Derrière l’anglicisme – qui fait cool et peur à la fois puisqu’il renvoie aux craintes et fantasmes de la grande relégation de l’homme par le numérique – la data est « juste » une information supplémentaire. Et être informé, mieux connaître, mieux comprendre ; c’est indispensable. C’est ce qui vient nourrir notre pensée, enrichir nos créations et la justesse de nos messages. De plus, la création ne naît pas de la liberté, elle naît de la contrainte. Et si la data est parfois une contrainte, elle s’ajoute juste à toutes les autres. Vous dites « challenge » à un créatif, il répond : « hold my beer ».

Alain Roussel : Le mot « data » est devenu un mot-valise qui renvoie à une vision hyper-processée de la collecte, du traitement et de l’utilisation marketing automatisée d’une multitude de données. Or, la data peut aussi être une intelligence de compréhension, une finesse d’analyse sociologique, une captation sensible sur les grandes ou petites questions qui traversent la vie des individus. C’est ce genre de data qui est au cœur de la vie de notre agence. Il n’y a pas une problématique qui ne soit pas passée au crible de ce type de data – que j’appellerai « chaude » – afin de fonder le chemin stratégique et créatif le plus pertinent et le plus performant pour la marque. Cette relation est génétique au métier de publicitaire qui a pour objet la mise en relation entre une marque (et ses produits) avec un consommateur donné, dans un marché précis, au sein d’une concurrence identifiée, à un moment donné de la vie de la marque. Sans cette « nourriture première », il n’y a pas de création intéressante possible.

 

JUPDLC : C’est un métier clef dans le secteur de la publicité qui a aujourd’hui un pied dans la data et l’autre dans la création. Quel rôle le planneur stratégique doit-il prendre dans une agence en 2022 ?

Alain Roussel : Par essence, le planneur est un animal à la fois analytique et sensitif. Il a un pied dans les données chaudes et froides relatives aux marchés, aux marques, aux consommateurs ; et un pied dans la quête des meilleurs insights, des meilleurs angles, des meilleurs messages. Dans les deux cas, c’est un « chercheur d’or ». Ce qui a profondément évolué, ce sont les outils à sa disposition. Dans la multitude et le découpage en tranches très fines, on peut aisément se perdre… Et ne jamais trouver la pépite.

Jean-Laurent Py : Je dis souvent – à mon épouse d’abord, qui est Directrice du planning – que c’est pour moi le métier le plus difficile en publicité. Être trop haut, ou trop proche du brief client, n’apporte rien à la création. Et être trop bas, trop dans l’exécution, bloque tout autant. Cela risque en plus de heurter nos ego sensibles de créatifs. Du coup, arriver au bon brief, c’est être un équilibriste, debout sur une corde entre deux immeubles, et ne pas tomber ni d’un côté ou de l’autre. Mais quand on y arrive, il n’y a rien de plus beau… La data vient juste apporter de l’eau au moulin du planneur, mais ça n’aide, ni ne complique, ce qui est déjà un beau défi.

 

JUPDLC : Est-ce la fin de la pub traditionnelle ? À savoir ce grand spot TV au budget important que l’on diffuse juste avant le 20h de TF1 ou à la mi-temps d’un match de foot de l’équipe de France.

Jean-Laurent Py : Quand j’étais un jeune Concepteur-Rédacteur dans une agence à Montréal, j’avais commencé en parallèle un master au HEC et ce sujet était tombé en cours. Force est de constater que 15 ans plus tard, la fin de la pub traditionnelle se fait toujours attendre. Je vous dirai la même chose que j’avais pensée à l’époque. En synthèse, cela donnerait : « au pire, ce sera la fin d’un medium, mais pas d’un format, et encore moins de la création ».

Alain Roussel : Si vous appelez la pub « traditionnelle », un spot diffusé à la télé et sur tous les autres médias audiovisuels, alors certes, elle n’est pas morte. Il suffit de regarder les investissements des 100 premiers annonceurs en France. Ensuite, la fragmentation des médias, des audiences et des formes de prise de parole est en route depuis longtemps et elle se poursuit. Il y a donc moins de rendez-vous œcuméniques autour d’un programme TV. Pourtant la télé et son complément display digital, sont un Graal pour beaucoup de marques. Il semble que leur capacité à construire des images de marque fortes reste réelle.

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Crédit photo : Unsplash / Martin Sanchez

 

JUPDLC : Est-ce qu’investir des sommes conséquentes sur de la publicité dans des médias de masse (TV, presse écrite, radio) a encore un sens pour une marque en 2022 ?

Alain Roussel : Pensez-vous que les annonceurs sont des philanthropes ou des mécènes des médias ? Non. Ils investissent là où ils estiment que la performance est au rendez-vous. Cependant, pour la première fois en 2021, le numérique devance, à lui seul, le cumul des cinq médias historiques. Cela signifie simplement que le jeu de jambes des communicants est devenu beaucoup plus complexe et diversifié. C’est aussi ce qui rend notre métier encore plus passionnant.

Jean-Laurent Py : Comme le dit Alain, s’il existe un investissement, c’est qu’il y a une retombée. C’est une histoire de pertinence de cibles et les médias de masse ont l’intérêt d’être encore « de masse ». Il y a des sujets qui doivent s’adresser au plus grand nombre, exister dans l’espace commun, d’une façon presque culturelle. La TV, l’affichage ou la radio le permettent.

 

JUPDLC : Les consommateurs sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de la sincérité des entreprises en matière de communication RSE. En 2022, est-ce qu’une entreprise peut faire de la pub solidaire et/ou écoresponsable sans passer pour une opportuniste ?

Jean-Laurent Py : La meilleure façon pour ne pas passer pour une opportuniste, est de ne pas en être une. Il est tout à fait possible de communiquer sur ses actions RSE, quand on est sincère, concret, cohérent, et en lien avec sa marque. Au contraire, je crois qu’il y a encore beaucoup à faire et à dire, beaucoup de campagnes à imaginer, en gardant ça en tête. C’est cette idée que l’on voulait démontrer, avec humour, dans notre campagne « Full Washing ». Une campagne qui n’est pas passée inaperçue, qu’on a conçu avec plaisir et qui a été primée en France et à l’international.

Alain Roussel : Cette campagne est née d’une étude, Next Leading Brands, que nous avons menée auprès des Français en juin 2021 sur cette importante question. Il en ressort clairement que si les consommateurs veulent des marques engagées, ils ne sont pas dupes de la « gooditude ». Au contraire, ils demandent à être convaincus de la sincérité, de la réalité et de la non-gratuité de l’engagement. Près de 2 Français sur 3 en doutent. C’est un signal d’alerte non ambigu pour les décideurs. En positif, les marques qui ont de l’avenir seront celles qui ne céderont pas aux effets de mode, factices ou fugaces, et qui communiqueront sur de véritables contrats de progrès sociaux, sociétaux et environnementaux à partir de leur raison d’être, de leur utilité et de leur identité historique.

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JUPDLC : La crise sanitaire a été l’occasion pour les agences et les marques de remettre en question certaines pratiques. De leur côté, les consommateurs réclamaient plus de transparence, d’authenticité et de proximité. Est-ce qu’aujourd’hui une bonne pub doit avant tout être utile pour la société ?

Jean-Laurent Py : La marque doit essayer d’être utile pour la société. Et ce, en tant qu’entreprise et un groupe d’humains ayant un impact sur ce qui l’entoure. Le produit, lui, peut se contenter d’être utile aux consommateurs. Mais, il peut aussi être innovant, design, abordable, bon, ou juste pratique. Par exemple, une marque de beurre peut agir sur l’origine du lait, sur le bien-être animal, sur la juste rétribution des éleveurs… Mais en bout de ligne, ce qui reste le plus convaincant, c’est son goût. Le plaisir, la saveur, le partage… Ces valeurs doivent rester des arguments de différenciation et rester des briefs, des idées et des campagnes. L’enjeu est de devenir une marque globale, qui est capable de faire et de parler des deux à la fois.

Alain Roussel : L’étude Next Leading Brands (précédemment mentionnée) a clairement montré que le premier critère des Français pour préférer et consommer une marque est son utilité. Si le prix est excessif au regard de la qualité ou du service, ou si la qualité n’est pas au rendez-vous, mais aussi si l’expérience est décevante ; la perte de confiance peut être définitive ou durable pour 75% d’entre eux. Un nouvel impératif s’est révélé : les marques sont sommées d’agir sur tous les fronts. Faire plus pour les consommateurs tout en faisant mieux pour la société, proposer de bons produits tout en se comportant bien avec ses employés, faire des efforts sur les prix tout en rémunérant mieux les producteurs et fournisseurs… Cela a nécessairement des implications sur les enjeux et les messages de communication.

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JUPDLC : À travers le « Certificat de l’Influence Responsable », l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) souhaite mettre en place et promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable, respectueux des publics. Que pensez-vous de cette initiative ?

Alain Roussel : La publicité n’a jamais avancé masquée. Elle a toujours annoncé clairement ce qu’elle était. Le « Certificat de l’Influence Responsable » s’inscrit dans ce sillon. C’est évidemment une très bonne initiative de l’ARPP. Il était jusqu’ici aberrant que la confiance des audiences envers les influenceurs, soit trompée par cette confusion des genres, entre ce qui est personnel et ce qui est marchand. « Enfin ! » dirais-je, à condition que cela se généralise au-delà de la simple adhésion. Je regarderai les résultats qualitatifs et quantitatifs de ce programme avec beaucoup d’intérêt.

Jean-Laurent Py : Je like et follow Alain sur ce point.

 

JUPDLC : Dans les faits, est-ce réalisable ? Est-ce que les notions de marketing d’influence et d’authenticité sont finalement conciliables ?

Alain Roussel : Pourquoi ne le seraient-elles pas ? Selon quel impératif ou quelle injonction ? Une relation fondée sur le mensonge, fusse-t-il par omission, est désastreuse pour les marques. En matière d’influence comme pour toute autre technique de communication, seule la transparence est susceptible de créer un lien de confiance durable. Ne pas s’y conformer, c’est attiser la défiance. Et l’effet boomerang peut être violent, pour les marques, comme pour les influenceurs.

 

JUPDLC : Certaines agences proposent déjà aux marques de les accompagner pour intégrer les NFT à leur stratégie marketing. Les agences doivent-elles s’y intéresser rapidement et se positionner autour de cette technologie ?

Jean-Laurent Py : Il y a toujours un emballement à chaque nouveauté, suivi et alimenté par la communication. Et il y a quelque chose d’excitant, surtout pour des créatifs, à investir de nouveaux univers, de nouveaux terrains de jeux. Même si c’est captivant, j’ai un doute sur les NFT et leur logique de folie spéculative. Alors qu’on parle d’utilité des marques, je ne suis pas certain de l’intérêt fondamental de vendre des baskets virtuelles qui se revendent ensuite 8500$ sur OpenSea. Quant au métavers, c’est un véritable nouveau lieu de vie qui se crée. Dans lequel la communication et la création auront toute leur place.

Alain Roussel : Oui, comme le dit Jean-Laurent, il y a indubitablement un effet de mode autour des NFT. Et donc une prime ponctuelle à la primauté. Quelques marques précurseures se sont déjà positionnées. Tout reste à créer. Les jeunes générations sont digital natives. Les univers virtuels, le métavers (et ses promesses) sont des écosystèmes dans lesquels elles naviguent aisément. On peut donc parier que les NFT vont s’inscrire comme un terrain et un moyen d’expression complémentaire pour les marques. Les agences doivent donc s’acculturer à ce nouveau monde et ses opportunités rapidement. Et l’aborder avec une réelle ambition créative.

 

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