Avec un départ de la chaine prévu cet été, le businessman Vincent Bolloré laisse derrière lui une bien belle pagaille… Lumière sur le futur (incertain) de la toute première chaine privée à péage.
Avec l’arrivée de Vincent Bolloré le 3 septembre 2015, Canal+ passe dans une nouvelle ère que certains qualifient de situation de crise. En effet, avec des bilans d’audience en baisse et des taux de résiliation d’abonnements en hausse, le groupe Canal est clairement en déclin depuis 4 ans. Vincent Bolloré, venu pour rétablir la stabilité, mène un management dur avec de nombreux licenciements mais envisage aussi de modifier le contenu éditorial (même si il dément tout changement).
La chaîne de l’impertinence vouée au succès
Une quatrième chaîne de télévision voit le jour en 1984 avec à sa tête André Rousselet, en poste juste avant en tant que directeur de cabinet de Francois Mitterrand. Annoncée comme une chaîne traitant essentiellement le domaine culturel, elle perdura dans le temps en gardant cette ligne éditoriale pour être aujourd’hui encore très présente notamment à travers l’univers cinématographique.
Canal+ était donc un projet ambitieux qui avait pour but de donner un second souffle à l’offre télévisuelle. Ce fut dans un premier temps difficile, notamment dans sa quête d’audience. Mais la chaîne arrive dans les années 2000 à créer un véritable engouement qui va évoluer pendant plusieurs années, jusqu’à faire de Canal+ l’une des chaînes incontournables en France.
Elle jouit notamment de son image impertinente et décomplexée qui est mise en avant à travers des émissions devenues cultes telles que « Nulle part ailleurs », « Les Guignols de l’info » ou encore « Le Petit Journal ». Elle reste aussi fidèle à son domaine de prédilection en mettant régulièrement en lumière de grandes affiches cinématographiques jusqu’à même diffuser des créations originales, devenues fer de lance de son programme.
Malgré un succès annoncé, la chaîne connait d’énormes difficultés face à une concurrence à la fois directe, sur le média télévisuel, mais aussi à travers l’avènement du digital. De nombreux obstacles qui amènent malheureusement le groupe à des déficits d’audience assez nets depuis 2 ans. D’où l’arrivée du nouvel investisseur et président du groupe Vivendi, Vincent Bolloré, devenu désormais Président du Conseil de surveillance du Groupe Canal+.
Un Etat de crise amorcé depuis 2011
Tout allait pour le mieux pour Canal + jusqu’à l’arrivée des chaînes de la TNT en 2012. Avec ce nouveau bouquet et une offre beaucoup plus vaste pour les téléspectateurs, Canal+ a subit une énorme concurrence à la fois sur le domaine culturel mais aussi sur le sport. Le groupe Canal a tout de même profité de l’élargissement de l’offre en proposant deux nouvelles chaînes (D8 et Itélé). Malheureusement, Itélé est très loin des scores espérés notamment face à sa concurrente directe, BFMTV. Au-delà de ça, D8 reste une bonne surprise en étant l’une des chaînes piliers de la TNT. Malgré le fait qu’elle puisse parfois nuire aux audiences de la chaîne principale avec par exemple Touche Pas à Mon Poste, qui concurrence directement Le Grand Journal au même horaire.
Canal+ s’est aussi développée autour d’une offre en différé proposée via l’abonnement Canal Play. Véritable vitrine pour l’ensemble de sa gamme cinématographique, Canal a su garder la ligne éditoriale annoncée à ses débuts. Néanmoins, la chaîne n’a pas su s’adapter à l’arrivée de Netflix et de son offre streaming à bas prix. Avec un catalogue de séries et de films très alléchant, Netflix a mis une grande pression à la chaîne tv dès son arrivée en France.
Le deuxième coup dur ne se fait pas attendre. En 2015, Canal+ perd les droits de la Premier League de Football au profit du Groupe Altice. Une perte de terrain conséquente sachant que les droits de la Ligue 1 et de la Ligue des Champions sont déjà partagés entre Canal et Bein sport. C’est donc une véritable désillusion surtout lorsque l’on sait que le sport est l’un des facteurs clés d’abonnements pour Canal+. C’est aussi pour cela que la chaîne a récemment tenté un rapprochement avec Bein, qui n’a malheureusement pour eux pas aboutis dû à des conditions de contrat non respectées.
Bolloré : sauveur ou bourreau ?
Avec un état de crise déclaré, le groupe Canal était ouvert à l’idée d’accueillir de nouveaux investisseurs. C’est avec cette perspective que Vincent Bolloré arrive au sein du groupe en tant que Président du Conseil de surveillance; et c’est dès les premiers jours que la méthode Bolloré fut mise en place. 30 cadres licenciés, tel est le processus Vivendi. Quelques jours après ces personnes étaient remplacées par des proches de Bolloré. Un véritable renouveau qui s’accompagne aussi par un désir de remodelage du contenu éditorial. Vincent Bolloré veut faire de Canal une chaîne beaucoup plus mainstream (même si il dément tout changement éditorial) en supprimant des émissions telle que Les guignols de l’info. Un véritable sacrilège pour certains, un moyen efficace d’économiser pour Vivendi. Mais face à l’opposition des abonnés, Vincent Bolloré a très vite oublié l’idée de supprimer cette émission. Plus récemment, il évoque aussi le passage progressif à une chaîne quasi exclusivement cryptée, passant de 6h de diffusion en clair à 2h à la rentrée.
En sommes, Bolloré active sa méthode dans l’objectif de réduire au maximum les pertes qui selon lui sont dues à un contenu plus du tout séduisant pour le téléspectateur. Néanmoins, il agit comme un entrepreneur, réfléchissant par les chiffres et non pas par l’affecte, ce qui forcément n’est pas au goût de tout le monde. Effectivement, c’est très récemment qu’une vague de départ au sein de la chaîne a eu lieu. En même pas 1 semaine, plusieurs cadres animateurs de Canal+ ont annoncés leurs départs, bien encouragés par la méthode Bolloré. On compte plus d’une dizaine de départs des têtes d’affiches comme Yann Bartes, Maïtena Biraben, Grégoire Margotton ou encore Ali Badou. Une véritable révolution s’amorce pour la rentrée avec de nombreuses places vacantes sur des programmes phares de la chaîne, reste à savoir si Canal+ va réussir cette transition qui s’annonce assez difficile.
Mais Bolloré sait qu’il peut compter sur d’autres atouts pour un retour à la stabilité au sein du groupe. C’est pour ça qu’il mise énormément sur sa deuxième chaîne, D8. Bientôt rebaptisée C8, cette chaîne est désormais l’une des plus affluentes sur la TNT et cela grâce à une forte audience amené par son programme phare : Touche Pas à Mon Poste. Bolloré en est conscient et c’est pourquoi il accorde une place importante à Cyril Hanouna dans ses plans. Avec un peu plus de 250 millions de contrat sur 4 ans pour le maintenir sur la chaîne, Bolloré désire faire de Hanouna le patron du PAF. Avec ce programme comme fer de lance, il envisage de doubler les audiences de D8 pour pouvoir à terme rattraper M6. Il compte par exemple basculer Salut les Terriens avec Thierry Ardisson sur D8 dès la rentrée (Le Tube s’emblerait avoir le même destin). Tout cela agrémenté par un zeste de sport, qui a été lancé dès 2016 avec la retransmission de la final de la Ligue des Champions sur D8. Un véritable projet à long terme qui vise à faire de D8 une chaîne importante permettant de soutenir économiquement le Groupe Canal et de concurrencer directement M6.
Enfin, Bolloré veut aussi reprendre des parts au sein du digital. Pour cela il souhaite investir dans un grand projet pour concurrencer directement Netflix. Effectivement, il lance très prochainement la plateforme de streaming Watch qui lui permettra d’avoir un complément à Canal via un support destiné aux cinéphiles mais aussi aux auditeurs de musiques notamment avec l’aide de son contrat Universal. Une stratégie digitale bien huilée notamment avec le ralliement du groupe Studio Bagel à Canal+. Un vrai coup de maître pour attirer la cible jeunes connectés mais aussi pour redorer l’image de la chaîne. Enfin, Bolloré peut aussi compter sur ses anciens placements judicieux (comme que le rachat de Dailymotion) pour poursuivre la stratégie digitale qu’il entreprend. Une véritable adaptation au numérique est nécessaire selon lui pour pallier aux difficultés que connait Canal+ ,mais aussi pour avoir un retour sur investissement.
Bolloré, ne trouvant plus personne à licencier à Canal, vient donc de se virer lui-même. https://t.co/FZV1dxEmHa
— Tanguy Pastureau (@TanguyPastureau) June 23, 2016
Reste maintenant à savoir si ces différentes initiatives vont permettre à Canal de rétablir une stabilité financière mais aussi de revenir sur le devant de la scène en retrouvant le succès des années 2 000. Un défi qui s’annonce difficile au vu des nombreuses contradictions entre les puristes Canal et l’ogre Bolloré. Néanmoins, Vincent Bolloré se félicite déjà de ses premiers résultats et envisage de quitter la présidence de Canal+ dès cet été. Affaire à suivre..