Présidentielle 2022 : le marketing politique prend le pas sur le débat démocratique

En collaboration avec Sup de Pub
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Contrairement à 2017, aucun débat réunissant les 12 hommes et femmes candidats à l’élection présidentielle n’a eu lieu avant le premier tour du 10 avril dernier. De France 2 à BFM TV, les chaînes d’information ont pourtant tenté de réunir les prétendants, sans succès. Comme tous ses prédécesseurs depuis 1965 sous la Ve République, Emmanuel Macron refuse de se prêter à l’exercice avant un possible second tour, tandis que d’autres refusent certaines confrontations, Marine Le Pen ayant indiqué qu’elle ne souhaitait pas, par exemple, débattre avec Valérie Pécresse.

Du coup, lors de ce premier tour, ce fut aux Français de faire eux-mêmes la comparaison entre les programmes avec les moyens du bord. Autrement dit, avec des prises de paroles et de positions éparpillées deci delà, sur les réseaux sociaux, dans les meetings et parfois à la télévision. Bien qu’on ait pu observer pour cette élection une faiblesse du débat démocratique traditionnel, les candidats ne sont pas restés pas pour autant aphones. Chacun à leur manière, ils ont essayé de faire vivre leur campagne à travers un marketing politique qui investit les nouveaux codes et usages de notre société.

 

Séduire les primo-votants et les jeunes en utilisant des médias alternatifs

À eux seuls, ils ont été capables de faire basculer l’élection. Eux ? Ce sont les primo-votants, une population de 4 millions de Français qui avait entre 13 et 17 ans en 2017 et qui a voté pour la première fois cette année pour une présidentielle.

Pour les séduire, et par extension s’adresser à la population de moins de 30 ans, les candidats sont sortis des sentiers battus en s’invitant sur des canaux bien spécifiques. Depuis les incursions de François Hollande et Jean Castex, qui s’étaient pliés sur Twitch à un exercice de questions-réponses face à Samuel Etienne en 2021, les politiques ont conscience de la toute-puissance médiatique de ce réseau auprès des jeunes. Pour preuves, le 14 mars dernier, Yannick Jadot, Valérie Pécresse, Fabien Roussel, Philippe Poutou et Anne Hidalgo ont chacun leur tour exposé leurs solutions pour le climat sur la plateforme face au streamer politique Jean Massiet et à la journaliste Paloma Moritz du média en ligne Blast. Plus tôt dans l’année, les Verts avaient lancé leur propre chaîne, tandis que sur YouTube un entretien de plus de deux heures de Jean-Luc Mélenchon sur la chaîne Thinkerview a déjà enregistré plus de 1,3 million de vues.

Au-delà de la cible visée, il existe une autre raison qui explique l’importance accordée à ces médias alternatifs par les candidats. En effet, contrairement à la télévision et à la radio, sur Internet il n’existe, pour le moment, aucun principe d’équité et d’égalité du temps de parole avant une élection.

De son côté, Emmanuel Macron a décidé d’investir YouTube à sa manière en proposant sur la chaîne « Avec Vous », dédiée à sa campagne, une mini-série baptisée Candidat. Depuis le 4 mars dernier, chaque semaine une vidéo est postée afin de le suivre dans son quotidien de président et de candidat à sa propre succession. Générique, musique grave, ton intimiste, utilisation de fondu-enchaîné… Par ce format, le président sortant souhaite clairement toucher les jeunes en s’inspirant des codes graphiques des documentaires qu’on peut retrouver sur Netflix. Et que dire de sa dernière opération en date ? Emmanuel Macron souhaite lutter contre l’abstention des plus jeunes en faisant une campagne virtuelle sur le jeu vidéo Minecraft. Alors qui fut le vainqueur de ce petit jeu de séduction ? C’est Jean-Luc Mélenchon qui s’en est le mieux sorti lors du premier tour, puisque plus d’un tiers des jeunes de 18-24 ans ont voté pour lui le 10 avril dernier.

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Crédit photo : Minecraft

 

La nécessité de dépoussiérer l’exercice du meeting politique

Indéfectible arme électorale, le meeting politique avant un scrutin répond lui aussi à des choix stratégiques de communication. Tout d’abord le choix du lieu est prépondérant. Par exemple, ce n’est pas un hasard si Eric Zemmour a choisi d’investir le Trocadéro le 27 mars dernier, tant cette place représente dans l’imaginaire collectif un haut lieu de démonstration de force de la droite. De son côté, Emmanuel Macron a organisé son premier meeting le 2 mars dernier à La Défense Arena qui est actuellement la plus grande salle d’Europe. Dans ce lieu pouvant accueillir jusqu’à 40 000 personnes, le candidat a cassé les codes du meeting traditionnel dans un événement qui ressemblait plus à un événement sportif ou artistique que purement politique.

Live-tweet, diffusion en direct sur les réseaux sociaux des différents partis, les meetings politiques ont bien évidemment pris depuis la dernière élection le virage du numérique. En 2017, Jean-Luc Mélenchon innovait déjà avec un dispositif d’hologrammes lui permettant de présenter un meeting à la fois à Lyon et à Paris. Pour ce nouveau scrutin, le candidat de la France Insoumise est allé encore plus loin, testant à Nantes le 16 janvier dernier le premier meeting français immersif et olfactif. Ce jour-là, les 3 000 spectateurs ont pu profiter du discours du candidat à partir d’une diffusion à 360 degrés sur quatre écrans géants, tandis que des parfums naturels furent diffusés pour solliciter l’odorat des militants. En introduisant dans les réunions politiques ces concepts marketing, les candidats ne font pas que preuve de modernité, ils tentent également de montrer que l’innovation et la révolution numérique sont des enjeux qui font clairement partie de leurs préoccupations.

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Crédit photo : YouTube / Jean-Luc Mélenchon

 

La punchline, une arme de séduction massive

L’incursion des techniques de marketing et de communication dans le champ politique n’a rien de vraiment nouveau. L’exemple le plus flagrant étant celui du célèbre publicitaire Jacques Séguéla qui a conseillé François Mitterrand en 1974, 1981 et 1988 et qui fut également proche de Nicolas Sarkozy en 2007. Pour autant, il semblerait que pour ce scrutin les équipes de campagnes exploitent encore plus la rhétorique des agences de communication. La bonne idée du contenu à diffuser sur le bon canal a pris le pas sur les distributions de tracts sur les marchés et les réunions publiques. Bien que ces deux activités précitées perdurent, elles ne sont plus le cœur de la stratégie des candidats.

Par exemple sur Twitter, les sympathisants d’Éric Zemmour n’ont pas hésité à coordonner des campagnes de retweets massifs afin de placer leur candidat dans le top tendance du réseau comme l’indique une enquête du média Le Monde. Pour émerger face à ses adversaires, Jean Lassalle a recherché de son côté le buzz sur TikTok. Très apprécié sur la plateforme, le candidat de la ruralité n’hésitait pas à se mettre en scène en train de jouer de l’harmonica ou prodiguer des conseils pour savoir danser au mieux le paquito, une danse festive du Sud-Ouest. Créer le buzz grâce à un contenu viral est devenu un rouage essentiel du marketing politique. Pour le faire, rien de mieux également que de sortir la bonne punchline sur le plateau de « Face à Baba », l’émission animée par Cyril Hanouna qui propose un format plus orienté talk-show que débat politique.

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Crédit photo : H2o PRODUCTIONS / A BANIJAY

Toutes proportions gardées, la punchline politique n’est pas propre à cette élection. Par contre, l’importance et la caisse de résonance que représentent désormais les réseaux sociaux font que cette pratique fut ici constamment recherchée, au dépit d’une présentation claire, limpide et pédagogique de chaque programme. C’est en partie ce qui explique que l’abstention a encore une fois tutoyé des sommets lors du premier tour, puisque près d’un électeur sur quatre ne s’est pas rendu dans les urnes…

Podcast


Pour approfondir ce sujet, l’équipe de J’ai un pote dans la com a posé trois questions à Sonia Bennacer, Directrice Projet & Relations Institutionnelles, des Relations Entreprises & Formation Executive, à Sup de Pub.

JUDPLC : Pourquoi l’utilisation des réseaux sociaux fut le meilleur moyen de séduire les plus jeunes électeurs lors de cette élection ?

Sonia Bennacer : Bousculée par la crise sanitaire puis par le conflit en Ukraine, cette élection présidentielle 2022 fut rythmée par la volonté de sensibiliser les jeunes, au moyen de plateformes telles que TikTok, Twich ou auprès d’influenceurs, McFly et Carlito. Internet est bel et bien devenu un outil de communication politique, où s’organise une guerre de l’attention pour recruter de nouveaux électeurs. Toutes les techniques de data driven marketing y sont déclinées, tout comme le concept de « marque » (omniprésent aujourd’hui). Slogan, storytelling, fake news… Beaucoup de choses sont utilisées pour manipuler l’opinion publique, au détriment d’un programme ou de véritables solutions pour répondre aux attentes et inquiétudes des électeurs, sur des sujets divers. Le pouvoir d’achat, la santé, la sécurité, les retraites, pour la majorité d’entre nous, etc.

 

JUPDLC : Cette élection donne l’impression que pour remporter le scrutin, il faut séduire plutôt que convaincre. Qu’en pensez-vous ?

Sonia Bennacer : Ces élections basées sur l’émotionnel sont celles de l’homme/femme politique, produit, objet de marketing. Le vote s’est orienté et s’orientera vers celui ou celle qui « me donne l’envie, l’envie d’avoir envie » qui incarnera un choix de société, celui qui saura se mettre en scène, qui nous permettra de nous projeter vers un avenir, qui partagera également ses émotions, tout en suscitant les nôtres. Nous avons besoin de force, d’engagement et de proximité.

 

JUPDLC : Lors du premier tour, les partis dit « traditionnels » de droite et de gauche ont réalisé leur pire score à une élection présidentielle depuis le début de la Ve République. Comment ces formations politiques peuvent-elles se relever d’après vous ?

Sonia Bennacer : Cette campagne a vu la mort, presque programmée, de certains partis en l’état. Ces derniers devront donc faire preuve d’innovation pour exister autrement ; regroupement citoyens, initiatives collectives, nouveau label de la social-démocratie. D’autres seront amenés à changer de leader – l’actuel étant retraitable – et par conséquent, à revoir leur storytelling.

Mais dans ce tohu-bohu, les législatives, les 12 et 19 juin prochains, permettront encore à certains, d’être, d’asseoir ou de renforcer leur position localement. Femmes et hommes de terrain, élus, acteurs locaux, nous œuvrons pour conforter cet équilibre fragilisé.

 

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