L’intelligence artificielle a soudainement fait son apparition dans nos vies, et a également des impacts importants dans le secteur professionnel. Dans certains domaines, elle peut être utilisée comme un véritable levier. C’est le cas, notamment, des métiers de la communication. Qu’il s’agisse de produire des contenus ou d’optimiser des campagnes, l’IA peut être un véritable allié pour gagner en productivité.
Mais cette productivité ne risque-t-elle pas de nous faire évoluer, d’autant plus rapidement, vers une société de la performance ? Ces nouveaux outils révolutionnaires soulèvent en effet de nombreuses questions : quelle place restera-t-il pour la créativité ? L’arrivée des IA risque-t-elle d’intensifier la charge de travail ? Quels soft skills seront indispensables pour s’armer face à cette démocratisation ? Pour y répondre, nous avons rencontré Anne-Laure Guermont, Directrice RSE et Alexandre Ningre, Directeur expérience de marque et activations, et référent IA chez Publicis Activ.

JUPDLC : Tout d’abord, quelle place ont aujourd’hui les IA dans le secteur de la communication ?
Alexandre Ningre : Je vais devoir préciser que ma réponse est à l’image de ce que l’on observe aujourd’hui, mais que tout évolue très vite (#Deepseek). Je dirais que nous considérons cinq principaux impacts :
- Le contenu et la créativité : c’est le sommet brillant de la face visible de l’iceberg, et celui que nous avons le plus rapidement pris en main. Images, vidéos, textes, l’IA s’avèrent des alliés de la productivité, ainsi qu’une véritable plateforme de mise en scène des idées créatives.
- L’hyper-personnalisation : multiplication des messages, des formats, ATAWAD (Any Time, Any Where, Any Device) pour épouser au plus près les parcours de chaque prospect ou consommateur, les IA permettent d’accompagner la demande des marques de multiplier les assets créatifs.
- La relation client augmentée : c’est souvent par là que les marques ont démarré leur intégration du potentiel des IA. Parce que les IA permettent un réel gain de productivité pour améliorer la CX, par exemple autour de la relation client (type chatbot etc.). Cela a permis à de nombreuses marques et enseignes de se concentrer sur un relationnel consommateur plus qualitatif. Et les chatbots boostés à l’IA ne sont pas « repoussants » : au contraire ils ont l’avantage d’être disponibles 7/7j et 24/24h, pour répondre aux questions les plus communes.
« Qu’il s’agisse du combat contre les biais algorithmiques ou de la déformation de nos réalités, nous devons poursuivre le combat pour plus d’éthique et de responsabilité dans l’univers digital. »
- L’excellence opérationnelle : comme pour nos clients, les IA ont un impact sur les processus internes. Notamment grâce à l’automatisation de tâches à faible valeur ajoutée, on peut trouver des zones permettant des gains de productivité. Mais les équipes doivent toujours être vigilantes, afin de vérifier ce qui est produit par l’IA.
- Les démarches éthiques et responsables : sujet majeur, sur lequel le groupe Publicis est très actif. Qu’il s’agisse du combat contre les biais algorithmiques ou de la déformation de nos réalités, nous devons poursuivre le combat pour plus d’éthique et de responsabilité dans l’univers digital. Aussi, nous savons que les besoins des IA pénalisent l’éco-conception digitale, il faut donc les utiliser à bon escient.

JUPDLC : Quelles transformations ont-elles apporté aux métiers du secteur ?
Anne-Laure Guermont : Impossible d’être exhaustif sur ce sujet, mais l’impact est majeur depuis plusieurs années déjà. ChatGPT s’est ouvert au public il y a un peu plus de 2 ans, ce qui a déclenché le raz-de-marée que l’on connaît.
Mais les métiers de la tech (des agences comme Sapient ou Prodigious chez Publicis par exemple), ou encore les médias ont été impactés bien avant cela. Retouches visuelles, production vidéo, optimisation de campagnes, personnalisation des assets digitaux etc. Ils ont été nos « early adopters » et permettent de cascader les expertises et learnings.
Plus récemment, c’est toute la chaîne de valeur d’une agence de publicité qui a été impactée :
- Planning et stratégie : par la détection d’insights, l’analyse de documents, l’octroi d’un sparring partner à chacun pour affiner ses idées,
- Création : sans citer ce que l’on a déjà pu évoquer, des outils comme Adobe Firefly permettent de réels gains de productivité pour de nombreuses tâches de retouche, intégration visuelle etc. Sans parler des IA textuelles, vidéos, sonores…
- Social média : chaque CM peut à présent « tchatter » avec un sparring-partner configuré pour bien connaître la marque ou le secteur d’activité concerné afin de peaufiner des idées ou les formats adéquats.
- Gestion de projet : CR de réunions, analyse ou synthèse de documents, benchmarks…
- Production : la prochaine étape est celle de la création vidéo qui devrait opérer une révolution semblable à celle de la production d’image lorsqu’on voit des modèles comme Sora ou la suite Adobe Firefly, par exemple.
Mais dans la pratique, il n’y a pas de gain de productivité s’il n’y a pas une vérification appropriée. On entend parfois parler d’automatisation dans la création et la gestion d’assets, de campagnes avec quelques effets d’annonce. Pour l’instant, notre expérience démontre que la vérification est toujours cruciale…
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JUPDLC : Nous entendons souvent parler de « société de la performance ». Sur un plan professionnel, comment les IA vont-elles renforcer ce concept ? Selon vous, est-ce une bonne chose ?
Anne-Laure Guermont : Depuis leur démocratisation, et encore à l’heure actuelle, les IA génératives créent pas mal de fantasmes et peuvent faire croire à une révolution sur le ROI du secteur de la communication. Cela semble si simple de créer un visuel, une vidéo, un podcast…
Alors, oui, dans certains secteurs il y a de réels gains (cf le CRM ou la relation client plus haut). Cependant, pour d’autres actions, on « débunke » beaucoup. On revient vite sur terre lorsqu’on parle des sujets juridiques ou RGPD, la question de la collecte de data, etc.
Depuis plusieurs années déjà, la demande de production d’assets (par exemple pour une campagne média) augmente, mais moins vite que les budgets associés… Il y a un combat pour la valeur dans notre secteur d’activité qui est très important. Ces idées de gains de productivité peuvent en effet renforcer ce concept de performance, de « moindre coût ». Au final, nous préférons parler de « compétences augmentées » : on peut explorer plus vite, réfléchir plus largement sur chaque sujet. Si les IA vont ou peuvent permettre de gagner du temps, cela ne se fait pas en un claquement de doigts ! Le paramétrage, les questions juridiques, de data, et en sortie d’IA : la vérification, la retouche etc. sont importantes. Selon moi, nous sommes encore au début de ce que nos métiers seront dans 3, 5 ans.
JUPDLC : Selon vous, les possibles gains de productivité peuvent-ils mener, de manière paradoxale, à une intensification du travail ?
Alexandre Ningre : On entre presque dans des notions économiques, sociales, voire sociétales avec cette question… Est-on en train de voir les journées de travail s’allonger ? Aujourd’hui les gains de temps doivent être relativisés. Raison pour laquelle nous préférons parler de ces « compétences augmentées » qui permettent à chacun de mieux travailler.
Pour une agence créative comme la nôtre, j’imagine que le travail autour de l’idée sera priorisé, avec plus d’analyse de marché, de détection d‘insights, au craft, mais aussi d’analyse de la mesure, d’ajustement en temps réel, et idéalement, d’éco-conception, d’éco-production autant que possible… Je ne crois pas que, dans son ensemble, le travail devienne plus intense (en agence, il l’est déjà pas mal !). J’espère que l’on aura plus de « temps de cerveau disponible » pour mieux faire, rendre la communication toujours plus pertinente, engagée et engageante, « utile ».

JUPDLC : Dans ce contexte, pensez-vous que les IA soient un tremplin ou, au contraire, un frein à la créativité et à l’innovation ?
Alexandre Ningre et Anne-Laure Guermont : Tout dépend si on pense « maîtriser » les IA ou les subir. Je penche plutôt pour la maîtrise… Chez Publicis, nous sommes au service de la créativité. Donc bien sûr on est plutôt optimistes lorsqu’il s’agit de créer les nouveaux imaginaires (en tout cas, on y travaille !). Ici c’est le nouvel imaginaire de notre propre métier qui est à écrire. En cela, on pourrait voir dans les IA de formidables tremplins vers un idéal de productivité et d’épanouissement au travail. D’ailleurs, c’est ce que réclament de plus en plus les nouvelles générations ! Quant à la créativité, elle est protéiforme. On ne nous prédit pas que les IA remplacent un jour le cerveau humain, surtout dans notre capacité à être disruptifs, décalés, à prendre tout le monde à contre-pied. Regardons les pubs du Superbowl cette année, est-ce qu’on imagine une IA capable de concevoir des spots aussi créatifs ?
JUPDLC : Selon vous, quelles compétences humaines sont indispensables pour s’adapter à cette soudaine démocratisation ?
Anne-Laure Guermont : S’adapter aux révolutions cycliques demande de l’agilité et une certaine capacité à réapprendre ce que l’on savait auparavant. Comme dans Le Cercle des Poètes Disparus, il faut savoir changer de point de vue. Je dirai que la compétence la plus importante est la curiosité.
L’autre point clé c’est évidemment la formation. L’importance de celle-ci ne peut être sous-estimée dans ce monde en constante évolution. Se former devient non seulement un atout, mais une nécessité pour rester compétitif.
En tant que recruteur on va se tourner encore plus vers des profils venant de formations qui certes, donnent un socle solide sur les usages de l’IA, mais que ! En effet, la culture générale, les fondamentaux des sciences humaines, l’esprit critique ou encore la posture éthique sont aujourd’hui vraiment différenciants. C’est le cas par exemple de la formation Audencia SciencesCom qui se distingue depuis sa création par son exigence académique en poussant ses étudiants à l’analyse et à la réflexion. Cela permet de les préparer au mieux à leurs futurs métiers, et c’est essentiel pour nous agences d’accueillir des stagiaires, alternants et jeunes recrues ayant déjà une excellence académique et opérationnelle sur ce sujet.
« Si vous ne vous obligez pas, la compétence ne viendra pas à vous… Comme on l’a souvent entendu : ce ne sont pas les IA qui vous remplaceront, ce sont vos collègues qui maîtrisent ces IA. »
Alexandre Ningre : Nous avons la chance au sein du groupe d’avoir une stratégie d’autoformation en place depuis l’année dernière, personnalisée selon le niveau personnel d’acculturation aux IA pour chacun des collaborateurs. Mais si vous ne vous obligez pas, la compétence ne viendra pas à vous… Comme on l’a souvent entendu : « ce ne sont pas les IA qui vous remplaceront, ce sont vos collègues qui maîtrisent ces IA ». Alors, pour accompagner ces changements, les agences du Groupe Publicis mènent en interne des démarches d’acculturation propres à leurs métiers pour entraîner ce changement.

JUPDLC : Avec l’arrivée des IA, comment imaginez-vous le secteur à plus ou moins long terme ?
Alexandre Ningre et Anne-Laure Guermont : La communication (« la pub ») souffre d’une mauvaise image lorsqu’elle ne cible pas, qu’elle « inonde », pire, qu’elle vise à côté. Cela s’est déjà beaucoup amélioré, mais on peut espérer mieux grâce aux IA. Elles ont le potentiel de concrétiser l’hyper personnalisation que marques et consommateurs appellent de leurs vœux, pour adresser le bon message/offre à la bonne personne au bon moment, sur le bon device (dans ma voiture, sur mon téléphone, via la smart TV…).
On peut rêver à un métier qui se concentre toujours plus sur la compréhension des besoins et leur réponse par des idées, de la créativité et des campagnes qui optimisent les interactions marques – cibles. C’est d’autant plus intéressant qu’elles bouleversent nos processus (à peu près) en même temps que la nécessité de créer et animer de nouveaux imaginaires.
Pour en savoir plus sur Audencia SciencesCom, rendez-vous sur sa page école dédiée !