Interview – Quel avenir pour les marques à l’ère des IA agentiques ?

Par Charlotte Pierre

26 juin 2025

En collaboration avec Razorfish France

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Les intelligences artificielles agentiques marquent une vraie rupture. On ne parle plus ici d’un chatbot ou d’un moteur de recherche intelligent, mais d’assistants capables d’accomplir des tâches et de prendre des décisions. Réserver un restaurant, organiser un voyage, acheter un produit en ligne, envoyer un message… Ces IA savent écouter, planifier, et surtout, agir dans le monde numérique.

Ce changement de paradigme est sur le point de transformer profondément notre rapport au digital. Car si ces agents agissent comme un intermédiaire, qui comprend les besoins des consommateurs, compare les options et agit à leur place… Comment les marques devront-elles s’adresser à leur audience ? Quels sont les risques et opportunités pour leur visibilité et leur expérience digitale ?

Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons rencontré deux experts aux approches complémentaires : Thomas Rayez, Directeur de la Technologie, et Jeremy Barré, Directeur de l’Expérience chez Razorfish France, l’agence digitale de Publicis. Le premier apporte une lecture technologique, le second, une vision design. Avec eux, nous explorons une question qui agite l’agence depuis un moment déjà : quel avenir pour les sites et applications des marques face à ces assistants intelligents ? Si certains annoncent leur disparition, remplacés par une intermédiation totale des IA, derrière cette vision radicale et un peu racoleuse se cache un enjeu bien réel : comment les marques peuvent-elles continuer d’exister dans cette nouvelle réalité ? Ils nous répondent !

 

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Thomas Rayez et Jeremy Barré. Crédit photo : Razorfish France

 

JUPDLC : Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment ont évolué les IA au cours des dernières années ?

Thomas Rayez : L’histoire des IA génératives grand public (comme OpenAI, Gemini, Mistral, Anthropic), bien que courte, est riche en évolutions. Nous avons constaté une progression extrêmement rapide de ces systèmes. Les capacités de ces IA se sont étendues d’année en année, marquées par des étapes clés. À leurs débuts, elles n’avaient qu’un seul mode d’interaction : le texte. Elles ne comprenaient que le texte et ne s’exprimaient qu’en texte.

En étudiant leur évolution avec une perspective anthropologique, nous pouvons dire que les IA ont acquis la vision, l’audition, et appris à parler en un laps de temps très court. Elles ont acquis la vision en étant capables de comprendre des images et des documents de plus en plus complexes. L’audition et la parole permettent désormais des interactions plus fluides, plus naturelles et intuitives.

Parallèlement, l’augmentation de la taille de la fenêtre mémorielle, c’est-à-dire, l’augmentation du volume d’informations qu’elles peuvent utiliser pour l’accomplissement d’une tâche, la réduction des coûts, des entraînements plus fréquents, ainsi que la possibilité d’effectuer des recherches sur Internet, rendent les réponses de plus en plus pertinentes.

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Dans le podcast « J’ai pas compris » de Razorfish, Jérémy Barré détaille tous les pouvoirs et scénarios futuristes des IA agentiques. Crédit photo : Razorfish France.

 

JUPDLC : Les IA agentiques représentent donc un progrès, une nouvelle étape ?

Thomas Rayez : Oui, toujours en adoptant une perspective anthropologique, nous pouvons constater que les IA ont acquis la capacité de raisonner et de prendre des décisions, ainsi que celle d’interagir avec leur environnement numérique.

Beaucoup d’entre nous utilisent des IA au quotidien pour rechercher des informations, analyser des documents, obtenir des conseils ou produire du contenu (texte, vidéo, image, etc.). Cependant, ces recommandations sont généralement examinées par un humain avant d’être utilisées ou le plus souvent ignorées.

 

« C’est l’un des deux principaux traits des IA agentiques : la capacité de décider. Le second trait important des agents IA est leur capacité à agir dans leur environnement élargi. »

 

Dans le cadre des IA agentiques, leur « prompt mechanism », soit la capacité à traiter des informations et déclencher des actions pour répondre à des demandes utilisateur sans intervention humaine, leur confère une certaine autonomie pour décider et agir afin d’accomplir certaines tâches.

C’est l’un des deux principaux traits des IA agentiques : la capacité de décider. Le second trait important des agents IA est leur capacité à agir dans leur environnement élargi, par exemple, en enregistrant des rendez-vous dans mon agenda, en envoyant des messages, en payant une facture, en réservant une table dans un restaurant, ou en achetant un bouquet de fleurs pour ma femme, sans aucune validation humaine.

Nous avons un cas concret pour l’illustrer : à l’occasion de VivaTech, Razorfish a développé Razorline, un agent IA vocal téléphonique, qui donnait au public de l’événement des recommandations sur-mesure de startups ou conférences au cours d’un simple échange téléphonique.

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JUPDLC : Concrètement, comment fonctionnent les IA agentiques ?

Thomas Rayez : Les IA agentiques suivent trois étapes clés : percevoir, raisonner et agir. Contrairement aux assistants vocaux classiques, elles ne se contentent pas de répondre à une requête, elles exécutent des tâches de manière autonome.

D’abord, elles perçoivent l’environnement en analysant la demande de l’utilisateur ainsi que toutes les informations contextuelles pertinentes, comme l’agenda, les échanges sur WhatsApp ou les préférences passées. Elles croisent ensuite ces données avec des sources externes, par exemple la disponibilité des vols ou les conditions météo.

 

« Les IA agentiques suivent trois étapes clés : percevoir, raisonner et agir. »

 

Ensuite, elles raisonnent en établissant un plan d’action. Elles évaluent les options possibles, optimisent les choix selon les contraintes et ajustent leurs décisions en temps réel, sans nécessiter d’intervention humaine.

Enfin, elles passent à l’action. Une IA agentique ne suggère pas simplement un vol, elle le réserve, choisit le meilleur siège, met à jour l’agenda et peut même anticiper des besoins complémentaires comme un taxi à l’arrivée.

En intégrant compréhension, réflexion et exécution, ces agents redéfinissent notre rapport aux services digitaux, transformant l’expérience utilisateur en une interaction totalement fluide et automatisée.


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JUPDLC : Justement, quel impact sur nos interactions digitales demain ?

Jeremy Barré : L’impact sera colossal. L’arrivée des IA agentiques va profondément bouleverser nos usages. Il ne s’agit plus de se demander si cela va arriver, mais plutôt à quelle vitesse ! C’est pourquoi, chez Razorfish, nous nous y préparons depuis un moment déjà. Restons concrets : imaginons que je demande à mon agent IA, intégré à mon smartphone, de trouver un billet d’avion en cohérence avec mon agenda ainsi qu’avec mes conversations de groupe sur WhatsApp, puis de le réserver pour moi. Comme évoqué par Thomas, l’agent va analyser la requête, établir un plan d’action et enfin exécuter les différentes tâches sans mon intervention. Dans ce contexte, il devient évident que je ne visiterai pas le site de réservation. C’est mon agent qui s’en chargera à ma place.

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Jeremy Barré intervenant à l’événement IA & XP digitale. Crédit photo : Razorfish.

À mesure que le trafic en provenance des agents IA va croître sur les sites des annonceurs, la part des visiteurs humains baissera mécaniquement.

Bientôt, le client ne sera plus systématiquement l’humain, mais l’agent IA, qui jouera le rôle d’intermédiaire et d’assistant personnel. Faut-il pour autant abandonner les sites internet et les applications mobiles ? Nous sommes convaincus que non.

 

« Il faudra toujours se battre pour les premières places ! »

Ce changement majeur dans les usages implique deux choses :

  • Une adaptation des services digitaux à ce nouveau type de trafic. Tout comme un bon référencement permet aujourd’hui à un visiteur de trouver facilement un service via les moteurs de recherche, demain, les annonceurs devront s’assurer que leurs services sont optimisés et bien compris par les IA agentiques en amont. Il faudra toujours se battre pour les premières places ! Ensuite, pour les annonceurs qui vendent des services ou des biens en ligne, il faudra s’assurer que l’ensemble des étapes de la transaction soient réalisables par des IA agentiques.
  • Un lien plus rare, mais plus exigeant avec les marques. Si nous allons déléguer de plus en plus d’activités digitales sans valeur ajoutée, nous conserverons néanmoins un lien avec les marques. Nos interactions avec elles seront certes plus rares, mais elles seront choisies et nos attentes seront alors plus élevées. Dans ce contexte, les marques devront identifier et renforcer la valeur ajoutée qui justifiera une visite en personne. Il s’agira donc de repenser profondément les expériences digitales et ce qu’elles apportent aux visiteurs humains.

 

JUPDLC : Comment les annonceurs peuvent-ils se préparer pour rester en première place avec l’arrivée des IA agentiques ?

Jeremy Barré : La première chose à faire sera de maintenir l’effort de référencement traditionnel. Une recherche effectuée via une IA est aujourd’hui dix fois plus « chère » qu’une recherche traditionnelle et son impact environnemental infiniment plus important. Même si la proportion de recherches faites depuis des assistants va augmenter rapidement dans les prochaines années, la recherche traditionnelle n’est pas morte pour autant et chaque secteur sera impacté de manière différente (le commerce en ligne par exemple devra probablement réagir plus rapidement que d’autres secteurs).

 

« Enfin, il leur faudra changer de paradigme, car la recherche ne se fera plus par mots-clés, mais par intentions. »

 

Avec l’arrivée des agents IA, les annonceurs devront exposer leurs services et faciliter l’introspection de ces services. Cela se fera avec l’aide des éditeurs de solutions, des intégrateurs et des agences. La bataille de la donnée ne fait que commencer et les annonceurs devront avoir une stratégie claire quant à son utilisation, trouver le bon équilibre entre ce qui sera rendu accessible aux IA et ce qui devra rester « chez eux ».

Enfin, il leur faudra changer de paradigme, car la recherche ne se fera plus par mots-clés, mais par intentions. Cela signifie que pour répondre aux requêtes de demain, il faudra penser et parler comme un humain à travers des contenus plus proches des conversations naturelles.

Pour résumer en quelques mots, les annonceurs devront se préparer à avoir 3 groupes d’audiences :

  • Les bots dits « classiques » qui servent aujourd’hui au référencement naturel et qui faciliteront la compréhension par les différents modèles d’IA
  • Les IA agentiques qui devront pouvoir exploiter les informations et les services digitaux proposés par les marques
  • Et enfin les bons vieux humains qui seront présents pour quelque temps encore !

 

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Jérémy Barré et Viken Darakdjian, Directeur des Strat & Data de Razorfish, lors de la table ronde sur l’IA et l’expérience digitale des marques organisée par l’agence, avec des prises de parole de Nissan, Sanofi, La Centrale et la scale-up Alan. Crédit photo : Razorfish.

 

JUPDLC : À quoi ressemblera un site d’annonceur demain ?

Jeremy Barré : Plusieurs tendances se dessinent déjà. Tout d’abord, nous allons probablement assister à une accélération de l’usage de la voix dans les interactions, y compris pour la découverte et la navigation en ligne. Les services digitaux seront également de plus en plus centrés sur la recherche. Avec les IA, le search et la requête utilisateur reviennent au centre du jeu — et donc des interfaces !

Ce sont d’ailleurs ces interfaces qui vont être le plus chamboulées. Elles deviendront fluides, presque organiques, s’adaptant en temps réel à l’utilisateur, à ses requêtes et à ses besoins spécifiques. Je ne verrai pas le même site, les mêmes images ni les mêmes textes que mon voisin, car nous sommes différents, tout comme nos attentes. Aujourd’hui confinées dans des fenêtres de discussion, les IA seront totalement intégrées à l’expérience utilisateur ; elles seront l’expérience.

Dans ce contexte où le fonctionnel primera, les marques devront redoubler de créativité pour se démarquer et réinventer leur présence digitale. Elles devront proposer des contenus à forte valeur ajoutée — ce que l’on appelle le Deep Content. Concrètement, cela passera par la mise en scène et la scénographie des contenus, afin d’immerger le visiteur dans une expérience unique. Il s’agira aussi de valoriser l’histoire des marques, leurs spécificités et les humains derrière leurs produits. Comme un pied de nez au tout-digital, nous pensons que ce sont le réel, l’humain, le tangible et les émotions qui feront la différence.

 

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