Quand la fast fashion emprunte (beaucoup) à la haute couture

En collaboration avec SUP’DE COM
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« Être copié est la rançon du succès », clamait la grande créatrice de mode française, Gabrielle Bonheur Chasnel, alias Coco Chanel. Une phrase d’autant plus véridique quand on constate qu’en 2023, la fast fashion s’approprie de plus en plus les atours du luxe et de la haute couture ! Et ce, des codes de communication aux activations marketing – comme les mécénats artistiques, les collaborations et les défilés façon Fashion Week – en passant par les vêtements eux-mêmes. En effet, les enseignes de fast fashion comme Zara, Mango, Stradivarius ou H&M, sont réputées pour reproduire les créations des grandes maisons. Des pratiques qui soulèvent des questions d’image mais aussi éthiques et juridiques, liées à la propriété intellectuelle.

À l’occasion de la journée mondiale de la propriété intellectuelle (ce 26 avril), nous explorons l’épineuse question des « dupes », véritable zone grise de l’industrie de la mode. Entre inspiration et copie, quelle est la limite ? Quels sont les enjeux pour les marques comme les consommateurs ?

 

La fast fashion s’habille en Prada

Propriété intellectuelle : la mode a sa propre logique

Pour rappel, la notion de « propriété intellectuelle » fait référence aux « œuvres de l’esprit ». Autrement dit, les inventions, les innovations, les œuvres littéraires ou artistiques, les dessins, les modèles, mais aussi les emblèmes et les noms utilisés dans le commerce. Cette propriété intellectuelle est soutenue par la loi afin de garantir à son créateur une certaine protection et reconnaissance, mais aussi un avantage financier. Des atouts concrétisés par des brevets, des enregistrements (de marque, par exemple) ou encore des droits d’auteur. Notons que les créations de mode sont protégées par ce dernier, selon l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle. Et ce, à condition de répondre à certains critères dont celui de l’originalité. Par conséquent, une reproduction – partielle comme intégrale – de ces créations, sans autorisation, devrait être automatiquement sanctionnée et assimilée à de la contrefaçon. En effet, nous pouvons citer un autre article du Code de la propriété intellectuelle, le L335-2 : « toute contrefaçon est un délit ». Et pourtant…

Dans le monde de la mode, ce droit d’auteur est de plus en plus mis à mal. La raison ? La copie semble être devenue la norme. Du moins, elle est tolérée par beaucoup, au simple motif que les imitations répondent à une tendance à suivre. Par ailleurs, pour plusieurs maisons de haute couture, être copié est flatteur, puisque cette action est révélatrice de succès. Les acteurs de la fast fashion vont alors s’en inspirer, en sachant que le luxe donne indirectement son accord. Dans ce cas, on va jusqu’à parler de réplique abordable et légale d’un produit : un « dupe ». Précisons qu’il est réalisé avec des matériaux moins chers et de qualité inférieure à l’original. Mais, comme le précise Charlotte Conte, Consultante et formatrice en communication de SUP’DE COM ; la limite entre la contrefaçon et le dupe est (très) fine.

« Le sujet des dupes et contrefaçons est très complexe. Est-ce que mon idée est géniale ou existe-t-elle déjà ? Bien que des institutions existent comme l’INPI en France, certaines entreprises ont le souhait de copier pour ne pas être leaders mais de purs challengers tout en restant compétitifs sur les prix de vente (Zara, Shein…). De la sorte, ils baissent leurs coûts de recherche et développement et s’approprient le travail de fond des chasseurs de tendances. »

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Crédit photo : Adobe Stock / @Heorshe

Elle poursuit : « Dans mes cours j’utilise la méthodologie du Design Thinking afin que mes élèves soient acteurs de leurs apprentissages. Ici tout réside dans la documentation et la recherche. Les étudiants effectuent ainsi des revues de presse et sont amenés à se poser de nombreuses questions et ils s’aperçoivent très souvent qu’il y a de nombreux problèmes juridiques depuis plusieurs années. {…} J’explique aussi à mes élèves que leur génération (la GenZ) est dans une nouvelle ère, dans laquelle on ne souhaite pas être dupée par les entreprises. Si elle achète un vêtement de luxe quelque part, elle veut être sûre que celui-ci est signé ou certifié. On parle donc d’assurance client, de contrat de confiance. Ainsi, beaucoup de marques ajoutent de plus en plus des éléments reconnaissables : comme un savoir-faire qui se transmettrait de génération en génération. »

 

Quand le business model de la fast fashion incite à la copie

Le modèle économique de la fast fashion repose sur la production massive et à grande échelle, de vêtements à bas prix. Des habits qui se veulent à la pointe des dernières tendances et modes. Si bien que le rythme de renouvellement des collections est effréné !

Charlotte Conte ajoute : « Je pense que le business model des enseignes vieillissantes de prêt-à-porter a atteint ses limites, car il était trop tourné vers l’entreprise et non vers le consommateur. Aujourd’hui ce dernier doit être au cœur du processus stratégique de l’entreprise, afin de connaître ses motivations, ses freins, ses habitudes. Le consommateur veut qu’on lui fasse ressentir un sentiment d’appartenance, qu’on soit à son écoute et qu’on lui propose donc une personnalisation. La notion de temps est également centrale : le consommateur veut une expérience d’achat écourtée grâce à la proposition d’articles susceptibles de lui plaire. Les sites de fast fashion sont très forts pour ça car ne lésinent pas sur les moyens pour embarquer les internautes dès le départ ! »

Aujourd’hui, on parle même « d’ultra fast fashion », avec en tête de liste Shein. Cette marque produit toujours plus et toujours plus vite. Pour preuve : elle met en ligne 6 000 nouveaux habits sur son site chaque jour, en moyenne. Inutile de rappeler que ce modèle – fast fashion et ultra fast fashion – est très controversé puisqu’il est donc synonyme de gaspillage et de pollution. En 2017, par exemple, H&M est accusé d’avoir brûlé pas moins de 12 tonnes de vêtements invendus. Ces impacts sur l’environnement suscitent l’émoi du grand public, au même titre que les scandales sur les produits chimiques et nocifs présents dans lesdits vêtements et les conditions de travail dans les usines de confection. Mais ça, c’est l’objet d’un autre article.

Pour suivre le rythme, les géants de la fast fashion s’inspirent donc régulièrement des modèles des marques de luxe – synonymes de renouveau et de prestige – au point de les reproduire. À titre d’exemples, H&M s’approprie les minijupes et pulls crop tops de Miu Miu, alors que Zara copie les sandales Hermès et le sac matelassé « Chain Cassette » de Bottega Veneta. Les plus petits créateurs ne sont pas non plus épargnés, à l’image de Rains et de MaisonCléo. Si certains de ces acteurs n’ont pas intenté d’actions en justice à l’encontre de ceux de la fast fashion, ce n’est pas le cas de tout le monde…

 

Une succession de procès

Certains acteurs du luxe ont, malgré tout, contesté et tiré la sonnette d’alarme… Sans grand résultat. Prenons le cas de la célèbre semelle rouge des escarpins créés par Christian Louboutin. Un signe distinctif de la griffe, qui fait des envieuses, aussi bien auprès des consommatrices que des marques.

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Crédit photo : Adobe Stock / @fortton

Plusieurs surfent d’ailleurs sur cet engouement, dont Cesare Paciotti, Yves Saint Laurent, Eden Shoes et Zara. Si bien que depuis 2007, Christian Louboutin multiplie les procès. Mais il en ressort perdant à chaque fois. Typiquement, c’est en 2008 que le créateur intente un procès à la marque espagnole, préalablement citée. Il l’accuse d’avoir copié ses semelles, donc de vendre des contrefaçons ; d’exercer une « concurrence déloyale et parasitaire » puisque l’enseigne vend ses escarpins au prix de 49€, mais aussi de « créer la confusion » auprès des publics. Pourtant, en 2011, la justice française tranche en faveur de Zara. L’argument ? La Cour d’Appel de Paris estime que « ni la forme, ni la couleur du signe déposé ne sont déterminées avec suffisamment de clarté, de précision et d’exactitude pour être de nature à lui conférer un caractère distinctif propre à permettre d’identifier l’origine d’une chaussure ». Elle exige même que Christian Louboutin verse 3000€ de dommages et intérêts à Zara.

Autre exemple plus récent (2022) : l’action en contrefaçon menée par Isabel Marant contre H&M a aussi été écartée et rejetée par la justice. Lors de ce procès, la Cour d’Appel de Paris a reconnu que la veste grise « Éloïse », de type jean de la créatrice de mode bénéficiait bien d’un droit d’auteur. Mais, ce « modèle-là » contient divers éléments luxueux et sophistiqués (broderies, sequins, pierreries…) représentant des étoiles, des yeux et des mains. Des éléments « cosmiques et ésotériques » qui ne figurent pas sur la veste fantaisiste de l’enseigne H&M. Un vêtement qui n’est pas de la même matière que celle d’Isabel Marant et qui n’arbore pas le même nombre de poches. Ces détails différenciants l’ont remporté sur la ressemblance.

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Mais les marques de fast fashion ne se contentent pas de reproduire les créations… Elles en parlent aussi de la même façon !

 

Les marques de fast fashion s’approprient les codes du luxe

Des campagnes de communication et marketing similaires

Le ton, la musique, la charte graphique et même la direction artistique, propres aux grandes maisons, semblent séduire de plus en plus les marques de fast fashion qui les intègrent à leurs stratégies. À titre d’illustration, nous pouvons citer Zara qui sollicite le célèbre photographe Paolo Roversi, réputé pour ses clichés pour les magazines de mode et les marques de luxe. Ainsi, celui-ci signe la campagne du géant espagnol, qui vise à promouvoir sa première collection d’essentiels (pardessus, ponchos et cape) en édition limitée. Précisons que ces vêtements arborent des prix allant de 299€ à 399€, soit des tarifs trois fois plus élevés que « la normale ». Puis, en décembre 2021, Zara fait appel à un autre habitué des maisons de luxe, dont Dior, pour réaliser son film de Noël : le réalisateur Luca Guadagnino.

Mais les équipes derrière les caméras ne sont pas les seules à changer : les lieux aussi. Prenons l’exemple de Mango. La marque a dévoilé en grande pompe sa collection créée en collaboration avec Pernille Teisbaek, styliste et influenceuse, au cœur de la chic galerie Louise Roe de Copenhague. Par cette action, la marque cherche à monter en gamme, à modifier la façon dont elle est perçue. Une ambition qu’elle souhaite atteindre en prêtant, elle aussi, plus attention aux matières, aux modèles – qui se veulent intemporels – et aux quantités produites.

Ce rapport à l’art, on le retrouve de plus en plus au sein de la fast fashion, via les collections certes, mais aussi d’autres opérations comme les mécénats artistiques. Nous pouvons citer le cas de Stradivarius qui donne de la visibilité à des talents émergents en transformant ses magasins en « galeries d’art ». Le nom de ce projet ? « Stradivarius Meets Art ». Dans ce cadre, la marque a lancé, pour la première fois, un appel mondial en 2021 sur les réseaux sociaux, pour inviter de « nouveaux artistes » – toute catégorie confondue – à présenter leur travail. Cette année-là, la sélection s’est faite en collaboration avec l’artiste cubaine Rachel Valdés, conseillère artistique et ambassadrice dudit projet. Après cette phase de tri, Stradivarius propose aux talents choisis de les exposer dans ses boutiques, en parallèle d’une véritable performance artistique ; mais aussi en ligne. Un argument non négligeable quand on sait que la marque compte 8 millions d’abonnés sur Instagram aujourd’hui. Inutile de préciser que les griffes de luxe sont habituées à cette stratégie.

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Crédit photo : Stradivarius

Charlotte Conte, Consultante et formatrice en communication de SUP’DE COM ; explique : « Aujourd’hui le milieu de la mode change et on veut y voir plus d’humanité. Faire appel à des personnes de proximité, des jeunes talents, les suivre dans cette aventure grâce à du contenu qualitatif disponible sur les réseaux. Les consommateurs veulent connaître les visages de ceux qui sont et font les marques. Ils veulent de la transparence. Aujourd’hui, l’enjeu premier est et restera surtout l’expérientiel. C’est le cœur du sujet. »

 

Bientôt la Fast Fashion Week ?

Et si la fast fashion avait sa propre Fashion Week ? Depuis plusieurs années, elles sont nombreuses à organiser leurs propres défilés de mode, pour promouvoir leurs collections. Des temps forts qui sont pourtant représentatifs du luxe, et qui se veulent toujours plus spectaculaires et théâtraux.

À titre d’exemple, nous pouvons citer l’évènement Rock The Runway : SHEIN for All, qui, pour sa deuxième édition en 2022, coïncidait avec la Fashion Week (du 18 au 22 février). Et autant dire que la marque a sorti le grand jeu avec des shows d’Avril Lavigne, Shenseea, Ylona Garcia et plusieurs autres artistes. L’objectif ? Mettre en avant les collections automne/hiver de Shein évidemment, mais aussi de ses sous-marques comme ROMWE, DAZY ou MOTF, sa marque premium. Dans la même catégorie, nous avons PrettyLittleThing, acteur lui aussi de l’ultra fast fashion qui use des codes du luxe. Épinglée en 2021 dans un documentaire choc d’Arte sur les conditions de travail dans ses usines de production ; la marque tente de redorer son image à coups de paillettes et concerts sur le podium. PrettyLittleThing aussi a pris l’habitude de défiler en même temps que la Fashion Week, depuis plusieurs années ; ce qui contribue à flouter le message auprès du grand public.

 

Place aux collaborations

Il est important de noter que le luxe s’est lui aussi embarqué dans la fast fashion avec des collaborations dites « high-low ». Et ce, pour atteindre une cible plus large et s’éloigner des traditions élitistes obsolètes. À ce titre, nous pouvons citer le partenariat entre Karl Lagerfeld et H&M en 2004. Le Directeur artistique de Chanel est alors le premier à initier ce mouvement de « démocratisation du luxe ». La pièce culte de leur collection ? Une veste pailletée, éditée en quelques centaines d’exemplaires. À la suite de quoi, H&M va collaborer avec Stella McCartney (2005), Viktor&Rolf (2006), Jimmy Choo (2009), Lanvin (2010), Versace (2011)…

Charlotte Conte témoigne : « Je me souviens avec mes sœurs et mes amies, nous attendions avec impatience la collaboration de l’année : Karl Lagarfeld ou Jimmy Choo par exemple. Des pièces dans le style de, mais à prix raisonnable, tout en étant bien supérieurs à ceux appliqués par la marque habituellement. Pourquoi cela marchait ? Car il y avait une idée d’exclusivité, des petites quantités disponibles par magasin, et surtout aucune possibilité d’acheter en ligne. »

Pour 2023, c’est la maison française Mugler qui marque la collaboration évènement du géant suédois. Conçue par Casey Cadwallader, leur collection sortira en mai prochain et promet de faire vivre l’héritage de la maison de luxe dans des pièces « grand public » conçues en collaboration avec H&M.

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Crédit photo : H&M

Une autre collaboration de mode fait grand bruit cette année : celle de Zara et Clarks, dévoilée en janvier dernier. Le revers de ces médailles ? Ces célèbres créateurs contribuent à rendre la « mode rapide » plus désirable…

Qu’en est-il des marques de fast fashion ? Pourquoi miser sur des collaborations artistiques ou s’associer à d’autres marques de renom ? Régulièrement dénoncées et accusées d’être des imitateurs bon marché, on peut supposer que les marques de fast fashion souhaitent faire taire les critiques, ou tout du moins, les atténuer. Nous pouvons citer les propos tenus par Morgane Pouillot, planneur stratégique de Leherpeur Paris, dans Le Monde : « C’est comme si elles voulaient se racheter une légitimité à travers une conscience créative. Avec ces initiatives, elles se positionnent comme des créateurs capables de produire de l’inédit et pas seulement comme des copieurs ». Ce à quoi Charlotte Conte, Consultante et formatrice en communication de SUP’DE COM, répond : « Peut-être que nous devrions arrêter de voir les enseignes de fast fashion comme des marques qui se cherchent une légitimité. En fait, si on regarde bien, elles l’ont déjà. Elles ont leur place sur le marché. Elles répondent à une demande et proposent une offre. Je pense qu’au contraire, il faut imaginer notre monde de demain avec cette typologie d’entreprises. Ce qu’elles font actuellement en diversifiant leur communication, en proposant de l’expérientiel, en osant faire des actions de communication novatrices, c’est tout simplement une réponse à leurs consommateurs. »

Elle conclut : « Le travail de fond doit donc se faire au niveau de l’information du consommateur, en particulier sur la fameuse GenZ et les suivantes. Les autorités en vigueur doivent absolument être plus réactives sur le sujet et donc, elles doivent mettre en place des campagnes d’informations, des obligations de traçabilité du sourcing produits, de nouveaux systèmes pour être plus réactifs dans les sanctions avec les dupes et les contrefaçons, voire de redéfinir ce que cela veut dire. C’est à la base que cela doit se jouer, et non en tapant sur les entreprises qui, elles, continuent quoi qu’il arrive, de s’enrichir. »

 

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