« La consommation de vin en France est en baisse continue depuis plus de 60 ans. » Ainsi débute l’étude menée par Toutlevin sur cette filière en plein bouleversement. Le baromètre, mené auprès d’un panel soigneusement élaboré pour représenter les consommateurs de vin français, nous éclaire sur les tendances qui façonnent un secteur où traditions séculaires et nouvelles attentes des consommateurs s’entrechoquent.
Après le constat, vient la question du pourquoi. Quelles raisons sous-tendent ce comportement à la baisse ? L’essor des boissons sans ou à faible teneur en alcool va-t-il redessiner le paysage viticole ? Quels sont les profils des consommateurs de vins aujourd’hui et comment les acteurs du secteur peuvent-ils adapter leur communication pour les séduire ? Doit-on voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein ? Les réponses avec Emily Castagnos, Directrice de Toutlevin.

JUPDLC : Toutlevin a conduit début 2024 une étude sur la consommation du vin, auprès de son panel de consommateurs de vin,le VINOMETRE. Quels sont, dans les grandes lignes, les comportements des consommateurs de vin aujourd’hui ?
Emily Castagnos : Dans le contexte actuel de déconsommation qui bouleverse toute la filière vin, et plus largement les producteurs de boissons alcoolisées, cette étude a été menée afin de mieux cerner le comportement de ces consommateurs qui diminuent ou stoppent leur consommation de vin.
Avant d’aller plus dans le détail, il est important de préciser que nous avons observé 3 groupes de consommateurs de vin. D’abord, ceux qui déclarent consommer un peu moins ou beaucoup moins. Entre 2022 et 2023, ils représentent 26% des consommateurs de vin. Ceux qui déclarent ne pas avoir changé leur consommation représentent 63%, et c’est donc la majorité. Et nous avons également observé un groupe plus réduit, avec 11% de consommateurs, qui déclarent consommer plus qu’avant.
C’est un point qui mérite d’être souligné. Pour ce groupe, l’étude montre que c’est l’essence même du produit, le vin, avec toute sa richesse et la largeur de l’offre, qui est attractive. En effet dans ce cas, c’est la découverte, que ce soit de nouveaux cépages, de nouvelles régions, de produits écoresponsables, qui est le moteur de la consommation. Dans un contexte de déconsommation générale, il est important de savoir intéresser et conserver les consommateurs fidèles, et notamment en ciblant bien la communication.
JUPDLC : Pouvez-vous expliquer les principales raisons qui, selon vous, poussent de plus en plus de personnes à réduire leur consommation de vin et d’alcool en France ?
Emily Castagnos : Cette tendance à la déconsommation n’est pas nouvelle, cela fait plus de 60 ans que nous l’observons. Les facteurs principaux évoqués régulièrement concernent avant tout une évolution des modes et des styles de vie (la santé, la profession, la famille, les loisirs…), qui a poussé tout d’abord les consommateurs à consommer « moins mais mieux » comme nous l’avons tous entendu, et à privilégier petit à petit des vins dits « de qualité » (selon le terme de l’INSEE).
D’autre part, la complexification du vin (l’origine, les cépages, les différentes mentions etc..) est également un facteur régulièrement cité comme facteur de déconsommation. L’époque du choix uniquement par la couleur est loin ! Et les consommateurs sont souvent perdus devant le choix des vins.
Plus récemment, l’impact de la pandémie de Covid, surtout sur la population des séniors, mais également l’inflation, sont venus inquiéter les consommateurs et aggraver cette situation.
Mais si aujourd’hui la baisse de la consommation fait la une et inquiète autant la filière, c’est parce que cette diminution s’est accélérée et touche même les vins dits de « qualité ». La grande question est la suivante : cette accélération est-elle pérenne ou passagère ?

JUPDLC : Les raisons de cette déconsommation sont-elles différentes selon les tranches de population ?
Emily Castagnos : Dans l’étude Toutlevin, nous avons vu que 26% des consommateurs ont donc confirmé avoir diminué leur consommation de vin entre 2022 et 2023, et 3 raisons se détachent dans les réponses.
La santé est la raison principale de déconsommation, pour 60% d’entre eux au global. Cette préoccupation touche davantage la tranche d’âge 45-54 ans, sur laquelle repose la charge de la jeune génération, parfois des séniors, et de l’organisation de la vie en général. La réduction d’alcool est la raison principale pour ceux qui disent consommer moins pour prendre soin de leur santé. Toutefois, la préoccupation de réduire le nombre de calories ou d’être vigilant sur les produits phytosanitaires contenus dans le vin sont également cités.
Le changement de style de vie est la deuxième raison qui pousse à déconsommer, pour 45% d’entre eux. Ce facteur est surtout exprimé par les tranches d’âge de 25 à 44 ans, qui disent avoir moins d’occasions de consommer du vin, ou encore avoir changé de régime alimentaire.
Ensuite, vient la maîtrise du budget, liée à l’inflation, qui est la 3eme raison évoquée pour 25% des déconsommateurs. Ceux qui se disent les moins impactés sont les jeunes de 25 à 34 ans, contrairement aux idées reçues ! Pour les plus jeunes qui déconsomment, la problématique liée au vin se situe surtout au niveau de la perception du vin, très différente entre les générations.
JUPDLC : Vous évoquez la différence de perception du vin entre les générations comme un point important. En quoi cela influence-t-il la consommation de vin et le contexte actuel ?
Emily Castagnos : C’est en effet un des points clés soulevés par l’étude : la perception du vin est très différente entre les générations. Les plus jeunes répondants (25 à 34 ans) voient le vin comme un produit emblématique de la culture et du patrimoine français, pour 80 % d’entre eux. Seulement 20% le considèrent comme une boisson de convivialité et de partage. Tandis que chez les seniors, cette perception est équilibrée : 50% le considère comme un symbole de convivialité et de partage.
C’est un signal d’alarme dont il faut tenir compte ! Ces chiffres reflètent en partie l’impact du manque de transmission entre les dernières générations concernant la culture et la consommation du vin, qui était auparavant plus fortement liés à la convivialité.
Mais cela reflète également l’impact de l’évolution des communications liées à la santé, ainsi que, plus largement, la complexité globale du vin et du choix des produits. Au final, une distance s’est créée entre le vin et les jeunes consommateurs. Il est crucial que cette problématique soit prise en compte dans la communication auprès de cette cible. Il paraît en effet essentiel de simplifier le monde du vin, décomplexer les consommateurs et remettre l’humain au centre des messages.

JUPDLC : Dans quelles mesures ces changements liés à la consommation vont-ils influencer les acteurs du secteur dans leur manière de communiquer ? En quoi est-ce important d’adapter sa communication aux différents types de consommateurs ?
Emily Castagnos : Il y a plusieurs éléments de réponse. Tout d’abord, la consommation de vin, et plus largement d’alcool, est donc aujourd’hui en baisse régulière, au bénéfice des boissons non alcoolisées. Une partie importante des consommateurs actuels est en recherche de nouvelles boissons, notamment sans ou avec moins d’alcool. Il est donc nécessaire de réfléchir aux possibilités de communication en parallèle du développement de ces nouveaux produits, qui ouvrent de nouvelles possibilités.
Mais le point le plus important est qu’il est aujourd’hui indispensable d’adapter la communication des produits en fonction des profils de consommateurs, qui ne perçoivent pas le vin de la même manière, et n’ont pas les mêmes attentes. Et notamment les plus jeunes consommateurs qui ne perçoivent pas ou plus sa dimension conviviale.
« Il est aujourd’hui indispensable d’adapter la communication des produits en fonction des profils de consommateurs, qui ne perçoivent pas le vin de la même manière. »
Au-delà de l’étude sur la consommation du vin, Toutlevin mène depuis 3 ans une enquête annuelle d’envergure, sur plus de 9000 répondants, permettant de définir les profils des consommateurs de vin d’aujourd’hui. Nous avons ainsi pu définir 5 profils :
- Les Seniors réguliers, en majorité des hommes retraités, qui consomment surtout du vin rouge, assez ou très régulièrement. Parfois simples amateurs, ils peuvent être aussi de fins connaisseurs et nous surprendre !
- Les Sociaux occasionnels sont surtout des femmes, de tranche d’âge moyenne, qui consomment occasionnellement et exclusivement du vin blanc. Elles apprécient par exemple le vin bio…
- Les Détachés sont les moins connaisseurs. Ce sont des femmes assez jeunes et néophytes : le vin c’est « pas leur truc » ! Consommatrices très occasionnelles, elles apprécient surtout le rosé, de temps en temps avec des invités.
- Les Grands Amateurs sont surtout des hommes jeunes, de 18 à 34 ans. Grands connaisseurs et très intéressés par le vin rouge, mais aussi blanc.
- Les Néophytes Conviviaux sont des consommateurs réguliers à occasionnels. Ils préfèrent le vin rouge et ouvrent toujours une bouteille avec des invités ! Pour eux, la convivialité est le maître mot.
L’intérêt de ces profils est d’apporter à la filière une connaissance plus fine des consommateurs afin d’adapter le contenu et le support de leur communication. Des données fondamentales pour un marché qui connaît de profondes mutations.
JUPDLC : Les boissons NOLOW modifient le marché traditionnel du vin. Quelle est l’incidence sur la communication autour de ces produits ?
Emily Castagnos : C’est une vraie question d’actualité. Mais avant même de penser à la communication, il faut bien garder en tête qu’il y a un véritable enjeu pour la filière vin à proposer, inventer de nouvelles catégories de produits, avec et sans alcool, afin de répondre aux attentes des consommateurs d’aujourd’hui. La filière est en pleine réflexion. In fine, cela va entraîner une évolution du cadre réglementaire de communication, notamment sur les produits sans alcool, et ouvrir de nouvelles possibilités.
Quand on regarde d’un peu plus près, on remarque qu’on regroupe souvent dans la catégorie « NO LOW » les vins « no » alcool et « low » alcool. Mais ce sont deux catégories de produits bien distinctes, avec leurs propres cibles de consommateurs potentiels.
Les vins sans alcool intriguent les consommateurs actuels, bien que l’offre soit encore réduite. En effet, selon l’étude Toutlevin, 21% des répondants déclarent avoir déjà testé les vins sans alcool. Toutefois, ce sont surtout des amateurs de vins et des curieux qui ont testé pour le moment, et n’ont pas été convaincus, à plus de 70%. Ces vins no alcool représentent un vrai défi pour séduire les amateurs de vins, et la filière est déjà mobilisée pour évoluer sur les concepts.
« 40% des consommateurs sont vigilants concernant le taux d’alcool, et que plus de 30% d’entre eux sont prêts à tester les vins low alcool. »
Mais il faut également rappeler que d’autres cibles de consommateurs peuvent être intéressées par ces produits, qui représentent des boissons sans alcool « pour adultes ». À côté des softs et jus de fruits, le vin sans alcool pourrait trouver toute sa place, sur des profils tels que les Détachés par exemple, à l’occasion de moment conviviaux. Encore une fois, une communication adaptée à la cible peut faire une vraie différence.
À côté des vins sans alcool, les low alcool offrent une alternative intéressante. Ce sont des vins a priori techniquement plus faciles à élaborer que les vins sans alcool. La teneur en alcool qu’ils contiennent, même plus faible, permet de jouer un rôle important dans le maintien des arômes et de la saveur du produit. Ils intéressent également les consommateurs : l’étude Toutlevin montre que 40% des consommateurs sont vigilants concernant le taux d’alcool, et que plus de 30% d’entre eux sont prêts à tester les vins low alcool. Là encore, la communication doit s’adapter à la cible pour mettre en avant les éléments clés qui vont convaincre les consommateurs.

JUPDLC : Comment percevez-vous l’impact des campagnes de santé publique et des initiatives de sensibilisation sur les choix des consommateurs en matière de vin et d’alcool ?
Emily Castagnos : Concernant le groupe de consommateurs qui diminuent leur consommation, la santé est la première raison évoquée. L’étude n’aborde pas directement le lien entre les campagnes de santé publique et cette réponse précisément, mais il est évident que ces campagnes jouent un rôle dans la modération et donc la baisse de consommation. Toutefois, nous ne pouvons pas établir dans quelle mesure.
De plus, la pandémie du Covid, où la santé s’est retrouvée plus que jamais au centre des préoccupations de toute la population, a certainement accentué les inquiétudes sur la santé. Cette question reflète plus largement une évolution des modes de vie que nous avons évoqués précédemment. En effet, parmi ceux qui baissent leur consommation pour raison de santé, 36 % d’entre eux disent même envisager de faire une « détox » prochainement et 26% l’ont déjà fait. On voit d’ailleurs le phénomène du Dry January s’amplifier, et même apparaître le Sober October depuis peu, qui repose sur le même principe.

Pour en savoir plus, découvrez l’intégralité de l’étude sur le site de l’Agence Toutlevin !
Découvrir l'étude thématique 2024 : Consommation de vin en France et tendance nolow
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.