Entretien avec Adrien Chabal et Julien Drouais (AlloCiné) : L’économie du cinéma français en 2025

Par Elise Launay

26 mars 2025

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Dans un paysage cinématographique français partagé entre dynamisme et défis, l’information et l’accompagnement du public n’ont jamais été aussi stratégiques. J’ai un pote dans la com s’est rendu dans les bureaux d’AlloCiné, au sein du groupe Webedia, pour rencontrer Adrien Chabal et Julien Drouais, directeurs généraux du média, et échanger sur ces évolutions.

Depuis 30 ans, AlloCiné s’impose comme la référence du cinéma et des séries en ligne, accompagnant l’évolution des usages du public et des industries culturelles. À la tête du média depuis septembre 2024, Adrien Chabal et Julien Drouais, forts de leur expérience au sein du groupe, pilotent aujourd’hui sa stratégie et son développement.

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Crédit photo : Webedia Group

Un cinéma français en pleine reprise ! 

La crise du Covid a indéniablement marqué un tournant dans l’histoire du cinéma. Après des mois de fermeture et d’un bouleversement de l’écosystème mondial, la question de l’avenir des cinémas a été particulièrement préoccupante. « C’est sûr que le post-Covid n’a pas été la meilleure période dans l’histoire du cinéma », admet Adrien Chabal, l’un des deux directeurs généraux d’AlloCiné. Les plateformes de streaming ont fortement accéléré leur développement durant cette période, en réponse à une demande croissante de divertissement à domicile : « C’était plus pratique d’être à la maison, sur le canapé », ajoute-t-il en souriant. Cependant, après cette phase difficile, l’industrie cinématographique française semble avoir amorcé une reprise solide.

 

« On a fait 181 millions d’entrées selon les chiffres du Centre National du Cinéma. »

 

Preuve en est ! 2024 est une année particulièrement marquante pour le cinéma français, avec des résultats encourageants : « On a fait 181 millions d’entrées selon les chiffres du Centre National du Cinéma » (CNC), souligne Adrien Chabal. Il tente tout de même de rappeler que ces chiffres sont « encore loin des 210 millions d’entrées de l’époque pré-Covid », mais que la tendance est clairement positive. L’année dernière, la France s’est d’ailleurs distinguée à l’échelle mondiale en étant le seul pays à avoir connu une légère croissance en fréquentation des salles. Pourquoi ? « Grâce aux films français ! » assure Julien Drouais, l’un des deux directeurs généraux d’AlloCiné. « Monte Cristo, l’Amour Ouf et Un petit truc ont joué le rôle de locomotive, là où, traditionnellement, le marché est soutenu par les blockbusters américains », souligne Adrien Chabal, « le cinéma est un marché mondial, et même à l’échelle de la France, nous avons besoin des films américains pour alimenter la machine. » Le cinéma est « un marché d’offres » où la diversité et l’attractivité des films en salle génèrent du public. 

Un autre élément a joué un rôle clé dans la hausse de fréquentation en salle : la grève des scénaristes à Hollywood qui a bouleversé le calendrier des sorties, laissant donc plus de place aux films français. 

 

Les salles de cinéma : une expérience irremplaçable

« En 2020-2021, l’industrie du cinéma se demande si ce n’était pas la fin d’une ère. Même les studios Warner et Disney ont voulu accélérer la transition vers le streaming en lançant leurs propres plateformes et en testant la sortie simultanée en salle et en digital », précise Adrien Chabal. Pourtant, ce modèle a montré ses limites et a rapidement été abandonné : « Ils sont complètement revenus de ça, aujourd’hui, le constat est clair : pour créer une IP*, la salle reste incontournable » En d’autres termes, le passage en salle est le point de départ nécessaire à la construction d’une « marque » forte et d’une monétisation durable des films.

*L’Intellectual Property au cinéma est une œuvre protégée (films, personnages, franchises) que les studios exploitent légalement pour générer des revenus).

Cette stratégie se vérifie particulièrement en France, où des productions locales connaissent un succès international comme Monte Cristo. La réussite de ce film démontre qu’un cinéma français ambitieux peut rivaliser avec les grandes franchises américaines, à condition d’y mettre les moyens. « La stratégie de Pathé est payante : ils misent sur des IP françaises fortes avec de gros investissements en production, distribution et marketing. » Résultat ? « On approche les 10 millions d’entrées, et c’est un vrai motif d’optimisme pour le cinéma français », détaille Adrien Chabal. 

 

« Même un film diffusé gratuitement sur YouTube 24 heures après son passage au cinéma, a généré un engouement phénoménal dans les salles, enregistrant 300 000 entrées en une journée ! »

 

Le passage en salle est également important pour les consommateurs, « la salle est une expérience collective, une expérience premium, pouvant partager des émotions » : un moment unique que le streaming ne peut pas reproduire. Ce besoin d’immersion partagée se confirme grâce à des événements récents, notamment avec le documentaire Kaizen, du youtubeur Inoxtag. « Même un film diffusé gratuitement sur YouTube 24 heures après son passage au cinéma, a généré un engouement phénoménal dans les salles, enregistrant 300 000 entrées en une journée ! », ajoute Julien Drouais. Une preuve supplémentaire que le cinéma reste un rituel social fort, au-delà de l’accès instantané aux contenus numériques.

Effectivement, depuis quelques années le cinéma voit apparaître de nouveaux phénomènes. Autrefois réservé aux films, il s’ouvre désormais à de nouveaux formats et à de nouveaux visages : des influenceurs et évènements sportifs s’invitent sur le grand écran. On a pu vivre le Superbowl LIX au Grand Rex ou encore le Classico PSG/OM, comme si on y était !

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Crédit photo : Canva / Soho a studio

 

Cinéma et plateformes, la complémentarité d’un nouvel écosystème ?

Les plateformes de streaming jouent un rôle clé dans le financement du cinéma aujourd’hui. Canal+ en est la preuve : le groupe a signé un nouvel accord avec le cinéma français en s’engageant à investir 480 millions d’euros dans la production cinématographique française jusqu’en 2027. 

La complémentarité se joue aussi sur la production des différents genres cinématographiques. Pour Adrien Chabal et Julien Drouais, les plateformes ont réussi à se diversifier et à produire des séries et des documentaires très appréciés, mais l’équilibre n’est pas encore tout à fait trouvé du côté des films. « Les plateformes ont pourtant de gros moyens de production et font venir d’énormes talents mais le résultat n’est pas au niveau de ces efforts », explique Adrien Chabal. Julien Drouais, ajoute à cela : « Le côté marketing est aussi à prendre en compte. Les plateformes arrivent mieux à marketer les séries que les films ». C’est le cas avec Squid Game sur Netflix et Severance sur AppleTV où le marketing a été pertinent et impactant.

De plus, les nouvelles méthodes de consommation, comme le binge-watching, n’aident pas à mettre en avant les films sur les plateformes, puisque ce n’est pas forcément ce que recherchent les consommateurs. Cela ne signifie pas que les plateformes échouent entièrement dans le domaine cinématographique, d’ailleurs certaines productions ont rencontré un grand succès, tant en France qu’à l’international. « Ad Vitam avec Guillaume Canet sur Netflix », « Balle perdue », « Aka » sont, pour les deux directeurs généraux, des exemples de films qui ont connu un énorme succès à l’échelle mondiale. Ce type de complémentarité, entre cinéma en salle et films diffusés sur les plateformes, montre que les deux peuvent coexister harmonieusement, avec des modèles répondant à des besoins différents du public. 

 

« Les Bodins par exemple font des millions d’entrées dans les autres régions, mais à Paris ça ne fonctionne pas et c’est un phénomène qui s’est créé ces dernières années ». 

 

Malgré une complémentarité, le cinéma français continue d’être compétitif face aux plateformes. De plus en plus de films sont créés spécifiquement pour répondre à un public cible. « Il y a des films qui s’adressent spécifiquement à un public senior, avec par exemple Joyeuse Retraite », précise Adrien Chabal. D’autres films ne fonctionnent qu’en dehors de Paris : « Les Bodins par exemple font des millions d’entrées dans les autres régions, mais à Paris ça ne fonctionne pas et c’est un phénomène qui s’est créé ces dernières années »

Cette nouvelle dynamique permet aussi au cinéma français de s’adapter aux attentes des jeunes générations. Les films touchant un public plus jeune connaissent un grand succès, grâce à des acteurs qui maîtrisent parfaitement les codes des réseaux sociaux et du marketing promotionnel digital. Cette évolution dans la manière de promouvoir les films, combinée à des productions de plus en plus ciblées, permet au cinéma français de s’adapter aux tendances actuelles.

 

De l’Hexagone à l’international

L’exportation du cinéma français fonctionne bien en Europe, notamment portée par Unifrance*, qui accompagne la diffusion des productions françaises à l’étranger. « Il y a pas mal de distributeurs intéressés, et certains se spécialisent même dans des genres cinématographiques spécifiques », explique Julien Drouais. Neue Visionen, par exemple, s’est imposé comme un acteur clé dans la distribution de comédie française en Allemagne produisant de gros succès, comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, « rebaptisé Monsieur Claude et ses filles ». Même s’il n’y a pas de recette miracle sur le choix des films français exportés en Europe, tous ne trouvent pas leur public hors des frontières. Si Intouchables a dépassé les 6 millions d’entrées en Allemagne, d’autres productions, notamment certaines comédies comme Babysitting, rencontrent des difficultés à l’international. Pourquoi ? En raison des spécificités culturelles et de la difficulté de traduction de l’humour. 

*Organisme chargé de la promotion et de l’exportation du cinéma français dans le monde.

En parallèle, l’essor des plateformes de streaming change la donne. Aujourd’hui, des films comme Emilia Perez sont achetés en préfinancement par des géants tels que Netflix, assurant ainsi leur distribution avant leur sortie en salle. « Ces plateformes participent activement au bouclage budgétaire des films et intègrent ces acquisitions dans leur stratégie marketing », souligne Adrien Chabal. 

 

AlloCiné, un acteur clé dans la promotion et la diversité du cinéma français

Bien qu’AlloCiné ne finance pas la création, la plateforme joue un rôle central dans l’écosystème du cinéma en tant que guide pour les spectateurs. Elle leur apporte toutes les informations nécessaires pour préparer leurs séances. Convaincue que « chaque film doit trouver son public », AlloCiné s’attache à parler de « tous les films pour tous les publics », qu’ils soient diffusés en salles ou sur les plateformes de streaming.

En parallèle, le média collabore avec des professionnels du secteur, notamment les distributeurs, qui sont en lien direct avec les producteurs et les équipes des films, pour promouvoir les œuvres en ligne. Son influence s’étend à travers son site web, ses applications et ses réseaux sociaux, où elle fait aujourd’hui beaucoup de contenus, de relais de contenus, de mise en avant des films et aussi des séries

YouTube video

Précurseur du digital, AlloCiné revendique une position unique dans le paysage cinématographique français : « On était les premiers en France à offrir des bandes-annonces en ligne avant l’arrivée de YouTube en France », rappelle Julien Drouais. De la même manière, elle a innové avec son application permettant d’accéder aux séances de cinéma. Aujourd’hui, le média est « le mieux placé sur Google sur toutes les requêtes qui ont trait à des films, des séries, des séances », accumulant « des milliards d’impressions chaque mois ». En s’appuyant sur cette expertise, elle applique le même modèle avec les réseaux sociaux, veillant à être présente « sur tous les parcours utilisateurs avec les bons contenus », alliant « exhaustivité, diversité et excellente distribution ».

Ce n’est pas tout ! Afin de couvrir la quasi-totalité des domaines du cinéma, AlloCiné a dévoilé, il y a un peu plus d’un an, sa rubrique : Les Indés. L’objectif ? Valoriser les pépites du cinéma, notamment indépendant, avec toujours le même engagement : soutenir la sortie en salle. Julien Drouais nous met dans la confidence : « Nous sommes en train de voir comment élargir nos propositions sur le sujet classique, films cultes ».

 

La chronologie des médias : un cadre vertueux en évolution

L’accord signé le 29 janvier, la chronologie des médias est perçu comme un élément fondamental du paysage cinématographique français. En quoi ça consiste ? C’est un cadre réglementaire qui définit l’ordre et les délais de diffusion des films après leur sortie en salle. Son objectif principal est de garantir un équilibre économique entre les différents acteurs du secteur (cinémas, chaînes de télévision, plateformes de streaming, DVD, etc.).

Selon Adrien Chabal, ce système est un « modèle ultra-vertueux que le monde entier nous envie », jouant un rôle clé dans le financement du cinéma français et européen. En garantissant des ressources aux producteurs, il permet de soutenir la diversité cinématographique et de favoriser l’émergence de nouveaux talents, notamment de jeunes réalisateurs, essentiels pour le renouvellement de la création artistique. Toutefois, AlloCiné souligne également que, comme tout cadre réglementaire, la chronologie des médias doit évoluer pour s’adapter aux transformations du secteur. La négociation de cet accord a ainsi été marquée par des discussions parfois complexes. Ces difficultés ont notamment émergé en raison de l’entrée de nouveaux acteurs (comme les plateformes de streaming) venant bousculer les équilibres établis par les acteurs historiques du cinéma français.

Dans un pays où le cinéma occupe une place aussi importante, cette évolution est cruciale pour préserver une industrie forte et continuer à offrir une grande diversité de films au public.

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