Dans un univers où les frontières disparaissent peu à peu, et au gré des avancées technologiques, la communication joue un rôle prépondérant. Les annonceurs, tout comme les pouvoirs publics, ont désormais une responsabilité inégalée, du fait de la diversification des canaux de communication, mais également de l’impact de toute campagne de communication, qui est plus fort que jamais.
Dès lors, comment communiquer tout en servant l’intérêt général ? Comme nous l’a brillamment montré le cofondateur de Patagonia, les annonceurs peuvent œuvrer dans le sens de l’intérêt général. En effet, Yvon Chouinard, également alpiniste, avait fait don de son entreprise pour défendre l’environnement. Un beau geste, réalisé en 2022, qui a probablement marqué plus d’un annonceur. Dans cette interview exclusive, nous avons rencontré Jocelyn Di-Scala, intervenant et formateur relations publiques et relations médias au sein de l’European Communication School, et Nina Kurose, Directrice du Développement de The Good Company.

JUPDLC : Tout d’abord, pourquoi est-il prépondérant d’avertir les populations sur des questions d’intérêt général ? Avez-vous des exemples de campagnes réussies ?
Nina Kurose : Le rôle de la publicité a toujours été de rendre public des messages – qu’ils soient de nature commerciale, politique, environnementale ou sociétale – pour ensuite déclencher un changement de comportement ou d’attitude. La publicité est donc par essence un outil à vocation publique : un levier puissant pour adresser des questions d’intérêt général, pour stimuler un débat qui fait avancer la société, pour éduquer ou générer une prise de conscience auprès de la population.
Nous venons de sortir une campagne pour Positive Minders, une association qui accompagne les personnes atteintes de maladies psychiques. Appelée “Les Schizawards”, la campagne vise à remodeler l’imaginaire collectif autour de la schizophrénie, en démontant les fausses représentations de la maladie répandues dans le cinéma et les séries. C’est de la mauvaise compréhension de la maladie que découlent des conséquences lourdes sur la détection, l’accès aux soins, et l’intégration des personnes touchées dans la société. L’objectif de la campagne est donc de lutter contre la stigmatisation et les idées reçues autour de la schizophrénie et d’amener le public à changer leur perception de la maladie.

Jocelyn Di-Scala : C’est prépondérant car il y a une diffusion massive. Pour ce qui est des exemples de campagnes réussies, je citerais sans hésitation la vieille campagne du pétrole, ou encore les campagnes pour valoriser les élections et réveiller les votants, et enfin toutes celles concernant la prévention routière.
JUPDLC : Dans le cadre de votre métier, comment vous positionnez-vous sur les questions d’intérêt général ? Qu’apportez-vous à vos élèves sur le sujet ?
Jocelyn Di-Scala : Dans mon métier, j’ai été amené à traiter des causes d’intérêt général dans le cadre d’une vision politique et au sein d’un cabinet politique. En tant que formateur, et travaillant beaucoup sur les marques et la gestion de l’image des personnalités, il n’est pas fréquent d’aborder ces sujets. En revanche, l’intérêt général est bien entendu abordé comme un supplément, une valeur ajoutée. Et une option dans la force de communication.
JUPDLC : Selon vous, les questions d’intérêt général sont-elles l’apanage des pouvoirs publics ou les acteurs privés sont-ils également concernés ? Pourquoi ?
Jocelyn Di-Scala : Je dirais que les deux sont concernés. Il s’agit d’une vraie force en politique, donc pour les pouvoirs publics, mais les forces privées associées y gagnent également dans leurs différentes campagnes de communication.
Nina Kurose : Bien sûr que les acteurs privés sont aussi concernés par les questions d’intérêt général – ce sont des questions qui touchent leurs consommateurs, leurs collaborateurs et la société dans laquelle ils sont acteurs. Chaque marque a un rôle important à jouer dans la vie de ses publics, et une obligation de répondre à leurs attentes. Aujourd’hui, les gens font plus confiance aux marques qu’aux pouvoirs politiques. Elles ont ainsi une immense opportunité grâce à leur relation privilégiée avec leurs publics cibles, et par conséquent, un devoir de faire passer des messages d’intérêt général. Au-delà de ça, c’est également un levier de fidélisation et de préférence : plus les gens ont de preuves de la valeur ajoutée d’une marque dans leur vie quotidienne, plus elle sera privilégiée.

JUPDLC : De plus en plus de campagnes sont tournées vers l’intérêt général, notamment dans le domaine environnemental et la nécessité de préserver la planète. Comment ne pas tomber dans le greenwashing ?
Nina Kurose : Le plus important est d’avoir des actes concrets derrière le discours : une communication responsable doit toujours partir des preuves. Elles sont des éléments clef pour permettre à la marque de s’exprimer avec authenticité et transparence, quand les preuves futures sont la boussole pour la guider et embarquer ses publics vers cette vision commune. Les preuves peuvent prendre beaucoup de formes : engagements corporates, partenariats et collaborations ou même une posture de marque maintenue sur le long terme, qui ne fluctue pas au gré des tendances.
Jocelyn Di-Scala : Aujourd’hui, lorsque l’on est une marque, je dirais que c’est quasi impossible. En effet, pour un annonceur, il est difficile de parler d’écologie sans faire de greenwashing, ou créer de conflits d’intérêts. Mais le sujet est bien évidemment incontournable. C’est, me semble-t-il, une étape nécessaire à dépasser pour aborder les sujets de fond.

JUPDLC : Comment accompagnez-vous les marques sur des campagnes d’intérêt général ? S’agit-il le plus souvent d’une volonté de leur part, ou est-ce vous qui suggérez d’aborder cette thématique ?
Nina Kurose : Nous voyons régulièrement des marques qui font des belles choses, ont des engagements et des valeurs fortes, mais n’osent pas en parler. C’est souvent celles qui font le plus qui disent le moins, par peur de s’exposer à des critiques ou à un potentiel “bad buzz”. Mais par conséquent, cela laisse la place aux autres acteurs, moins forts en preuves et en sincérité, qui prennent alors la parole et se positionnent avec une image responsable.
Nous accompagnons donc nos clients à identifier les bonnes preuves (actuelles et futures) qui vont résonner avec les consommateurs et sont cohérentes avec le positionnement de la marque, pour ensuite les exprimer de manière impactante. Dans le choix des clients, notre but n’est pas de travailler seulement avec les marques les plus “good” du monde, car pour réellement changer les choses, il faut aussi accompagner les plus gros acteurs, les plus “mainstream“, vers des changements responsables.
JUPDLC : Quel est le bénéfice de ce genre de campagnes pour le consomm’acteur contemporain ?
Nina Kurose : Le premier bénéfice est de leur permettre d’être informés sur des sujets qui les concernent et de proposer des moyens d’agir. Cela leur permet aussi d’identifier les marques qui partagent leurs valeurs et proposent des solutions en phase avec leurs besoins afin de les accompagner dans le changement.
JUPDLC : Pensez-vous que les jeunes générations soient plus réceptives aux questions d’intérêt général ? Pourquoi ?
Jocelyn Di-Scala : Je ne ferais pas dans le jeunisme systématique, toute génération a son éducation et la complémentarité est plus forte que les porte-drapeaux isolés. Le fond que les plus anciens peuvent apporter combiné à la fougue des jeunes générations peut cependant porter l’intérêt général, de manière complémentaire. Ce serait trop facile de segmenter en disant que seules les jeunes générations agissent de manière isolée. La mise en commun pour le bien commun serait un bon compromis.

JUPDLC : Selon vous, quelle est la responsabilité d’une marque ou agence qui ne communique pas ou cache volontairement une problématique d’intérêt général ?
Nina Kurose : Il y a une différence entre le fait de ne pas communiquer – qui peut être imputé à diverses raisons, parfois hors du contrôle de la marque – et le fait d’occulter volontairement une problématique d’intérêt général. Ce dernier va au-delà d’une question de responsabilité vers une question de la performance et de la réussite de la marque. Une problématique cachée est une problématique qui existe quand même et qui ne va pas disparaître. C’est finalement la marque qui va perdre la confiance et la fidélité de ses publics en la cachant, car elle se montrera déconnectée du monde qui l’entoure.
JUPDLC : Y a-t-il des exemples de campagnes à visée d’intérêt général qui vous ont particulièrement marquées ?
Nina Kurose : Une campagne que j’aime beaucoup est la saga publicitaire “Don’t Mess with Texas“, du Département des Transports de Texas aux USA. La campagne visait à réduire les déchets sur le bord des autoroutes de Texas, et presque 40 ans après (la première campagne datant de 1986) la campagne existe toujours et jouit d’autant de succès qu’à ses débuts.

En ciblant à l’origine des hommes entre 18-35 ans, population la plus susceptible de jeter leurs déchets, et s’appuyant sur l’image de soi détenue par cette cible pour la détourner. Au-delà d’un objectif de changement comportemental, cette campagne a donc contribué à redéfinir le stéréotype du Texan, pour montrer que même les rebelles les plus ardus recyclent par patriotisme pour leur territoire. Aujourd’hui, la phrase est devenue un véritable cri de ralliement pour exprimer la fierté texane, qu’on retrouve imprimée sur des autocollants, des t-shirts, des drapeaux, etc.
JUPDLC : Ne pas communiquer sur une question d’intérêt général est-il le fruit d’un oubli ou un choix politique ?
Jocelyn Di-Scala : Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une véritable stratégie. L’omission est déjà en soi un acte volontaire, alors pour qu’il s’agisse d’un choix politique, il n’y a qu’un pas !
JUPDLC : Quels conseils donneriez-vous à une marque souhaitant communiquer sur un sujet d’intérêt général ?
Nina Kurose : Je dirais d’y aller toujours à fond et de ne pas avoir peur de communiquer. La question n’est pas de le faire ou pas (car la réponse sera toujours oui !), mais plutôt de se poser la question de comment communiquer. L’élément le plus important est d’avoir une authenticité de discours. Normalement, le sujet sur lequel elle va s’exprimer est en lien avec la marque : son positionnement et ses valeurs, son histoire ou ses activités.
L’authenticité passera alors par la présentation des preuves de marque, des preuves commerciales – comme précédemment évoqué – mais aussi par l’idée créative, la tonalité, la manière de le dire. Je conseillerais aussi de ne pas avoir peur de communiquer de manière différente, d’oser et de vraiment mettre la créativité au service du combat. Aujourd’hui, l’enjeu est de prouver que la communication responsable n’est pas une communication lisse ou trop sage et donc peu impactante. Au contraire, pour des sujets puissants et d’intérêt général, il faut avoir une création aussi forte pour la porter.

JUPDLC : À l’avenir, pensez-vous que l’intérêt général puisse être un indispensable de toute communication de marque ?
Nina Kurose : Oui totalement, c’est déjà un indispensable aujourd’hui dans le sens où le sujet doit insuffler l’ensemble de la stratégie de communication d’une marque. La communication responsable ne doit pas être confiée seulement aux équipes de RSE ou d’engagement corporate, mais doit être l’affaire de tous et être au cœur de la posture de marque. Aujourd’hui plus que jamais, les marques se doivent d’être utiles et porteuses de valeurs, une réalité d’autant plus renforcée par la crise économique. Les marques vont être de plus en plus confrontées à la demande de montrer qu’elles comprennent les enjeux de l’environnement et de la société dans laquelle nous vivons, et qu’elles s’engagent activement pour répondre aux besoins réels.
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