La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) représente sans conteste un enjeu majeur – à la fois présent et futur – pour les marques, et particulièrement leurs équipes marketing. Elle les impacte, les sollicite, les réorganise… Mais, comment ? Le marketing peut-il être un accélérateur de RSE ? Pourquoi les entreprises doivent-elles continuellement faire évoluer leurs ressources et leur culture dans ce sens ? Comment éviter le piège du greenwashing ? Pour répondre à toutes ces questions, l’équipe de J’ai un pote dans la com donne la parole à Josselin Martin, Cofondateur de Genius, cabinet de consultants en marketing digital, communication et social media.
Entretien avec Josselin Martin, Cofondateur de Genius
JUPDLC : 24 % des Français se sont déjà détournés de certaines marques pour raison environnementale ou sociale au cours des 12 derniers mois. 68% pensent que les engagements des entreprises en faveur du bien commun ont pour seul objectif d’améliorer leur image. Que pensez-vous de ces deux constats ?
Josselin Martin : Le citoyen que je suis n’est pas vraiment étonné par ces chiffres. Comme beaucoup, je suis de plus en plus sensibilisé aux enjeux climatiques et donc à la préservation de notre environnement, mais je suis aussi particulièrement attentif aux actions sociétales que peuvent mener par exemple les organisations qui nous entourent. En clair, la prise de conscience sur ces sujets fondamentaux croît chaque jour un peu plus et c’est tant mieux !
Dans le même temps, nous devenons aussi plus méfiants sur toutes les communications auxquelles nous faisons face. Peut-être est-ce l’une des conséquences de trop nombreux mensonges ou promesses non tenues par la classe politique et les marques ? Quoi qu’il en soit, à l’ère des réseaux sociaux toutes les prises de parole sont scrutées, analysées et commentées.
Et les communications des marques n’échappent pas à ces tendances. C’est même encore plus compliqué pour elles, car elles sont presque toutes dans l’obligation de communiquer sur leurs produits ou services pour se démarquer des concurrents et vendre. Problème : ce ne sont plus seulement leurs produits ou services qui sont jugés par les consommateurs mais tout ce qui se passe aussi en amont voire en aval. Très vite, les consommateurs que nous sommes, allons recevoir des informations sur la manière dont ces marques produisent, sur la façon dont elles recrutent et considèrent leurs employés, si le matériel est issu du recyclage et/ou réutilisé, etc. Bref, un annonceur aujourd’hui doit prendre énormément de précautions avant de communiquer, le greenwashing est vite arrivé !
En conclusion, si les citoyens et consommateurs que nous sommes, prenons un peu plus de recul pour ne pas surréagir à la moindre communication des marques, celles-ci doivent quant à elles réfléchir davantage avant de communiquer. Aujourd’hui, la société civile demande beaucoup aux entreprises, peut-être trop d’ailleurs. Donc au moindre accroc, elles le paient très cher, en termes d’image, de réputation ou de business !
JUPDLC : En tant que cabinet de consulting en marketing, constatez-vous une demande particulièrement croissante des marques avec lesquelles vous travaillez sur ces sujets RSE ?
Josselin Martin : Aujourd’hui, nous constatons deux choses. La première, c’est que nous voyons les intitulés de poste des décideurs qui nous briefent, évoluer. On retrouve donc de plus en plus des postes de « Directeur Marketing et RSE » ou de « Directeur de la Communication et RSE ».
La deuxième chose, plus concrète encore, est que nous avons depuis deux ans des demandes pour des Genius avec une expertise Communication & RSE avérée. Ces demandes, nous ne les avions pas auparavant. Aujourd’hui nous avons ces profils en mission chez des clients comme Relais & Châteaux, Schneider Electric ou L’Oréal pour n’en citer que quelques-uns. Leur particularité est qu’ils allient des formations en marketing/communication et en développement durable.
JUPDLC : Pour rebondir sur les « nouveaux métiers » cités, recommandez-vous à vos clients d’intégrer à leurs équipes un Directeur RSE ? Ou de créer un poste dédié à cette problématique ?
Josselin Martin : De nombreux paramètres sont à prendre en compte pour répondre à ces questions. La RSE fait-elle partie de la raison d’être de l’entreprise ? Quel est le degré de maturité de l’entreprise sur ces sujets ? Quels sont les objectifs poursuivis par la direction générale ? Sont-ils d’ailleurs alignés avec ceux des investisseurs ou actionnaires lorsqu’on parle de grosse entreprise ? Sans oublier la question des moyens associés, financiers comme humains.
Ce que nous constatons aujourd’hui chez Genius, c’est que la RSE est devenue un véritable enjeu pour tous nos clients et que de fait, elle est traitée avec plus de sérieux et plus de moyens. Si elle est tantôt rattachée directement à la direction générale, tantôt à la communication, très souvent une personne l’incarne et mène alors deux chantiers clés :
- L’acculturation de l’ensemble des équipes de l’entreprise (design, événementiel, RP…) mais aussi des parties prenantes (fournisseurs, partenaires, adhérents…).
- L’implémentation opérationnelle de la démarche, de la réflexion et la conception des produits et services jusqu’à leur communication.
Enfin, les Genius en mission chez nos clients nous confirment l’importance que prend la RSE dans les organisations. L’un d’eux, en mission dans un groupe hôtelier, me confiait intervenir en CODIR chaque quinzaine afin de communiquer sur l’avancée des projets RSE. Sa prise de parole est attendue, car le groupe a fait de ces chantiers un axe de communication fort mais surtout un levier de business et de différenciation.
JUPDLC : Conscient des nouvelles attentes – à la fois du côté des consommateurs comme des annonceurs – vous avez dédié la 2e édition du Genius Club à la question du marketing et de la RSE. Pour commencer, pouvez-vous nous présenter ce rendez-vous ? Quelle est son ambition ?
Josselin Martin : Le Genius Club est un événement qui se déroule deux fois par an et qui a pour objectif de réunir lors d’une matinée 30 décideurs marketing et communication dans un cadre intimiste. Ce rendez-vous assure un moment d’échanges et un travail de réflexion sur les enjeux des équipes marketing des invités, tout en leur permettant de prendre du recul sur leur organisation.
Dans les faits, nous organisons une table ronde que j’ai plaisir à animer avec 2 ou 3 speakers qui viennent partager leurs retours d’expérience et échanger entre pairs. À la suite de cette table ronde, nous nous retrouvons autour d’un déjeuner afin de poursuivre les échanges et créer du lien entre tous les membres, mais aussi pour profiter des mets préparés par un chef lui-même engagé dans une démarche RSE forte, Ruben Sarfati.
Pour cette deuxième édition du Genius Club, nous souhaitions aborder ce thème du Marketing et de la RSE car plus qu’un sujet d’actualité, il s’agit d’un chantier délicat et difficile à appréhender pour les professionnels du marketing. Le Genius Club était donc un moment idéal pour pouvoir leur apporter un éclairage et des pistes de réflexion grâce aux prises de parole et approches complémentaires de nos speakerines, Alice, Bérengère et Cécile.
JUPDLC : Que pourrions-nous retenir de cette édition ? Comment organiser ses équipes pour passer à l’action et les impliquer dans les problématiques RSE ?
Josselin Martin : Beaucoup de choses intéressantes ont été dites par nos 3 speakerines. Mais s’il ne fallait en retenir que quelques-unes, je mettrais en avant les 3 éléments qui sont communs pour chacune de leur organisation et de leur job :
1. Il ne peut pas y avoir de vision RSE sans une volonté forte de la direction générale
Toutes les trois révèlent en effet que c’est à la direction générale que revient la responsabilité d’impulser la démarche et de donner les moyens aux équipes marketing (mais pas que) de traduire cela en actes. Sans une réelle implication de la direction générale, les démarches resteront vaines.
2. Il faut être convaincu par la démarche
C’est précisément le cas de nos 3 speakerines qui, avant d’être des professionnelles du marketing et de la communication, sont dans une démarche très personnelle quant aux enjeux environnementaux et sociétaux. Si je prends l’exemple de Cécile chez Orange Events, il s’agissait d’une création de poste qu’elle a elle-même poussée en interne et qui a été soutenue par son directeur Marketing. D’ailleurs, la RSE fait partie intégrante de la raison d’être d’Orange.
3. Il faut prendre conscience que cela prend du temps et s’en accommoder
Si dans le marketing il est de coutume d’aller vite, de pouvoir anticiper ou réagir, mettre en place une démarche RSE doit nécessairement se travailler sur un temps long. Deux raisons expliquent cela :
- Il est nécessaire d’embarquer toutes les composantes de l’entreprise dans la démarche, or toutes ne sont pas au même niveau d’engagement ou de timing. Et évidemment plus l’entreprise est grande, plus cela prend du temps.
- Avant de communiquer, il faut avoir des preuves. C’est d’ailleurs ce qu’expliquait Bérengère, qui avait retardé chez YSL Beauté une communication car elle estimait ne pas avoir suffisamment de preuves concrètes à apporter sur les engagements RSE de la marque.
JUPDLC : Pour finir, quels conseils principaux pourriez-vous donner à une entreprise souhaitant engager des initiatives RSE et rendre son impact plus positif ?
Josselin Martin : Pour commencer, j’aimerais vous partager les conseils de nos 3 intervenantes. Alice conseille d’aborder la RSE avec beaucoup de simplicité. Peu de personnes sont aujourd’hui formées à la RSE, même si cela devait évoluer très vite. C’est pourquoi elle recommande d’aborder la RSE sans pression, en acceptant de ne pas tout savoir sur le sujet et en gardant à l’esprit que le changement prendra du temps.
La cohérence est le maître mot pour Cécile. Toutes les composantes de l’entreprise doivent être alignées sur la démarche RSE et les objectifs associés. En effet, à quoi bon expliquer aux consommateurs que pour chaque achat réalisé, l’entreprise plante un arbre en forêt amazonienne, si dans le même temps, les usines qui fabriquent et acheminent ses produits depuis l’Asie le font sans considération et respect des droits des ouvriers ?
Enfin, Bérengère a insisté sur la notion de résilience. Ses expériences chez YSL Beauty et plus largement au sein du groupe L’Oréal lui ont démontré qu’il fallait du temps pour faire bouger les lignes mais qu’en y allant step by step, on réussit à sortir des projets à fort impact.
D’un point de vue personnel, j’ajouterai que dépenser des millions d’euros en publicité ne suffit plus à convaincre les consommateurs. Plus que jamais, l’histoire doit être sincère, transparente et honnête. Si une marque ne peut pas (encore) communiquer sur des actions concrètes RSE, ce n’est pas grave. Il vaut peut-être mieux communiquer sur les efforts entrepris ou leur vision de demain, que de s’inventer une dimension RSE, inexistante à date. Enfin, je pense que les business models des entreprises devront se construire à l’avenir sur un socle RSE fort, plutôt que de vouloir raccrocher les wagons avec une histoire, aussi belle soit-elle…