C’est un débat qui revient à chaque début de parcours pour les étudiants : faut-il choisir d’aller travailler en agence ou chez l’annonceur ? Vaut-il mieux rejoindre une agence et goûter à l’effervescence des briefs clients multiples ou préférer la stabilité d’un annonceur et construire une marque de l’intérieur ? Les idées reçues ont la vie dure : l’agence serait le repaire des créas insomniaques, l’annonceur celui des stratèges en chemise bien repassée. Vraiment ?
Le marché de la communication s’est profondément transformé ces dernières années : explosion du digital, montée en puissance de l’IA, exigences accrues en matière de RSE, nouvelles formes d’agences… Autant de bouleversements qui redéfinissent les compétences attendues, les cultures d’entreprise et les façons de travailler. Dans ce contexte mouvant, comment les jeunes talents peuvent-ils faire un choix éclairé ? Et surtout, ce choix a-t-il encore vraiment un sens aujourd’hui ?
Pour démêler tout ça, nous nous sommes entretenus avec Jonathan Geandrot, directeur des études de l’ISEFAC Paris. Il forme chaque année les futurs pros de la com, du digital et du marketing – et il a un œil affûté sur les nouvelles attentes des recruteurs, la réalité des métiers et les bons réflexes à adopter. Dans cette interview, il démonte les clichés, partage les coulisses du marché et donne des clés très concrètes pour choisir (ou ne pas choisir tout de suite !) son camp.

JUPDLC : Comment le marché du travail du secteur marketing/communication a-t-il évolué ces dernières années ? Quel impact sur les étudiants et l’insertion professionnelle ?
Jonathan Geandrot : Ces dernières années, le marché s’est fragmenté et, comme toujours, il s’est à nouveau réinventé. L’essor du digital n’est pas une nouveauté, mais son pouvoir de métamorphose l’est. Il ne s’agit plus seulement de « faire du marketing », mais de savoir manier le SEO, d’interpréter les datas, et de jongler entre les influenceurs. Les compétences techniques se sont hybridées, les « soft skills » sont devenues des « hard exigences », et les recruteurs cherchent des profils « couteaux-suisses ».
Dans ce contexte, l’adaptabilité est devenue le premier muscle professionnel des étudiants. L’insertion professionnelle n’est pas plus difficile qu’avant, mais elle demande d’être toujours à la page des nouveautés ainsi qu’une capacité à se « vendre ». Et là où avant il fallait « une bonne plume », il faut désormais y ajouter un bon réseau, une bonne image LinkedIn et une veille constante. C’est à tout cela que nous devons préparer nos étudiants.
JUPDLC : La culture d’entreprise joue un rôle clé dans le bien-être au travail. Quels sont les grands contrastes culturels entre les agences et les annonceurs ?
Jonathan Geandrot : Travailler en agence ou chez l’annonceur, c’est un peu comme choisir entre vivre dans une colocation bohème ou dans un appartement haussmannien parfaitement rangé. C’est en tout cas un peu l’idée que les étudiants s’en font quand ils débutent leurs études de com : d’un côté le chaos créatif, de l’autre l’ordre stratégique. Ils pensent souvent que l’un offre l’adrénaline et l’autre la perspective mais c’est loin d’être si simple que cela dans la réalité. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, qu’importe le contraste si la culture d’entreprise est bien pensée – humaine, inspirante, sincère –, alors le bien-être peut exister. Avec ou sans baby-foot.

JUPDLC : On parle souvent d’un choix entre polyvalence en agence et spécialisation chez l’annonceur. Est-ce toujours vrai en 2025 ?
Jonathan Geandrot : Cette distinction a plutôt tendance à s’effacer aujourd’hui. La polyvalence est devenue un impératif quasi universel, tant les mutations du secteur imposent une agilité permanente. L’annonceur ne veut plus simplement un spécialiste du mailing : il veut aussi qu’il sache designer le contenu, analyser ses retombées, et pourquoi pas, en faire un podcast. Quant à l’agence, elle commence à chérir les profils plus « deep » : ceux qui ne sont pas juste bons en surface, mais capables de creuser un sujet jusqu’à en devenir le référent maison.
On assiste donc aujourd’hui à une sorte d’hybridation des profils : les agences veulent des experts curieux, et les annonceurs, des curieux experts. C’est d’ailleurs pour cela que les étudiants de l’ISEFAC y sont préparés à travers des projets et mises en situation. Ces apprentissages permettent de mieux comprendre leur futur métier et les compétences requises.
JUPDLC : Quels profils réussissent mieux en agence et lesquels s’épanouissent davantage chez l’annonceur ?
Jonathan Geandrot : Certains s’épanouissent là où l’intensité flirte avec l’imprévu, où chaque projet est un nouveau scénario à jouer – ce sont les amoureux du rythme, du changement, de l’urgence créative maîtrisée. L’agence devient alors un terrain de jeu exigeant, mais stimulant.
D’autres préfèrent inscrire leur action dans le temps long, construire, affiner, approfondir. Ce sont souvent des esprits stratégiques, attentifs à la vision globale. Chez l’annonceur, ils trouvent un cadre pour dérouler leur partition avec rigueur et nuance.
Au final, ce n’est pas une question de personnalité extravertie vs méthodique, ni de rythme rapide vs lent. Les profils à l’aise dans la simultanéité – ceux qui aiment jongler entre projets, clients, idées – trouvent leur élan en agence. Ceux qui préfèrent approfondir, construire sur le long terme, faire évoluer une marque de l’intérieur, s’épanouissent souvent chez l’annonceur. Les deux types réussissent, pourvu qu’ils soient au bon endroit.

JUPDLC : L’évolution des modèles d’agences (internes, hybrides, collectifs de freelances) change-t-elle la frontière entre agence et annonceur ?
Jonathan Geandrot : L’émergence des nouveaux modèles d’agences a en effet quelque peu redessiné les frontières du marché. Aujourd’hui, un annonceur peut héberger une agence en interne, une agence peut fonctionner comme une constellation de talents indépendants, et un freelance peut passer d’un rôle à l’autre selon le projet. Le rapport de force classique s’est ainsi effacé au profit de relations plus modulables. Ce n’est plus tant l’étiquette qui compte que la logique de collaboration.
En 2025, agence et annonceur ne sont plus des camps, mais des formes mouvantes, des rôles que l’on endosse selon les projets, les enjeux, les temporalités. C’est certainement là que réside la vraie révolution.
JUPDLC : En matière de communication responsable, voyez-vous une différence d’approche entre les agences et les annonceurs ? L’un des deux pousse-t-il plus l’innovation sur ces sujets ?
Jonathan Geandrot : En matière de communication responsable rares sont ceux qui en font sans « greenwashing » ou « syndrome du bon élève ».
Côté annonceur, la pression vient souvent de l’interne : RSE, conformité, réputation. L’enjeu est stratégique, parfois politique. On avance à pas mesurés, mais on ancre les changements dans la durée. On cherche à faire bien, mais aussi à prouver qu’on fait bien – ce qui peut ralentir l’audace.
Côté agence, on observe souvent une plus grande liberté de ton, une créativité plus radicale sur les sujets sociaux, environnementaux ou éthiques. L’innovation vient fréquemment d’elles : elles bousculent, interpellent, testent. Mais leur pouvoir s’arrête là où commence le brief client.
Il paraît donc évident que c’est dans la rencontre des deux que peuvent naître les vraies avancées.
« Les étudiants apprennent à intégrer la RSE comme un levier de sens et d’innovation, pas comme une contrainte. »
JUPDLC : Comment l’ISEFAC intègre-t-elle les enjeux RSE dans la formation de ses étudiants en communication ?
Jonathan Geandrot : Les enjeux sociaux, environnementaux et éthiques ne sont pas traités comme un chapitre de fin de cursus : ils irriguent l’ensemble de la formation. De la stratégie de marque à la création de contenu, en passant par les workshops et les projets réels, les étudiants apprennent à intégrer la RSE comme un levier de sens et d’innovation, pas comme une contrainte.
On les pousse à interroger les récits, à décoder les postures, à imaginer des campagnes alignées avec les valeurs qu’elles prétendent porter. Bref, à devenir des communicants lucides, engagés, et surtout crédibles.
JUPDLC : L’essor du digital et de l’IA transforme-t-il différemment le travail en agence et chez l’annonceur ?
Jonathan Geandrot : Je dirai que l’IA transforme la manière de travailler en communication en fonction des logiques de chacun. En agence, ces outils sont souvent adoptés comme des boosters créatifs ou des accélérateurs de production. On expérimente, on détourne, on pousse les limites. Chez l’annonceur, l’IA est pensée comme un levier d’optimisation, d’analyse, de performance. On veut du pilotage intelligent, du ROI augmenté, des process fluidifiés.
Il existe donc deux usages distincts mais j’aime à penser que l’enjeu est moins de suivre la machine numérique que de rester humain dans sa manière de l’utiliser.

JUPDLC : Comment l’ISEFAC adapte-t-elle ses formations pour préparer les étudiants à ces évolutions ?
Jonathan Geandrot : Nos formations doivent évoluer en temps réel, tout comme le marché. L’IA, les nouveaux formats, les outils émergents… tout cela n’est pas relégué à des options, mais bien intégré dans les projets, les briefs, les cas concrets. Les étudiants apprennent à manier les technologies, mais aussi – et c’est important aujourd’hui – à en questionner le sens, l’impact, l’usage.
Nous cultivons un double réflexe : maîtriser les codes d’aujourd’hui, tout en gardant l’agilité pour comprendre ceux de demain. Car la vraie compétence, c’est d’apprendre à apprendre sans cesse.
JUPDLC : Selon votre expérience, les étudiants ont-ils une idée préconçue sur le choix agence/annonceur, et leur perception change-t-elle après une première immersion ? Quel conseil donneriez-vous à un étudiant qui hésite entre les deux voies ?
Jonathan Geandrot : Il est toujours amusant de voir arriver les étudiants avec leurs idées toutes faites parce qu’elles ne survivent jamais à leur premier stage ou à leur première alternance. L’immersion professionnelle agit comme un révélateur. Ce n’est pas le lieu qui compte, mais ce qu’on y ressent, et cela est vraiment très personnel. Je présume que le bon choix agence/annonceur est plutôt de tester les 2. La communication n’est pas une ligne droite, c’est un parcours à facettes. Et c’est ce qui en fait tout le charme.
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