L’IA est un sujet qui fascine autant qu’il effraie. Et nombreux sont ceux qui tentent de prédire son impact futur, aussi bien dans nos vies personnelles que professionnelles. En effet, comment imaginer un monde bouleversé par une technologie aussi puissante ?
Véritable révolution, comment parvenir à faire de l’IA un allié plutôt qu’un ennemi ? Quels problèmes pourraient poser les intelligences artificielles dans le monde du travail ? S’agit-il d’un phénomène passager qui finira par mourir ou, au contraire, s’agit-il du début d’une nouvelle ère ? Quelles transitions devront être opérées dans les métiers du digital ? Parvenir à imaginer l’avenir de l’IA semble complexe, tant sur ses usages que sur ses impacts. Afin de décrypter le phénomène, nous avons rencontré Jean-Sébastien Klein, Directeur des partenariats pour Digital Campus à Lyon et Fondateur du collectif Tout Se Transforme.
Entrevue avec Jean-Sébastien Klein (Digital Campus & Tout Se Transforme)
JUPDLC : Selon vous, et dans un futur plus ou moins proche, quel impact global aura l’intelligence artificielle dans le monde du travail ?
Jean-Sébastien Klein : Il est déjà nécessaire de bien définir ce qu’on appelle Intelligence Artificielle. La déferlante que l’on a vu arriver avec la mise à disposition au grand public de ChatGPT concerne les IA dites « génératives ». Il s’agit d’une branche des Intelligences Artificielles, basée sur le Machine Learning, qui regroupe toutes les IA en capacité de produire du contenu (Texte, audio, vidéo, etc.). C’est cette branche qui va avoir un impact sur le travail.
On peut comparer l’impact de l’arrivée de ces IA génératives sur les métiers du tertiaire avec celui de la robotique pour les métiers du secondaire. On va assister à un déplacement de la valeur du travail. Concrètement, cela signifie que les IA génératives vont remplacer l’humain sur les tâches à faible valeur ajoutée, et que les femmes et les hommes vont se concentrer là où réside la valeur humaine : créativité, réflexion, capacité à embrasser des notions complexes, etc. Le vrai challenge réside dans la rapidité avec laquelle ce changement va arriver : là où la robotisation a mis plusieurs dizaines d’années à s’implanter, où la « transformation digitale » a pris 15 ans, l’intégration des IA génératives va se faire dans les 2 à 5 ans qui arrivent. C’est un véritable tournant qui pourrait avoir un impact considérable sur les entreprises et leurs collaborateurs.
JUPDLC : L’IA va notamment permettre l’automatisation des tâches répétitives. Quels bénéfices pour les métiers du digital ?
Jean-Sébastien Klein : Comme pour la plupart des métiers que j’appelle « cognitifs », le travail se découpe souvent en deux phases : une phase de réflexion et une phase opérationnelle. Prenons l’exemple de la création de posts sur les réseaux sociaux : un community manager va réfléchir à des thématiques, aux angles de ses posts, à son calendrier éditorial… Puis, il ou elle va créer le contenu des posts.
En déléguant la création de ces contenus à une IA générative, on gagne un temps considérable permettant de se concentrer sur l’essentiel qui est le message que l’on souhaite faire passer. Mais on peut aller plus loin : lors de la phase créative, utiliser les IA génératives comme copilote pour challenger ses idées ou essayer d’en générer de nouvelles permet de stimuler la créativité, trouver de nouvelles idées. Elles peuvent jouer le même rôle de miroir que celui qu’on ressent lorsque l’on discute avec un collègue.
JUPDLC : Dans ce même contexte, leur intégration peut-elle poser des problèmes ou comporte-t-elle des risques ?
Jean-Sébastien Klein : Bien sûr, et comme tout outil puissant, il est nécessaire de les manipuler en pleine conscience. Il faut garder à l’esprit que tout ce qui est généré par ces IA reste le produit de probabilités produites par un algorithme. Quand ChatGPT vous donne une réponse, il vous donne ce qui a le plus de probabilité d’être une réponse pertinente vis-à-vis de votre question, mais il ne vous donne pas forcément la vérité. Il est donc essentiel de vérifier les réponses et de ne pas les prendre pour argent comptant.
De plus, il est impossible de contraindre ces algorithmes à respecter le cadre “moral” qui leur a été posé. Même si de nombreux garde-fous sont posés, vous ne pouvez pas garantir à 100% que l’IA ne fera pas une sortie de route. Il faut donc être vigilant dans l’automatisation excessive ! Par exemple, vous pouvez décider de lancer une campagne massive de recueil de leads, et de renvoyer un mail automatiquement avec ChatGPT pour tous les messages reçus. Rien ne vous garantit que l’IA ne va pas à un moment envoyer un message inapproprié à votre contact. L’intervention humaine est encore nécessaire pour valider la pertinence de ce qui est généré.
Il y a notamment trois autres domaines sur lesquels il faut être averti :
- Sur l’aspect éthique : les modèles d’IA génératives comme ChatGPT sont entraînés sur des données issues d’Internet. Or, ces données sont majoritairement “occidentales”. De plus, la phase d’affinage (qui apporte notamment les comportements moraux et éthiques) est faite sur la base de valeurs, elles aussi, occidentales. Dans ses réponses, l’outil ne reflète donc pas une vision de l’humanité globale.
- Sur l’aspect environnemental : un seul entraînement de ChatGPT consomme 1287 GWh, soit l’équivalent de 110 voitures sur 1 an… Les IA de Google représentent la consommation d’une ville de 500.000 habitants. À l’heure où la sobriété énergétique est un enjeu majeur pour l’humanité, l’utilisation des IA est contre-productive ! Il est donc nécessaire de les utiliser de façon réfléchie. Par exemple, il sera toujours moins coûteux – mais pas gratuit – de faire une simple requête sur Google pour avoir une information simple.
- Sur l’aspect juridique : il existe un gros débat autour de la propriété intellectuelle des contenus sur lesquels les IA se sont entraînées et ceux qu’elles produisent. Ce débat est inédit d’un point de vue légal. Aussi, l’utilisation des données personnelles n’est pas clairement encadrée : par exemple, si vous utilisez des données sensibles dans ChatGPT, il est fort probable que ces données soient utilisées pour son prochain entraînement ! À noter, l’UE est en préparation d’une loi pour réglementer le développement et l’usage des IA (AI Act), qui, à l’instar de la RGPD, permettra de poser un cadre plus clair.
J’ajoute cependant que les risques qui ont pu être relayés par certains médias sur l’arrivée d’une IA qui viendrait prendre le contrôle de l’humanité (à la Terminator) ne sont pas à l’ordre du jour. Ces IA, que l’on appelle AGI (Artificial General Intelligence), et qui seraient conscientes et capables de s’adapter à toute situation, n’en sont qu’à l’état embryonnaire, et il n’est même pas certain qu’elles existent dans les décennies qui arrivent. ChatGPT peut être surprenant dans sa capacité à suivre une conversation et à formuler des réponses pertinentes, mais ça reste un algorithme. Il ne comprend pas ce qu’il écrit, c’est de la probabilité. Il n’est pas conscient !
JUPDLC : Selon vous, l’utilisation d’outils tels que ChatGPT tend-elle à se démocratiser ?
Jean-Sébastien Klein : Je constate qu’il y a deux camps actuellement : ceux qui n’ont pas encore touché à ces IA, ou de façon anecdotique, et ceux qui les utilisent déjà dans leur quotidien, et qui réfléchissent aux manières d’aller plus loin.
Je crois que le plus gros défi consiste à faire preuve de pédagogie. Les cas d’usage de ces IA dans le monde du travail ne sont pas forcément triviaux. Il faut montrer aux entreprises et à leurs collaborateurs des cas concrets, pour les amener à avoir le déclic. Pour qu’ils se posent la question « Ah mais ça veut dire que dans ma situation, je pourrais l’utiliser comme ça ? ».
JUPDLC : Petit à petit, pensez-vous que certains métiers puissent disparaître ? Si oui, existe-t-il des professions qui, selon vous, seront épargnées ?
Jean-Sébastien Klein : Oui clairement. Le plus évident dans les métiers de la com, c’est le métier de Rédacteur ou Rédactrice web, notamment pour les contenus les plus simples. Mais là encore, ça ne veut pas dire que ces personnes vont nécessairement se retrouver au chômage ! Il faut réfléchir à la valeur : la valeur d’un rédacteur est-elle dans l’écriture, ou dans le travail de recherche et d’interviews ? En évoluant, cette technologie pourrait permettre de se concentrer sur une approche plus « journalistique » en déléguant une partie de la rédaction à une IA.
C’est la même chose pour les métiers de la création graphique. L’IA est par essence conservatrice : elle ne crée rien de nouveau, puisqu’elle s’appuie sur des contenus déjà existants. Bien utilisée, l’IA va permettre à un Directeur Artistique de se concentrer sur la partie créative de son métier, et de tester ses idées rapidement. Comme je le disais précédemment, le vrai danger réside dans la rapidité avec laquelle ces outils vont s’implanter. Cela va demander à beaucoup d’acteurs des métiers du digital de repenser leur métier sans tarder !
JUPDLC : Quelle place ont les IA au sein de vos formations ?
Jean-Sébastien Klein : Contrairement à certaines écoles qui ont fait le choix d’interdire l’utilisation de ces IA, nous avons pris le parti de les intégrer de façon transversale à l’ensemble de nos programmes. Notre mission est de préparer nos étudiants à être des atouts pour les entreprises. L’intégration des IA dans leurs processus va être un enjeu majeur dans les prochaines années. Il est donc indispensable que nos apprenants soient formés et sachent utiliser ces outils, car ce sont eux qui vont faire changer les entreprises.
Nous avons donc organisé des conférences sur le sujet, et nous nous employons à sensibiliser et à former nos intervenants pour qu’ils intègrent l’usage des IA dans tous les cours.
JUPDLC : Qu’est-ce que le prompt ? Quels conseils donnez-vous à vos étudiants pour apprendre à bien prompter une IA ?
Jean-Sébastien Klein : Le prompt est la requête textuelle que vous allez envoyer à l’IA. Par exemple, dans un outil de génération d’images comme Midjourney, vous allez taper « Imagine une voiture futuriste verte dans un style steampunk avançant à vive allure dans une rue de Tokyo la nuit » (ce prompt est simpliste). C’est ce qui vous permet d’échanger en langage naturel avec l’IA. Chaque algorithme étant différent, il va plus ou moins bien répondre à un prompt selon la façon dont vous allez tourner votre requête. Il est donc nécessaire de comprendre comment il fonctionne pour optimiser la qualité du résultat.
Pour ChatGPT, je conseille souvent de construire le prompt en 3 parties : rôle, contexte et requête. Par exemple « Tu es maintenant consultant spécialisé dans la communication sur Linkedin [Rôle]. Je travaille pour une entreprise qui propose des services événementiels pour les entreprises, comme des séminaires de team building, l’organisation de conférences, etc. Nous lançons actuellement un nouveau produit pour créer des soirées escape games entre collaborateurs [Contexte]. Pourrais-tu générer un post LinkedIn pour amener les utilisateurs à venir visiter la page dédiée à ce produit ? [Requête] ».
Cet exemple est simplifié, et il faudrait détailler beaucoup plus les différents éléments de contexte, mais ça permet déjà d’avoir des résultats pertinents !
JUPDLC : Quels métiers du digital auront, selon vous, le plus recours à l’intelligence artificielle ?
Jean-Sébastien Klein : J’ai du mal à voir des métiers qui seraient épargnés. Je pense que les métiers autour du contenu ou du design graphique vont voir ces outils s’implanter rapidement, mais les progrès en génération de vidéos, voir en montage, sont en train d’avancer de manière fulgurante. Dans le développement, l’utilisation de GitHub Copilot est déjà une habitude ancrée. À mon sens, d’ici peu de temps, tous les métiers du digital vont utiliser des IA génératives : soit pour automatiser des tâches, soit en tant qu’assistant pour stimuler les idées.
JUPDLC : Quels conseils stratégiques donneriez-vous aux entreprises face au déploiement des IA ?
Jean-Sébastien Klein : Tout d’abord d’être curieuses : suivre des conférences ou des séminaires sur le sujet, pour appréhender l’impact que cela va avoir. Puis de réfléchir à ce que cela va représenter pour eux, et comment ils pourraient les intégrer. Le plus important est de ne pas reproduire ce que l’on a vu avec la transformation digitale, à savoir agir trop tard, et en réaction. Soyez proactifs !
Je leur conseillerais également de ne pas tomber dans la facilité en pensant qu’ils vont pouvoir se séparer de leurs collaborateurs pour les remplacer par des machines. Ça signifierait se mettre en dépendance de services externes et perdre ses éléments différenciants. Les IA vont être un vecteur de performance, encore faut-il les intégrer correctement. Il faut former les collaborateurs, et réfléchir ensemble à leur utilisation. L’intégration des IA va être une transformation profonde pour l’entreprise. Il est nécessaire de les aborder afin de les utiliser de manière pertinente, mais sans oublier sa raison d’être !
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