Axel Gelfert, professeur à la Technische Universität Berlin, a défini les « fake news » dans un article en 2018 comme « des informations fabriquées, conçues pour ressembler à des rapports de presse légitimes, mais intentionnellement trompeuses et souvent conçues pour manipuler le comportement des lecteurs ou leur opinion. » Il met l’accent sur l’intention derrière la création de fake news, soulignant leur nature délibérément trompeuse.
Dans des contextes de campagnes électorales comme actuellement aux Etats-Unis, est-il possible de considérer que les fake news sont utilisées comme des outils de persuasion ? En effet, durant la campagne présidentielle de 2016, le Congrès américain a publié un rapport estimant que plus de 126 millions d’Américains ont été touchés par les fake news créées par une agence du Kremlin, l’Internet Research Agency (IRA). D’où viennent ces fake news ? Comment se propagent-elles ? Et comment s’en prémunir ? Thibaud Frechet, intervenant et formateur SUP’DE COM, spécialisé en communication éditoriale et relations médias, nous répond !
JUPDLC : Pouvez-vous revenir sur la définition même des fake news ? Comment se différencient-elles des autres formes de désinformation ?
Thibaud Frechet : À l’origine, « fake news » désigne une « fausse nouvelle lancée en connaissance de cause dans le champ médiatique », selon le spécialiste français des rumeurs Pascal Froissart (Université de Paris VIII). L’usage intensif du terme remonte aux élections américaines de novembre 2016. Mais bien avant l’avènement du 45e Président des États-Unis et l’émergence des réseaux sociaux, les fake news existaient déjà, sous un autre vocable : anecdotes, canards, canulars ou désinformation. Mais encore faut-il le rappeler, les fake news sont des informations intentionnellement fabriquées pour tromper. La clé réside dans l’intention délibérée de manipuler l’opinion publique. Elles sont conçues pour ressembler à des informations légitimes, mais sont fausses et trompeuses.
À la différence d’autres formes de désinformation, telles que la mésinformation (qui est souvent le résultat d’une erreur non intentionnelle), les fake news sont des moyens intentionnels et souvent élaborés dans le but d’influencer des décisions publiques, de créer des divisions sociales, de nuire à l’image d’une marque, d’une personnalité publique, ou, dans le cadre politique, de favoriser des candidats ou des idéologies spécifiques. De plus, les fake news peuvent être amplifiées par des outils technologiques particulièrement redoutables mais surtout viraux de nos jours : les réseaux sociaux. Les « tuyaux », comme le sociologue et spécialiste des médias Dominique Wolton les appelle, leur donnent une portée bien plus grande qu’elles n’auraient pu avoir auparavant.
Dans le contexte des campagnes électorales, elles peuvent avoir des conséquences majeures, comme influencer l’opinion des électeurs, déstabiliser des processus démocratiques, ou détourner l’attention de sujets importants.
JUPDLC : Quelles sont les caractéristiques spécifiques des fake news qui les rendent si convaincantes pour les électeurs ?
Thibaud Frechet : Les fake news ont cette spécificité d’être particulièrement persuasives, tout simplement parce qu’elles exploitent les biais cognitifs des individus. Par exemple, elles utilisent des titres accrocheurs, des images ou des vidéos trompeuses qui déclenchent des émotions fortes, comme la peur, la colère ou la surprise. Ces émotions sont des leviers puissants pour capter l’attention et influencer l’opinion publique. Par ailleurs, les fake news se basent parfois sur des faits partiellement vrais ou sur des affirmations difficiles à vérifier rapidement, ce qui les rend crédibles pour un public peu informé ou méfiant envers les médias traditionnels. Enfin, elles bénéficient souvent d’une large diffusion via les réseaux sociaux, où elles sont partagées en masse, amplifiant leur impact.
La polarisation politique et le besoin d’information rapide, couplés à la méfiance croissante envers les médias traditionnels, rendent les électeurs plus susceptibles de croire et de partager ces informations, surtout si elles confirment leurs préjugés ou leurs croyances. J’ajoute aussi le fait que ce qui les rend convaincantes, c’est évidemment la source de diffusion. Et quand celle-ci s’appelle Donald Trump, ça a son importance ! Lorsque Donald Trump en 2016, alors candidat aux élections, placarde à foison sur Twitter et en majuscules « FAKE NEWS FAKE NEWS FAKE NEWS, » cela a participé à mettre en tension toute la campagne (voire la terre entière !). Cela a par ailleurs aussi participé à terme à la « Twitterisation » de la vie politique.
Jetez un œil à la présence aujourd’hui des élus, des ministres, des personnalités de la vie publique et politique. Tous sont désormais sur X (ex-Twitter). Tous sauf un d’ailleurs, le nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud. Ne pas communiquer, c’est communiquer ! Je salue ce choix, très stratégique au fond.
JUPDLC : Les deepfakes, par exemple, sont une nouvelle forme de fake news. Quels dangers cela représente-t-il pour l’intégrité des élections ? Voyez-vous émerger de nouvelles formes, de nouveaux mécanismes de fake news (shadowbanning, astroturfing, etc.) ?
Thibaud Frechet : Les deepfakes représentent une menace évidente pour l’intégrité des élections, car elles peuvent manipuler des images ou des vidéos pour donner l’impression que des personnalités politiques ont dit ou fait des choses qu’elles n’ont jamais faites. Cette technologie rend la falsification d’informations plus crédible et difficile à détecter, même pour les experts. À mesure que la qualité des deepfakes s’améliore, il devient de plus en plus complexe de distinguer le vrai du faux, créant ainsi un climat de méfiance généralisée envers tout type d’information visuelle ou audio.
J’aimerais ici donner un exemple plus « récréatif » des deepfakes, mais qui montre l’extrême finesse de cette technologie. Ces derniers jours, c’est l’émission Clique diffusée sur Canal+ et animée par Mouloud Achour qui s’est amusé à diffuser des interviews de Inoxtag et Léon Marchand notamment, complètement « deepfakées ». Résultat ? Un temps avant de réaliser que tout cela n’est qu’un canular. Une utilisation du deepfake à des fins récréatives mais qui dit l’ampleur et la finesse de cette technologie : on ne se rend compte que c’est un canular qu’à force d’écouter les réponses complètement loufoques du champion olympique de natation.
Parallèlement, d’autres formes de manipulation, comme le shadowbanning (la limitation invisible de la visibilité d’un contenu sans que son auteur ne s’en rende compte) ou l’astroturfing (la création de faux mouvements ou campagnes populaires pour donner une impression d’approbation massive), gagnent du terrain. Ces techniques créent des bulles d’information qui manipulent les perceptions du public sans qu’il s’en aperçoive. La combinaison de ces nouveaux outils pourrait rendre les campagnes électorales plus vulnérables à la désinformation. Elles sont relativement bien illustrées à travers la série La Fièvre.
JUPDLC : Existe-t-il des facteurs (sociologiques, démographiques) qui influencent la perception des fake news selon les individus ?
Thibaud Frechet : À l’évidence, oui. De nombreux facteurs influencent la perception des fake news. D’un point de vue sociologique, les individus qui vivent dans des environnements médiatiques polarisés, où les sources d’information sont alignées avec des positions politiques spécifiques, sont plus susceptibles de croire et de partager des fake news qui confirment leurs opinions.
Démographiquement, des études montrent que les personnes âgées sont souvent plus vulnérables aux fake news en raison d’une moins bonne maîtrise des outils numériques et d’une exposition plus limitée aux mécanismes de vérification des faits. Par ailleurs, les niveaux d’éducation jouent également un rôle clé : les individus ayant un accès limité à une éducation critique des médias sont plus susceptibles d’être trompés. Enfin, la méfiance envers les institutions (politiques ou médiatiques) accentue également cette vulnérabilité, car elle conduit certains à rejeter automatiquement les sources d’information traditionnelles au profit d’alternatives moins fiables mais perçues comme « indépendantes. »
JUPDLC : Pensez-vous que les fake news ont la capacité de renverser des résultats électoraux ou de modifier significativement les intentions de vote aux États-Unis ?
Thibaud Frechet : Oui, les fake news ont la capacité de modifier significativement les intentions de vote. Dans des cas extrêmes, elles peuvent même renverser des résultats électoraux. L’exemple des élections présidentielles américaines de 2016 en est la preuve la plus frappante, où des millions d’Américains ont été exposés à de la désinformation ciblée. Les fake news peuvent créer un faux sentiment de crise ou générer des scandales qui détournent l’attention des électeurs des véritables enjeux. Elles peuvent également servir à décourager certains groupes d’électeurs de se rendre aux urnes, en leur faisant croire que le vote est truqué ou que leur candidat n’a aucune chance de gagner. Ce type de manipulation, amplifiée par les réseaux sociaux et les algorithmes de diffusion, peut influencer les résultats de manière subtile mais significative.
JUPDLC : Quelles sont les principales sources de production et de diffusion des fake news pendant les campagnes électorales ?
Thibaud Frechet : Elles proviennent souvent d’acteurs ayant des intérêts politiques spécifiques. Il peut s’agir de gouvernements étrangers, comme l’Internet Research Agency liée à la Russie, qui cherchent à influencer les élections pour servir leurs intérêts géopolitiques. Cependant, il existe aussi des acteurs internes. Certains partis politiques ou groupes de pression aux États-Unis utilisent la désinformation comme stratégie pour discréditer leurs adversaires.
« Les algorithmes amplifient les fake news en favorisant les contenus les plus engageants (souvent les plus polarisants). »
Nous le voyons bien avec cette élection américaine entre Kamala Harris et Donald Trump. Notamment avec cette dernière « fake news » en date (et qui peut avoir des conséquences à prendre en compte dans les intentions de vote). Donald Trump indique ne pas retrouver dans les archives de McDonald’s le fait que Kamala Harris ait travaillé dans l’enseigne de fast-food (cette dernière le revendiquant). Ce même Donald Trump saisit alors la balle au bond en allant s’improviser serveur au Mcdo, montrant un homme politique proche des gens, qui mouille le maillot. Cette scène se révélera, quelques jours plus tard et grâce à un journaliste d’investigation, avoir été créée de toutes pièces par des complices, soutiens du candidat et ancien Président. Vous voyez comment le serpent se mord la queue au final et comment cela peut revenir en véritable effet boomerang…
En termes de diffusion, les réseaux sociaux restent le canal principal. Les algorithmes amplifient les fake news en favorisant les contenus les plus engageants (souvent les plus polarisants). Les faux sites de nouvelles, les blogs partisans et les chaînes YouTube non régulées sont également des relais importants de ces fausses informations.
JUPDLC : Si les fake news sont souvent associées à des acteurs étrangers comme l’Internet Research Agency, pouvez-vous nous en dire plus sur l’usage interne de ces stratégies aux États-Unis ? Quels sont les acteurs ? Pour quels objectifs ?
Thibaud Frechet : Absolument. Bien que les campagnes de désinformation menées par des acteurs étrangers aient beaucoup attiré l’attention, il est important de souligner que ces pratiques sont également utilisées par des acteurs internes aux États-Unis. Des groupes politiques, des organisations militantes et des individus peuvent produire et diffuser des fake news pour influencer les résultats électoraux, discréditer des candidats ou renforcer certaines idéologies. Par exemple, certaines fausses informations sont créées pour diviser les électeurs sur des questions sensibles comme l’immigration ou la santé, renforçant ainsi la polarisation politique déjà existante dans le pays. L’utilisation de telles stratégies est un reflet des dynamiques internes de la société américaine, où la concurrence politique est souvent féroce.
JUPDLC : Les réseaux sociaux sont souvent pointés du doigt pour leur rôle dans la propagation rapide des fake news. Pourquoi ces plateformes jouent-elles un rôle si important dans la diffusion de fausses informations ?
Thibaud Frechet : Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la propagation des fake news pour plusieurs raisons. Premièrement, ces plateformes sont construites autour d’algorithmes qui favorisent l’engagement. Or, les fake news, qui sont souvent sensationnalistes, suscitent des réactions émotionnelles fortes (colère, indignation, peur), ce qui leur permet de se propager plus rapidement que des informations vérifiées.
Deuxièmement, la structure même des réseaux sociaux, où l’information est partagée par des amis ou des personnes de confiance, renforce l’effet de confirmation. Les utilisateurs ont tendance à croire plus facilement une information qui leur est transmise par quelqu’un de leur réseau.
Enfin, la rapidité avec laquelle une information peut être partagée et la difficulté pour les plateformes de modérer en temps réel contribuent à la diffusion massive des fake news. À noter que durant cette campagne américaine, Elon Musk, qui a racheté Twitter en octobre 2022, a pris un rôle considérable. Bousculement de l’algorithme, prises de parole en public en faveur de l’ancien Président, financement de la campagne à coups de millions d’euros,… Il sera pertinent d’étudier l’impact de cet appui de poids ainsi que les coulisses de la relation entre les deux intéressés.
JUPDLC : Comment les données personnelles peuvent-elles être utilisées pour diffuser et amplifier le phénomène des fake news ? Peut-on toujours parler de « marketing ciblé » dans le contexte de la désinformation ?
Thibaud Frechet : Les données personnelles jouent un rôle crucial dans la diffusion des fake news à travers le ciblage précis des électeurs les plus susceptibles d’être influencés. En utilisant des données démographiques, comportementales et psychographiques collectées via des plateformes sociales et des cookies de navigation, les créateurs de fake news peuvent adapter leurs messages pour toucher des groupes spécifiques. Cela permet de maximiser l’impact des campagnes de désinformation, en exploitant les peurs, les croyances et les préjugés d’un groupe donné. Il s’agit d’une extension du marketing ciblé, mais dans le cadre des fake news, le but n’est pas de vendre un produit, mais de manipuler les croyances ou de modifier les comportements politiques. Ce ciblage précis permet aux fake news de se diffuser plus efficacement en atteignant les audiences les plus réceptives à ces informations trompeuses.
Nous touchons ici un point extrêmement sensible quant à la régulation des réseaux sociaux et des données personnelles. Nous sommes depuis maintenant plusieurs années largement sensibilisés sur le sujet du cyberharcèlement. Il sera nécessaire demain de l’être tout autant autour de ce qu’on appelle les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) en plaçant l’éducation aux médias au cœur du combat.
D’autant plus quand on sait qu’aujourd’hui les Français s’informent pour plus de 60% d’entre eux via les réseaux sociaux (une part encore plus importante chez les jeunes). Les professionnels du marketing et de la communication auront leur part à prendre dans l’éthique des données, dans le respect de l’identité numérique de chacun, et dans ce grand chantier éducatif à mener. J’ai eu plaisir à mener une première table ronde sur ce sujet il y a trois ans.
JUPDLC : Le Digital Service Act, voté en novembre 2022 au sein de l’Union Européenne, par le biais de la législation sur les services numériques (DSA), vise à rendre illégal en ligne ce qui est illégal hors-ligne. Pensez-vous qu’il soit possible d’établir des régulations similaires aux Etats-Unis pour freiner les pratiques de désinformation telles que les fake news ?
Thibaud Frechet : Bien qu’il serait idéal d’établir des régulations similaires aux États-Unis pour lutter contre les fake news, cela reste un défi majeur. Contrairement à l’Union Européenne, les États-Unis sont confrontés à des obstacles constitutionnels. Notamment en ce qui concerne le Premier Amendement, qui protège fortement la liberté d’expression. Toute tentative de régulation doit être soigneusement équilibrée pour éviter de restreindre cette liberté. Cela rend la législation complexe.
Cependant, des initiatives pour renforcer la transparence des algorithmes des plateformes ou imposer des responsabilités accrues aux entreprises technologiques pourraient être envisageables. Cela permettrait de mieux contrôler la propagation des fake news tout en respectant les principes fondamentaux de la liberté d’expression.
JUPDLC : Dans quelle mesure le fact-checking est-il capable de contrer l’impact des fake news pendant les élections ? Et de manière générale ? Pensez-vous nécessaire d’enseigner aux populations, en particulier les jeunes générations, les bonnes pratiques pour reconnaître et modérer ces fake news ?
Thibaud Frechet : Le fact-checking est un outil important pour lutter contre les fake news. Mais il a ses limites. Tout d’abord, il souffre souvent d’un manque de visibilité par rapport aux fake news elles-mêmes, qui se propagent beaucoup plus rapidement. De plus, les personnes déjà convaincues par une fausse information sont souvent réticentes à changer d’avis, même face à des preuves factuelles, en raison de biais de confirmation. Cela dit, le fact-checking reste essentiel pour fournir des contre-narratifs et offrir aux électeurs une source fiable d’informations vérifiées.
En France, de plus en plus de rédactions ont créé un pôle « Fact-checking », jusqu’à « fact-checker » les propos, les chiffres énoncés par des personnalités politiques en direct sur les plateaux, lors des grandes échéances électorales. Et l’on voit le narratif utilisé là aussi pour convaincre les lecteurs et spectateurs. Ces pôles se nomment les Décodeurs, les Vérificateurs, CheckNews, etc. Comme pour se donner une crédibilité, une fiabilité, un sentiment de sécurité, de « réconfort intellectuel ».
« Il est pertinent voire primordial, à l’instar des cours d’éducation civique, d’introduire des cours d’éducation aux médias. »
Il est également crucial d’éduquer les populations, notamment les jeunes générations, à mieux naviguer dans l’écosystème numérique. Enseigner les compétences de « littératie médiatique » et de « pensée critique » permettra aux individus de reconnaître les signes de désinformation et de développer une approche plus sceptique et méthodique face à l’information qu’ils rencontrent en ligne. Et je pense que ces cours-là devraient être introduits dès l’école primaire.
De la même manière qu’à mon époque, au début des années 2000 (pas si loin !) il y avait, je me rappelle, à l’école primaire un rapide cours sur l’utilisation, la découverte du moteur de recherche Google. C’est selon moi le bon âge pour aborder ce sujet. En effet, à partir de 10 ans (et « hélas » bien avant !), les jeunes sont largement confrontés aux écrans. Mais aussi au journal télévisé le soir avec leurs parents. Il est donc pertinent voire primordial, à l’instar des cours d’éducation civique, d’éducation sexuelle (qui viennent plus tard),… D’introduire des cours d’éducation aux médias. C’est en tout cas un axe éducatif à défendre afin que des jeunes scolaires deviennent des jeunes citoyens éclairés. Qui, eux-mêmes, seront en passe de devenir des jeunes électeurs quelques années plus tard.
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