« La culture ne vit plus seulement sur les scènes, dans les livres ou sur les grands écrans. Elle vit dans les feeds. » Cette affirmation d’Elisa Czerwenka, Senior Creative de l’agence Uncommon Creative Studio, capture bien l’essence de la dernière initiative d’Instagram : les « Rings ».
Cette récompense, créée pour le réseau social par Uncommon Creative Studio, vise à célébrer les créateurs du monde entier qui ne se contentent pas de suivre la culture, mais la font activement évoluer. Au-delà du prix et du prestige qu’il peut offrir à celles et ceux qui le recevront, cette initiative se distingue par une approche originale de la valorisation du talent. Une approche incarnée par un système d’évaluation moins ancré dans les KPIs, les likes et les vues, que dans l’originalité, l’audace et la créativité des créateurs et créatrices.

Un jury d’exception
Avec Rings, Instagram prend le parti pris de s’affranchir des indicateurs quantitatifs qui régissent habituellement la plateforme. Les lauréats ne sont pas sélectionnés sur la base de leurs likes ou de leur nombre d’abonnés. Cette décision marque une rupture significative avec la logique de popularité pour se concentrer sur l’essence même de l’acte créatif : le courage, l’originalité et l’impact culturel.
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Pour garantir la légitimité de cette démarche, la plateforme a assemblé un jury dont la composition est une manœuvre stratégique en soi. En réunissant des figures emblématiques et pluridisciplinaires, Instagram cherche à établir la crédibilité intersectorielle du prix.
On y retrouve des icônes du cinéma comme Spike Lee, des légendes de la mode et de la beauté telles que Marc Jacobs, Grace Wales Bonner et Pat McGrath, des figures de l’art contemporain et de la musique comme Kaws et Tainy, et des pionniers du monde digital comme le responsable d’Instagram Adam Mosseri, le youtubeur tech Marques Brownlee et l’actrice Yara Shahidi.
Prestige et capital symbolique en récompense
Plutôt qu’une dotation financière, Instagram mise sur la reconnaissance et le statut. Les 25 lauréats seront révélés le 16 octobre. Ils recevront un ensemble de récompenses conçues pour asseoir leur prestige au sein de la communauté créative :
- Une bague physique : un objet tangible et sur mesure, conçu par la créatrice de mode Grace Wales Bonner
- Une bague numérique exclusive : une distinction visuelle sous la forme d’un cercle doré qui apparaîtra autour de leur photo de profil à la place de l’anneau habituel des Stories, visible sur toute l’application.
- La personnalisation du profil : la possibilité de modifier des éléments de leur interface, comme le bouton « J’aime », leur permettant d’apposer leur propre signature créative.
- La personnalisation du fond d’écran du profil : la possibilité de modifier la couleur d’arrière-plan de leur profil, ajoutant une couche supplémentaire de distinction visuelle.
Aucune récompense monétaire ne semble pour l’instant prévue pour les lauréats, un choix au cœur de cette stratégie. En privilégiant le capital symbolique, Instagram cherche à créer un équivalent des « Oscars pour les créateurs de contenu », où la reconnaissance par les pairs et les icônes du secteur devient la véritable monnaie d’échange. Ce lancement intervient toutefois dans un contexte économique particulièrement tendu pour les créateurs.
Un symbole fort dans un écosystème en tension
Loin d’être une coïncidence, le lancement des Rings s’inscrit comme une réponse stratégique directe à la réduction des programmes de rémunération de Meta. Ces dernières années, la société a mis fin aux bonus versés aux créateurs de Reels (2023) et une étude de Kajabi a révélé une baisse de 52 % des contrats avec les marques pour les créateurs en 2024. Dans cet écosystème où la viabilité financière est un enjeu majeur, l’introduction d’un prix purement symbolique signale un pivot stratégique.

Instagram semble prendre le pari que le capital culturel et la reconnaissance par les pairs peuvent se substituer, du moins en partie, à des incitations financières coûteuses. Cette initiative vise à se positionner comme un arbitre du prestige culturel, capable de fidéliser les talents les plus influents non plus par l’argent, mais par le statut. Cela soulève une question fondamentale pour l’avenir de la creator economy : face à des enjeux financiers croissants, une reconnaissance symbolique, aussi prestigieuse soit-elle, suffira-t-elle à retenir les créateurs qui font la culture sur la plateforme ?

