Les influenceurs : nouveaux leviers de la communication politique ?

En collaboration avec SUP' DE COM

Mcfly et Carlito et Emmanuel Macron sur YouTube, Gabriel Attal et EnjoyPhoenix sur Twitch, et même l’élue américaine Alexandra Occasio Cortez en streaming sur un jeu vidéo… La communication politique passe-t-elle désormais par des stratégies d’influence identiques à celles des marques de luxe et de grande consommation ?

Plus que jamais, à l’aube de la présidentielle de 2022, l’influence et les influenceurs semblent au menu des politiques pour gagner des voix. Pour quelle raison ? Comment les politiques mobilisent-ils les codes de l’influence ?

 

Les influenceurs en politique : le meilleur moyen d’atteindre les jeunes ?

Vous avez sans doute entendu que communiquer sur les réseaux sociaux et avec les influenceurs permet d’atteindre les jeunes. La communication d’influence est un secteur porteur, qui grandit sans arrêt depuis une dizaine d’années. En 2021, d’après une étude de l’Influencer Marketing Hub, son chiffre d’affaires s’élève à plus de 13 milliards de dollars. Et si le marché se porte bien, c’est en grande partie grâce aux jeunes qui utilisent les réseaux sociaux comme loisirs mais aussi comme moyen d’information. D’après des études récentes menées par l’IFOP et le CEVIPOF en 2019 et 2021, les réseaux sociaux sont la première source d’information des 18-34 ans, ils sont 45% à s’informer via ce média, contre 7% dans la presse écrite.

C’est donc un support de choix pour les politiques qui peuvent ainsi envoyer des messages à la jeunesse, part de la population qu’ils atteignent le moins par les canaux traditionnels. Ce manque de portée se répercute d’ailleurs dans les chiffres : les jeunes votent peu aux élections par rapport aux autres classes d’âges. Par exemple, au premier tour des législatives de 2017, 64% des moins de 35 ans n’ont pas voté. Pour les régionales de 2020, ce nombre atteint un record : 87% d’abstentionnistes au premier tour chez les jeunes, contre 67% des Français en moyenne. À l’inverse, seuls 40% des plus de 70 ans ne sont pas allés voter, et 56% des 50-69 ans, d’après un sondage Ipsos et Sopra Steria.

Les stratégies d’influence apparaissent donc comme un moyen de remobiliser tout un segment des votants.

mcfly-carlito-emmanuel-macron-video-politique-influence
Crédit Photo : YouTube

 

L’influence en politique : un moyen de remobiliser les jeunes ?

Les chercheurs donnent plusieurs explications à l’abstention des jeunes. Elle serait liée à une insertion moins forte dans la société. En effet, les trajets entre la ville d’études et la ville où l’on a une carte d’électeur peuvent décourager certains jeunes. Une autre piste est le manque d’informations disponibles. Les jeunes regardent moins la télé que le reste de la population, occupés par leurs études et leurs activités : ils auraient moins de temps à consacrer à la recherche d’informations politiques. Enfin, il s’avère que les jeunes privilégient d’autres formes d’engagement, notamment dans des associations. Ces modes d’actions seraient perçus comme plus efficaces que la politique, jugée peu concrète et corrompue. Mais est-ce une volonté sincère de la part des hommes et des femmes politiques d’aller « remobiliser les jeunes » ?

Derrière l’argument démocratique se cache aussi un enjeu électoral. Pour être élu en politique, vous ne devez pas viser les électeurs de l’autre camp. De la même manière que dans la communication de marque, vous ne cherchez pas à susciter le besoin chez un client. Vous vous contentez de créer le désir d’acheter. Vous ne cherchez pas à convaincre les cyclistes qu’ils ont besoin d’une voiture, vous donnez envie à ceux qui veulent une voiture d’acheter la vôtre. En politique, c’est pareil : vous prenez position pour séduire ceux qui hésitent, mais surtout pour donner aux abstentionnistes la motivation d’aller voter.

C’est à ce titre que les jeunes sont particulièrement attractifs. La jeunesse abstentionniste est vue comme un réservoir de voix. De plus, ces jeunes sont particulièrement utiles pour un parti politique car ils sont mobilisables pour les opérations de la campagne, qui nécessitent de l’énergie et des déplacements. Il est donc intéressant pour les politiques d’investir les réseaux sociaux comme YouTube, Instagram, mais désormais aussi Twitch et TikTok pour mobiliser les jeunes. Par exemple, sur Twitch, 50% des utilisateurs ont moins de 34 ans. De plus, comme ces actions sont originales, elles ont souvent des retombées médiatiques bien plus larges qu’un énième meeting.

Mais comment faire pour lancer une campagne d’influence sur le digital quand on travaille dans la politique ?

 

Influenceurs, politiques influenceurs et influenceurs politiques

La première solution pour les politiques est de réaliser une vidéo ou une émission avec un influenceur. Mais dans quel but ? La première chose à savoir, c’est que pour gagner en politique, vous ne pouvez pas simplement donner des idées. Il y a une part de personnalité et de caractère dans le choix de vote des Français. De la même manière qu’une campagne de marque ne se cantonne pas à vanter un produit mais à créer des émotions et s’attacher à un territoire émotionnel, les politiques doivent développer une image. Apparaître sur les réseaux sociaux permet de se montrer sous un angle moins formel et plus sympathique. Par exemple, dans la vidéo de Mcfly et Carlito, chaque punchline du Président est l’occasion de montrer son côté pugnace, son humour et la maîtrise des codes « jeunes ». Cela lui permet de dessiner sa personnalité. Faire appel à un influenceur permet aussi d’attirer sa communauté et de faire passer des messages politiques.

« Dans sa vidéo avec McFly & Carlito, Emmanuel Macron a trouvé un moyen pertinent de parler aux jeunes. Il a plutôt bien maîtrisé les codes de cette cible, en utilisant des expressions dans l’air du temps, en appelant Kylian Mbappe, etc. Mais il n’a pas parlé aux jeunes. Cette vidéo est sûrement divertissante pour la cible, mais je ne suis pas certain que le Président ait réussi à la convaincre. », explique Jean-Philippe Jouvenel, Consultant et Formateur en Communication Politique et Gestion de Crise, Intervenant à l’école de communication SUP’ DE COM

Parfois, l’utilisation des influenceurs est plus subtile : c’était le cas par exemple de l’appel de Jean Castex au youtubeur Gaspard G pour rassurer les jeunes lors de la pandémie. L’objectif officiel était de servir l’intérêt de l’Etat et protéger de la COVID-19. Une autre mise en scène à étudier : le cas de Gabriel Attal et son émission « #SansFiltre », où il a invité des jeunes influenceurs dont EnjoyPhoenix, YouTubeuse lifestyle et beauté, pour défendre la réponse sanitaire du Gouvernement.

Cependant, le format de l’influence n’assure pas forcément une campagne réussie. Il faudrait donner aux politiques les mêmes conseils qu’aux marques pour lancer leur campagne d’influence. L’exemple de #SansFiltre permet d’illustrer le problème : un cadre travaillé qui n’a pas suffi à rendre l’émission pertinente pour les spectateurs.

sans filtre - Gabriel Attal - EnjoyPhoenix - influence - interview
Crédit Photo : YouTube

Le passage d’EnjoyPhoenix face à Gabriel Attal n’a pas satisfait les internautes. Malgré son travail de préparation, l’influenceuse était-elle suffisamment formée pour poser les questions à un ministre ? Pour le pousser dans ses retranchements ? Difficile pour quelqu’un dont ce n’est pas le métier : EnjoyPhoenix n’a pas l’expérience d’un journaliste.

Lorsqu’un politique utilise l’influence, éviter la contradiction en choisissant une personne inexpérimentée ne fonctionne pas. C’est comme dans les tests produits des influenceurs tech : pour valider une marque, vous voulez l’avis d’un expert du sujet. De même, faire des réponses évasives et verrouiller son comportement n’est pas un combo gagnant sur les réseaux sociaux. Contrairement aux médias, le naturel joue un rôle important. Ainsi, le passage de Jean Castex sur Twitch avec Samuel Etienne en mars 2021 a été jugé décevant par les spectateurs. Le Premier Ministre a esquivé certaines questions, a peiné à sortir de son statut de politique et n’a ainsi pas su séduire la cible d’internaute.

Podcast


 

L’influence : manipulation des influenceurs et abaissement de la politique ?

Après la vidéo de Mcfly et Carlito, les attaques ont fusé. Les partis politiques ont critiqué négativement Emmanuel Macron, accusé d’utiliser l’argument sanitaire pour mettre en valeur sa propre image sur internet.

Mais au-delà de ce débat, il y a deux craintes :

  • La concentration de la politique sur la personnalité des candidats au détriment des idées de fond.
  • La transformation de la politique en une forme de divertissement, particulièrement lorsqu’elle s’adresse aux jeunes. Cette pratique revient à les mettre à l’écart des sujets complexes.

Mais cette accusation est-elle fondée ?

Depuis des années déjà, « l’infotainment » est un format apprécié à la télé : Le Petit Journal, Quotidien, et maintenant Touche pas à mon poste reçoivent régulièrement des personnalités politiques. De même, gagner une élection présidentielle nécessite souvent de se mettre en scène dans l’intimité, comme l’avait fait Emmanuel Macron en apparaissant avec sa femme à la une de Paris Match, ou Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy dans l’émission Une ambition intime.

« A l’origine, la communication d’influence est du marketing pur pour placer des produits. C’est cela qui me dérange actuellement. On cherche à créer l’envie. Seulement, la politique ce n’est pas donner envie, c’est de convaincre. Celui qui arrive à créer l’adhésion c’est Eric Zemmour. Il a utilisé CNEWS abusivement mais il connaît sa cible et a su utiliser les codes des gens qu’il vise. C’est un populiste et son métier est de savoir écouter sa cible. », explique Jean-Philippe Jouvenel, Consultant et Formateur en Communication Politique et Gestion de Crise, Intervenant à l’école de communication SUP’ DE COM

 

Les politiques deviennent eux-mêmes des influenceurs

Les politiques peuvent eux-mêmes se lancer dans l’influence, en créant leur propre chaîne YouTube. De nombreux candidats préfèrent ainsi communiquer sur ces médias pour adresser les messages qu’ils choisissent. C’est le cas de Jean Luc Mélenchon et sa chaîne YouTube à 600 000 abonnés, Eric Zemmour et ses 300 000 abonnés ou Emmanuel Macron et ses 230 000 abonnés. Cela leur permet ainsi de s’adresser directement à leur cible sans passer par les questions d’un journaliste. Cependant, les politiques s’adressent alors uniquement à leur communauté. Ils font passer un message, mais sans toucher de nouvelles personnes. Un autre inconvénient : lorsque vous lancez vos vidéos, vous êtes seul maître à bord. L’avantage d’un partenariat avec un influenceur ? Il connaît les codes du web et saura créer une vidéo fun, agréable à regarder pour sa communauté.

Quelques politiques se sont lancés avec succès sur des plateformes plus originales. Par exemple, le ministre des transports Jean-Baptiste Djebbari a un compte Tiktok où il suit les tendances du réseau social et parvient à se créer un personnage. Jean-Luc Mélenchon a, également, su utiliser Tiktok : 600 000 abonnés, 12,4 millions de “J’aime” et la reconnaissance de nombreux Tiktokers. Pari réussi !

commentaires - ministre des transports
Crédit Photo : TikTok

L’une des meilleures opérations de communication est celle d’Alexandria Ocasio-Cortez, la jeune députée démocrate de New York. Pour mobiliser les jeunes, elle avait joué à Among Us, un jeu vidéo à succès, sur Twitch, devant plus de 400 000 personnes. À ce moment-là, elle a été sur le podium des plus grandes audiences de la plateforme. La clé de son succès : reprendre les codes de la plateforme et se filmer en jouant.

jeu-video-live-femme-politique
Crédit Photo : YouTube

D’autres tentatives ont connu une issue moins glorieuse, comme la création de comptes TikTok par Marlène Schiappa, Ministre chargée de la Citoyenneté et Bruno le Maire, Ministre de l’Economie.

 

L’essor des influenceurs politiques ?

Les influenceurs politiques sont de plus en plus nombreux sur internet. Si certains se concentrent sur des décryptages comme Hugo Decrypte ou Jean Massiet, la plupart d’entre eux est politiquement orientée, que ce soit à gauche comme Osons Causer ou Usul, ou à droite comme le controversé Raptor. Enfin, si certains affichent leur proximité avec des candidats, peu sont les politiques qui ont saisi cette opportunité de communiquer. Est-ce une tendance à suivre ?

 

Utiliser l’influence pour faire parler de soi et étendre son audience, ce n’est pas si nouveau que ça. Ce qui change, c’est le support de communication. Les influenceurs sont les nouvelles célébrités. Déjà en 2008, Obama avait su s’entourer de personnalités influentes comme Oprah Winfrey ou George Clooney. Faire un partenariat avec Mcfly et Carlito, c’est comme inviter Yannick Noah au grand meeting du Bourget lorsqu’on est François Hollande, ou s’associer à Faudel pour sa campagne comme Sarkozy en 2007. Le plus gros risque de l’influence politique est supporté par les influenceurs eux-mêmes. Leur public peut ne jamais pardonner leur partenariat. Si le public de Mcfly et Carlito est resté, cela n’était pas été le cas du public de Faudel par exemple, qui a connu un passage à vide après avoir soutenu Nicolas Sarkozy.

Finalement, la communication politique d’influence n’est qu’une déclinaison de la communication politique classique. L’avenir dira si elle a autant de conséquences sur les influenceurs qui y participent.

 

Intéressé par les métiers de la communication ? Envie d’en savoir plus sur SUP’ DE COM ? Rendez-vous sur sa page école dédiée !

Page école SUP' DE COM

Tag :

emoji-email Ne manquez aucune actualité, abonnez-vous !

Chaque semaine, le meilleur de la communication et du digital directement dans votre inbox...