L’IA générative a fait son arrivée dans notre quotidien : génération de textes, d’images, de sons ou de vidéos sont désormais possibles en un simple clic. Qui n’a jamais testé ChatGPT, Midjourney ou encore Google Bard ? En effet, ces outils sont de puissants alliés, notamment dans l’industrie créative. Pendant que les IA s’occupent des tâches répétitives, les créatifs peuvent mettre leur imagination à pleine contribution ! De nouvelles opportunités s’offrent ainsi pour le secteur, et la performance n’en sortira qu’augmentée.
Au sein de l’industrie créative, comment les établissements s’adaptent-ils à cette révolution technologique ? Comment former les futurs créatifs à ces nouveaux outils ? Quels sont les défis liés à l’utilisation des intelligences artificielles ? Pour y répondre, nous avons rencontré Nicolas Cerisola, directeur de Sup de Création.
JUPDLC : Tout d’abord, que permet de faire l’IA dans le domaine des industries créatives et culturelles actuellement ?
Nicolas Cerisola : Si l’Intelligence Artificielle (IA) est utilisée de longue date dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo, les nouvelles applications de l’IA générative bousculent notre vision des capacités de la machine. L’IA permet d’entrevoir un potentiel de transformation inédit de nos usages, de notre quotidien professionnel et de ses perspectives en matière de création visuelle dans le secteur des Industries Créatives et Culturelles : publicité, cinéma, jeu, musique, musées, arts du spectacle, etc.
Les signes de l’accélération de la transformation créative des ICC via l’IA sont tangibles. Dans le monde du cinéma, le CNC a décidé de lancer un nouvel Observatoire de l’IA afin de mieux comprendre ses usages et ses impacts réels sur la filière de l’image. Pour cet Observatoire, le CNC a souhaité dresser un premier état des lieux à travers la cartographie des usages actuels ou potentiels de l’IA à chaque étape du processus de création et de diffusion d’une œuvre, en identifiant les opportunités et risques associés, notamment en termes de métiers et d’emploi.
« Le numérique et l’interactivité comme moyens de diffusion des savoirs semblent être arrivés à un point de bascule avec l’IA et l’ultra personnalisation de l’expérience culturelle en ligne ».
Dans le domaine musical, avec l’aide de l’IA, chaque concert devient unique. L’IA permet d’analyser les réactions du public en temps réel pour ajuster le déroulement du spectacle, d’intégrer des séquences interactives où les spectateurs peuvent influencer certains aspects visuels ou sonores du show. Le numérique et l’interactivité comme moyens de diffusion des savoirs semblent être arrivés à un point de bascule avec l’IA et l’ultra personnalisation de l’expérience culturelle en ligne.
« Les musées s’emparent de l’IA en collaborant avec des concepteurs en arts visuels numériques dans le but de proposer des expériences culturelles immersives de grande qualité ».
La preuve au sein du secteur culturel, où intégrer l’IA au cœur d’un parcours muséal permet de développer plus d’interactivité, de personnalisation et d’envisager une expérience radicalement nouvelle. Le Musée Sound & Vision a ouvert ses portes aux Pays-Bas, il se décrit comme le « premier musée au monde qui s’adapte en permanence aux actions des visiteurs », et c’est ce que l’équipe en charge du nouveau Museum of Shakespeare (ouverture en 2025 à Londres), est en train de développer. Très loin d’être des lieux poussiéreux tel que l’imagerie populaire tendrait à le dépeindre, les musées s’emparent de l’IA en collaborant avec des concepteurs en arts visuels numériques dans le but de proposer des expériences culturelles immersives de grande qualité.
Enfin, dans le domaine de la communication et à la publicité, l’essor de l’IA est ressenti comme une menace pour certaines branches de métiers et une obligation technique génératrice d’opportunités business pour les agences qui tenteront de ne pas rater le coche. Pari qui doit s’incarner concrètement au cœur des agences, au-delà d’effets d’annonces et de campagnes trompe-l’œil, afin de séduire des marques, elles-mêmes dans l’obligation d’embrayer sur cette révolution technologique IA en matière de création de contenus pour rester attractives.
Le sujet est fondamental pour les industries créatives et culturelles, d’autant plus que son adoption soulève des questions de business model, du cadre légal et réglementaire et des conditions d’encadrement éthique.
JUPDLC : Quelles sont les nouvelles opportunités qu’offre l’IA dans un futur proche ?
Nicolas Cerisola : Il faut considérer l’IA comme un outil formidable mais un outil tout de même afin de rendre son apprentissage attractif et progressif. Selon toutes les études sur les opportunités qu’offre l’IA, c’est la notion d’« artiste augmenté » qui est mise en avant et non pas le remplacement pur et simple de la compétence humaine.
En effet, l’IA ne peut s’élever au rang de l’homme sur le point créatif, elle n’est pas dotée d’élan créateur ni de subjectivité. L’IA est dépendante des données qui lui sont fournies, et l’art qu’elle produit est issu des algorithmes qu’elle synthétise de manière mathématique. Elle ne propose pas une création basée sur des émotions, une expérience ou des intentions artistiques humaines. Elle doit être guidée par l’humain et ses compétences pour répondre à des besoins créatifs.
En ce moment, les comédiens de doublage s’érigent sur la perspective d’un doublage français généré automatiquement par l’IA, dépourvu de la qualité première d’un comédien, le jeu d’acteur. Ces luttes de métiers pour maintenir un savoir-faire et des compétences seront nécessaires pour installer l’IA à sa juste place.
L’IA offre pour le moment deux avantages : la déclinaison fine d’un projet créatif par automatisation et le gain de temps sur des processus techniques et de craft complexes, ce qui permet au créatif de se consacrer sur la direction de création, par exemple. Les compétences en références artistiques et le prompt devraient pousser les nouvelles générations à renouer avec la puissance et la précision des mots. Ce qui n’est pas négligeable… Il s’agit donc plus pour l’IA de demeurer un assistant plus qu’un substitut au créatif afin de faire de ce dernier un créatif augmenté.
JUPDLC : Comment les écoles de design s’adaptent à cette révolution ?
Nicolas Cerisola : L’IA gomme la distinction entre image fixe et image animée, car nous passons de l’une à l’autre sans aucune difficulté aujourd’hui. L’IA ne remplace pas la réalité d’un tournage mais elle peut animer une image fixe en s’inspirant du motion design, dont elle va accélérer son expansion et son usage. Elle modifie également l’ensemble des processus de création.
D’abord, en contribuant à la génération d’idées créatives, elle permet de produire des concepts boards plus craftés, plus aboutis formellement. Ensuite, en optimisant la pertinence de leur formulation, elle révolutionne la production et l’exécution toujours plus rapide des projets de création visuelle en s’épargnant des tâches techniques laborieuses et chronophages. Les écoles de design doivent intégrer l’IA dans leurs programmes au travers de matières techniques liées au prompt design, à la propriété intellectuelle, au cadre éthique et légal, la RSE, la direction de création, les références artistiques et culturelles…
JUPDLC : Quels sont les principaux challenges liés à l’utilisation des IA dans son futur ?
Nicolas Cerisola : Le premier paramètre que l’IA va modifier est le temps réel, c’est-à-dire la variable temporelle que nécessitait le projet de création visuelle initial à comparer avec le temps de production visuelle agrémenté par l’IA. Le temps réel, c’est également la capacité d’interaction immédiate et partagé d’un projet créatif via l’IA. Des sociétés comme 3DVerse travaillent sur cette notion de temps réel qui va révolutionner toute notre chaîne de métiers. Le temps réel et le temps de production initial vont se télescoper, notre rapport au travail va évoluer comme toute avancée technologique forte dans l’histoire de l’humanité.
Le véritable challenge concernant cette avancée technologique demeure la RSE et notre responsabilité écologique. L’IA nécessite plus de matériel de calcul pour accéder à ses opportunités technologiques et va rendre obsolètes nos outils d’aujourd’hui. Il faut accélérer la production de composants informatiques naturels, notre capacité de produire propre et recyclable, en émettant moins de CO2, en intégrant des matériaux recyclables, biodégradables, etc. Les progrès des neurosciences et de la biotechnologie ouvrent la voie à la fabrication d’ordinateurs biologiques, faits à partir d’ADN d’espèces animales ou végétales. Cette avancée technologique sera à la fois une rupture pour le monde informatique et notre perception de la production industrielle traditionnelle, qui ne pourra qu’être RSE, bien loin des dystopies de comptoir. Il faut nous en éloigner pour placer l’humain comme vecteur essentiel d’une intelligence qui ne reste qu’artificielle, tel que son nom l’indique finalement.
JUPDLC : D’ici quelques années, pensez-vous que l’utilisation des intelligences artificielles sera démocratisée dans le secteur des ICC ?
Nicolas Cerisola : le cycle d’innovation des IA se positionne en haut de sa courbe des attentes, celle qui précède une courbe de développement des usages rapide, tant les récents sondages sur l’utilisation de l’IA par les Français démontrent une attraction pour cette nouvelle technologie. 45% des 18-35 ans utilisent déjà les IA d’usage public tels ChatGPT ou Midjourney. La démocratisation au cœur des ICC est déjà en cours d’accélération.
Pour conclure, l’IA générative va créer une nouvelle génération de créatifs, augmentés et compétents, que nous devons former en tenant compte des enjeux sociétaux et environnementaux d’aujourd’hui et de demain, tout en plaçant l’humain et ses compétences artistiques au cœur de son évolution.
Pour en savoir plus sur Sup de Création, rendez-vous sur sa page école dédiée !