Personnalité incontournable et historique dans le design graphique et l’édition, Etienne Robial rassemble dans un ouvrage, alphabets+tracés+logotypes (Éditions Magnani), l’ensemble complet de ses travaux ainsi que de ses recherches personnelles et contributions célèbres ou méconnues, à partir des alphabets qu’il a conçu et utilisé tout au long de sa carrière. L’occasion pour J’ai un pote dans la com d’échanger avec Etienne Robial autour de son ouvrage, son passage à Canal+, mais aussi l’exposition qui lui sera consacrée au Musée des Arts Décoratifs en octobre 2022.
INTERVIEW – Etienne Robial : « La France est un pays graphiquement sinistré »
JUPDLC : Pouvez-vous vous présenter ?
Etienne Robial, sans accent sur le E, graphiste, directeur artistique, éditeur, collectionneur, et enseignant…dans le désordre. (rire)
JUPDLC : Votre ouvrage alphabets+tracés+logotypes est paru le 08 octobre 2021. Quel en est le sujet ?
Etienne Robial : Ce livre aborde tous les aspects de mon travail graphique et visuel. J’ai décidé de rendre publiques ces recherches pour les partager avec mes étudiants, mes collaborateurs, mes clients et commanditaires, et toutes les personnes sensibles à mes trois fondamentaux : formes, couleurs, typographie. La conception de cet ouvrage m’a demandé trois ans de recherches, de classements et de clarification. Il m’a semblé utile de faire le point, en alignant de façon exhaustive, la quasi-totalité de mon travail de 1967 à 2021 sur effectivement 400 pages et à travers 3500 images, 306 logotypes et marques.
JUPDLC : Vous avez accompagné de nombreuses marques aujourd’hui à succès. Qu’en retenez-vous ?
Etienne Robial : Je ne me suis jamais préoccupé de réaliser une marque à succès, mais simplement de répondre aux questions et aux préoccupations des entrepreneurs et créateurs de marques. L’important était d’apporter une seule réponse, la bonne !
JUPDLC : Vous êtes à l’origine de l’identité visuelle de Canal+. Comment l’avez-vous élaborée ?
Etienne Robial : Je faisais partie de la bande des «mauvais garçons». Avec Pierre Lescure, Alain De Greef, Antoine De Caunes, Alain Chabat, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Manœuvre, nous étions des enfants du rock sur antenne2 (1982). En 1984, j’ai tout naturellement proposé mes services à Canal+ afin d’apporter à la nouvelle chaine de diffusion en continu, des codes graphiques d’identification, clairs, simples et évidents, en opposition aux autres chaines nationales. Je me souviens que le démarrage a été difficile et laborieux…Tous les mauvais joueurs sont partis faire La Cinq avec Berlusconi. C’est Coluche qui, en 1986, a sauvé et fait décoller Canal+. Pierre Lescure nous faisait une confiance absolue. En 25 ans, j’ai créé 4700 génériques. J’étais également responsable de tous les supports, de la communication interne et externe, des prints, magazines, site, et ce, sur les 200 filiales en France et sur les 11 pays de diffusion à l’étranger.
JUPDLC : Quelles ont été les contraintes liées au passage du format 4/3 au format 16/9 ?
Etienne Robial : La mutation des écrans et le passage du format 4/3 au format 16/9 ont duré plus de quatre ans. La principale préoccupation était de créer un signal natif capable d’être reçu par l’ensemble des récepteurs, et de ne pas amputer les informations. Le format 4/3 est le format idéal. Le format 16/9 est bâtard. Il a été conçu par messieurs Sony, LG, et Samsung et vendu par messieurs Fnac, Boulanfer, et Darty pour faire croire aux cons que c’était le format cinéma…mais il n’y a aucun film de ce format ! Tout cela pour dire qu’il a fallu imaginer des images faites avec des carrés qui se déplacent de gauche à droite et qui croisent d’autres carrés dans le sens inverse. En revanche, mon bloc texte, lui, est resté cadré dans la fenêtre centrale 4×3. Cette métamorphose fut compliquée au quotidien car nous émettions en continu sur 6 canaux différents. Néanmoins, la mutation fut douce, réussie et très appréciée.
JUPDLC : En France, sommes-nous de bons designers graphiques ?
Etienne Robial : La France est un pays graphiquement sinistré. Ce ne sont pas les graphistes qui sont mauvais, mais les donneurs d’ordres qui pensent que le résultat doit être « joli », sous prétexte que c’est artistique ! Alors qu’une marque doit avant tout être lisible, identifiable et mémorisable. Une bonne marque fait vendre mieux, mais le mot vendre en France fait peur. Le point commun entre les graphistes néerlandais, allemands et suisses ? L’efficacité avant tout !
JUPDLC : Vous êtes enseignant, quel conseil pouvez-vous donner aux étudiants en design graphique ?
Il faut utiliser des codes simples, visibles, lisibles, clairs, évidents. Il ne faut pas chercher à mettre du sens là où il n’y en a pas. Les règles physiologiques et les codes chromatiques sont primordiaux.
JUPDLC : Quelles sont les qualités d’un designer graphique ?
Etienne Robial : Un bon designer graphique doit pouvoir créer la surprise avec simplicité, curiosité, originalité. En bref, il doit étonner.
JUPDLC : Le Musée des Arts Décoratifs vous consacrera en octobre 2022 une importante exposition…Que ressentez-vous ?
Etienne Robial : En effet, il s’agit d’une grande expo sur 780 m2 dans l’espace créé par Jean Nouvel au Musée des Arts Décoratifs à Paris. À travers cet événement, mes travaux, mes productions éditoriales, Futuropolis (maison d’édition de bandes dessinées fondée en 1974 par Etienne Robial, ndlr), mes exercices pédagogiques, mais aussi en parallèles mes collections d’objets et d’outils graphiques, mes livres de références, mes gammes chromatiques, mes alphabets et ceux des autres que j’utilise seront présentés. Tous ces objets sont pour moi des sources de motivations. Aujourd’hui, c’est important, pour moi, de pouvoir transmettre, d’abord à mes étudiants, aux autres étudiants et à tous ceux que les marques, les logotypes, et les identités passionnent.