Ils sont PARTOUT ! Depuis quelques jours, nos feeds sont inondés de starter packs générés par IA, des autoportraits sous forme de figurines plus ou moins réalistes, entourées d’objets « signature », le tout sous blister, comme si flambant neufs. Instagram, LinkedIn, X ou encore Reddit, après le phénomène Ghibli, la toile s’empare de cette trend, séduite par sa facilité de prise en main et son esthétique pop. Entre clin d’œil visuel, tentative d’analyse de la société ou exercice graphique, ces planches rassemblent ainsi des objets, vêtements, des looks qui résument à merveille une vibe, un job, voire un sociotype.
Mais alors, pourquoi les gens s’emparent de ce phénomène ? Qu’est-ce qui explique sa viralité ? Comment les personnalités et les marques surfent sur cette tendance ? Et quels sont les enjeux, tant pour les artistes et créateurs que les marketers ? Décryptage !
Des starter packs partout
La semaine dernière, les figurines ont inondé les plateformes sociales, et leur succès est fulgurant. Selon un article du Figaro, citant une étude de Visibrain, en quelques jours, plus de 30 000 tweets ont mentionné ces starter packs sur X (ex-Twitter), le pic d’activité ayant été atteint autour du 9 avril. Instagram n’est pas en reste avec plus de 3 000 publications, et même LinkedIn a déjà recensé près de 650 posts sur le sujet.
Déferlante “Starter Pack” sur les réseaux sociaux : 31 476 messages publiés sur X en 3 jours
Plus de data sur cette trend ? Contactez-nous ! pic.twitter.com/WJPqdTR5ca
— Visibrain (@visibrainFR) April 11, 2025
L’engouement est donc général et multi-plateformes, porté par des anonymes comme des personnalités. Sur X, le phénomène a vite pris une tournure politique, certains détournant le concept pour caricaturer des figures publiques. Sur Instagram, la tonalité est plus légère et créative, tandis que LinkedIn a vu affluer les autoportraits de professionnels sous forme de figurines. La viralité est telle que même des groupes WhatsApp familiaux ou amicaux s’échangent désormais ces mini-doubles numériques.
Un mème à la sauce IA
Le concept du « starter pack » lui-même n’est pas totalement nouveau : il y a quelques années déjà, circulaient sur les réseaux sociaux des montages de photos ou d’objets décrivant les caractéristiques d’une personne type (goûts, habitudes, clichés). Aujourd’hui, l’IA a remis cette idée au goût du jour en offrant une nouvelle dimension visuelle, plus immersive, au rendu plus réaliste.
La logique de viralité du starter pack repose sur celle du mème classique, c’est-à-dire sur une logique de réplication et de variation à partir d’un modèle commun. Selon les chercheurs Frédéric Kaplan et Nicolas Nova, dans leur ouvrage La culture internet des mèmes, la propagation mémétique implique une réinterprétation active, où le contenu original sert de base à de nouveaux contenus modifiés par les utilisateurs. Chaque itération peut donc ajouter une nouvelle couche de signification, on peut adapter le contenu à différents contextes ou inclure des références supplémentaires. Ludiques, les mèmes montrent une forte interdiscursivité et sont vecteurs de créativité.

Mais avec les starters packs, quelque chose change : l’IA. Les dernières avancées en matière de génération d’images facilitent grandement cette dynamique : plus besoin de savoir dessiner ni de passer des heures sur Photoshop, il suffit de fournir une photo et quelques instructions textuelles, et les tutos prolifèrent sur les réseaux. Rendu disponible et gratuit le 23 mars dernier, le générateur d’image de ChatGPT permet donc, en quelques clics, à des milliers d’utilisateurs de créer et partager leur version, avec leurs codes, leurs objets, leurs couleurs, en bref, leur touche personnelle.
Un outil de storytelling personnel et professionnel
Au-delà du simple effet de mode, les internautes se sont approprié les starter packs IA comme un outil de personal branding. Sur LinkedIn notamment, les publications de figurines / cartes de visite se sont multipliées, des professionnels, qui en RH, qui en marketing, y allant de son autoportrait sous blister. Pour beaucoup, c’est une manière originale et ludique de se présenter et se promouvoir auprès de son réseau, de mettre en avant ses passions, son métier, ses valeurs à travers quelques objets soigneusement choisis.
L’engouement a gagné jusqu’aux dirigeants d’entreprise, désireux de montrer une facette plus humaine ou innovante d’eux-mêmes. Par exemple, Alexandre de Palmas, directeur exécutif de Carrefour, a publié son starter pack sur LinkedIn, figurine de DG accompagnée de ses attributs de manager. On voit ainsi des avatars de cadres ou de créatifs entourés de leurs accessoires fétiches (MacBook, suite Adobe, smartphone, casque audio, tasse de café,…) Au point que ces packs finissent parfois par tous se ressembler.
Le désir mimétique au cœur de la viralité
Pour comprendre pourquoi les starter packs IA se sont répandus aussi vite, il faut remonter à un mécanisme aussi ancien que la société humaine : le désir mimétique, théorisé par l’anthropologue et philosophe français René Girard. Selon lui, nos désirs ne naissent pas spontanément, mais par imitation. Ce n’est pas l’objet en lui-même qui nous attire, mais le fait qu’un pair l’ait convoité, s’y soit identifié, s’en soit emparé.
Appliqué aux réseaux sociaux, ce phénomène s’observe quotidiennement. Dès qu’un format visuel suscite de l’attention, il génère un effet boule de neige : chacun veut lui aussi créer sa version, non seulement pour exister dans le flux, mais aussi pour rejoindre symboliquement une communauté de référence. Le starter pack IA est l’exemple parfait : en voyant ses amis, collègues ou influenceurs se transformer en figurines stylisées, on a soudain envie de faire partie de ce « club visuel », de s’inscrire dans cette narration collective. Ce qui rend ce mimétisme encore plus puissant, c’est que les réseaux sociaux fonctionnent comme des amplificateurs de désir : les likes, commentaires et partages créent une illusion de désir collectif, ce qui renforce la pression d’adhésion. On ne veut pas juste créer un starter pack. On veut qu’il soit vu, aimé, validé, partagé.
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Dans le contexte professionnel (notamment sur LinkedIn), ce mimétisme prend une tournure aspirationnelle : montrer son starter pack, c’est dire « je suis dans la tendance », « je maîtrise les codes », « je suis visible et créatif ». Et parce que d’autres l’ont fait avant, on se sent presque obligé de suivre, pour ne pas être en reste. Comme l’écrivait Girard : « nous ne copions pas les autres par faiblesse, mais parce que le désir est un phénomène fondamentalement social ».
L’appropriation par les marques
Après les utilisateurs, les influenceurs, les célébrités (oui oui, même Stéphane Bern s’y est mis), il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir les marques s’emparer de la trend ! Toujours en quête de nouvelles façons d’engager leur communauté, plusieurs entreprises ont détourné à leur tour le format du starter pack pour communiquer sur leur univers ou leurs produits, avec une dose de créativité et d’humour.
Une première approche, côté marque employeur, consiste à mettre en avant ses collaborateurs et clients. C’est le parti pris de Carrefour, qui via son compte RH Carrefour Recrute sur Instagram a recréé en figurines quelques métiers de ses magasins (poissonnier, boulangère, directrice de magasin, etc.), valorisant ainsi ses employés.
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De son côté, la chaîne de salles de sport Basic-Fit a publié un starter pack du parfait nouvel adhérent, listant l’équipement du débutant (sac, gourde, casque, barre protéinée…) pour mieux l’encourager à se lancer.
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D’autres marques s’en servent avant tout pour promouvoir leurs produits de façon détournée. Ikea par exemple a posté un starter pack rempli non pas d’une figurine, mais de ses objets cultes (du sac Frakta bleu au roulé cannelle) en clin d’œil à son catalogue iconique.
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On retrouve aussi Canal+ Sport qui présente des joueurs de football tels qu’Ousmane Dembélé ou Kylian Mbappé, en tant que starter pack du « 1/4 de finale de Ligue des champions. », histoire de faire monter l’engouement sur les réseaux avant le match.
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Les Laboratoires Vichy ont quant à eux joué la carte du persona client : la marque a créé quatre profils types de consommateurs sous forme de figurines, chacun accompagné de ses soins Vichy personnalisés (sérum, crème, etc.). Le packaging devient ici un mini-étalage de produits ciblés pour chaque personnalité, illustrant en un coup d’œil la promesse cosmétique adaptée à chacun.
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Quant à Lidl France, l’enseigne s’amuse à dévoiler un « Starter Pâques », jouant sur l’humour et la saisonnalité pour promouvoir ses offres.
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Les exemples se multiplient, preuve que pour les marques, savoir capter l’air du temps n’est plus une option mais un réflexe presque vital pour ne pas se voir écarté des algorithmes. En s’appropriant la trend, elles s’invitent dans la conversation culturelle avec l’espoir d’y glisser subtilement leur message. L’exercice n’est pas sans risque (redondance, qualité variable des rendus…), mais celles qui parviennent à y injecter une touche d’originalité ou de second degré arrivent à tirer leur épingle du jeu en termes de visibilité.
Usage politique et institutionnel
Né dans la sphère du divertissement, le starter pack IA a très vite débordé vers le champ politique et institutionnel. Preuve de son ampleur, même des représentants de l’État et des organisations publiques ont cédé à la tendance. Le préfet du Gard, Jérôme Bonet, a ainsi publié sur X son propre starter pack de préfet assorti d’un message invitant d’autres collègues à relever le défi.
Starter Pack : on a cédé à la tendance.
👉 @NunezLaurent @prefpolice @Prefet92 à vous de jouer@La_Pollice Défi relevé ✅ pic.twitter.com/26v3vAj5XX
— Préfet du Gard (@Prefet30) April 8, 2025
Dans le même esprit, Patrick Martin, patron du MEDEF (principal syndicat patronal français) s’est amusé à poster un starter pack de l’organisation, réunissant différents attributs symboliques de sa mission. Et si les personnalités ou partis ne s’en emparent pas d’elles-mêmes, ils peuvent se voir croqués en figurine par des tiers. L’humoriste Aymeric Lompret a par exemple créé des packs parodiques de divers hommes politiques, de Bruno Retailleau à François Bayrou, avec des objets satiriques soulignant leurs traits de caractère.
Même des causes citoyennes s’y mettent : lors de l’ouverture de la déclaration d’impôts, l’Association de défense des contribuables a diffusé le starter pack du contribuable français moyen, figurine d’homme paniqué flanquée d’une calculatrice et de liasses de billets.
#starterpack pic.twitter.com/VIHnCQ0ChC
— Contribuables Associés (@contribuables) April 8, 2025
Riposte créative et débat éthique
Face à la prolifération des starter packs IA, une riposte créative s’est organisée du côté des artistes et des créateurs. Si le grand public témoigne de son engouement, nombreux sont les illustrateurs et graphistes à grincer des dents en voyant l’IA standardiser ainsi la création visuelle. Inquiets de l’effet de mode et du risque de se faire voler la vedette par des algorithmes, ils dénoncent un « ersatz » de créativité qui menace la richesse des styles. En signe de protestation, le dessinateur Patouret a lancé le mouvement #StarterPackNoAI sur les réseaux, invitant chacun à réaliser son starter pack, comme lui, « à la sueur de mon front. » Des auteurs comme la bédéiste Pénélope Bagieu, se sont joints au mouvement, clamant leur ras-le-bol et réaffirmant la valeur du fait main.
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L’initiative a rencontré un large écho et a mis en lumière ce que beaucoup ressentaient confusément : les versions générées par IA finissent par toutes se ressembler. « Franchement je suis désolée mais les versions AI sont toutes les mêmes … Ça manque d’originalité… du coup je me suis lancée et j’ai vu que pas mal d’artistes avaient voulu la reproduire à leur sauce également. Alors oui certes on suit une « mode » mais le message est plus poussé que ça … ça permet de montrer la diversité des styles dans l’illustration, un savoir-faire et une originalité propre à chaque artiste (ce qui, je suis désolée pour ceux ou celles que je vais vexer… N’est pas le cas avec l’AI…) », souligne par exemple l’illustratrice Marion Blanc en présentant son starter pack dessiné.
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Le débat avait déjà fait rage avec les images reprenant le style du studio Ghibli. Hayao Miyazaki, cofondateur du studio, n’a pas réagi publiquement au phénomène, mais il avait eu précédemment des propos pour le moins tranchés sur la technologie. Une vidéo de 2016 présente l’artiste affirmant ne vouloir « en aucun cas intégrer cette technologie » à son travail, puisqu’elle serait selon lui « une insulte à la vie même ».
En quelques jours, le starter pack IA est passé du statut de curiosité à celui de véritable phénomène de société, adopté du grand public aux marques en passant par les politiques et les institutions. Mais il met aussi en lumière les défis qui l’accompagnent : comment profiter de la créativité foisonnante offerte par l’IA sans tomber dans la banalisation esthétique ? Comment intégrer ces nouveaux outils en marketing ou en communication tout en respectant le travail des créateurs humains ? La déferlante des starter packs IA aura eu le mérite de stimuler le débat sur notre rapport aux images générées, et de rappeler qu’en matière d’art, de créativité, et de storytelling, l’imagination humaine ne semble pas avoir dit son dernier mot.
