Quand l’hyper rencontre la hype : les secrets de la com du Leclerc de Pont-l’Abbé

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Nous sommes en 2024, et la communication des magasins dans la grande distribution paraît bien sage. Tous les magasins ? Non ! Un irréductible hypermarché, à la pointe du Finistère et des tendances, résiste encore et toujours à l’ennui et aux prospectus. Son nom ? Le Leclerc de Pont-l’Abbé. À la tête de ses réseaux sociaux, un duo formé de Thomas Cambou et Noémie Jégou, bien décidé à réinventer la communication du retail à grand renfort de mèmes et de détournements. Avec les moyens du bord et une inventivité débordante, ils cumulent les vues et n’ont pas à rougir face à leurs collègues CM de Netflix ou Burger King. Pour mieux comprendre les coulisses de leur succès inédit, nous les avons rencontrés. Spoiler : niveau com, ils en connaissent un rayon !

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Noémie Jégou et Thomas Cambou, artisans du buzz. Crédit photo : Leclerc Pont-l’Abbé

 

JUPDLC : Pouvez-vous vous présenter et nous dire depuis combien de temps gérez-vous les réseaux sociaux du Leclerc de Pont-l’Abbé ?

Noémie Jégou : Je suis Noémie Jégou, j’ai 23 ans et je gère les réseaux sociaux du magasin depuis 2020 : programmation, planification, montage des vidéos, rédaction des posts, etc. J’ai d’abord fait un BTS communication, puis j’ai poursuivi par un Bachelor communication en alternance de 2020 à 2021 que j’ai fait ici. Et après, j’ai été gardée en CDI dans le magasin !

Thomas Cambou : Et moi je suis Thomas Cambou. Je m’occupe également des réseaux sociaux mais je gère aussi tout ce qui est plus commercial, comme l’e-mailing, les campagnes SMS, le CRM, etc. C’est simple, cette année on fête les 10 ans de Facebook du Leclerc de Pont-L’Abbé, et moi je suis arrivé il y a bientôt 9 ans. À l’époque, comme dans la plupart des magasins, les réseaux sociaux étaient gérés en interne par des salariés. Et puis, le directeur du magasin a décidé qu’il fallait se professionnaliser un petit peu. Donc, il a embauché deux personnes pour les réseaux sociaux, un collègue et moi-même. Mon collègue est parti, Noémie est arrivée en alternance, et elle avec nous depuis !

 

JUPDLC : il y a 10 ans, en 2014 donc, c’était assez novateur d’avoir quelqu’un à temps plein pour les sociaux, pour une enseigne locale de grande distribution ?

Thomas Cambou : Alors en grande distribution, je pense qu’on était dans les premiers, oui. L’adhérent de l’époque (le directeur du magasin, N.D.L.R.) a été un peu visionnaire. Encore aujourd’hui, même si évidemment ça s’est démocratisé, on rencontre encore bien souvent des gens qui cumulent deux postes dans le magasin, dont celui de la gestion des réseaux sociaux. Mais vu l’ampleur que ça prend, et un peu grâce à nous aussi, en tout cas chez Leclerc, tout le monde a décidé de s’y mettre à fond !

 

JUPDLC : Comment gériez-vous les réseaux sociaux du Leclerc de Pont-L’Abbé avant le buzz ?

Thomas Cambou : Nous, on a toujours été bons sur les réseaux sociaux puisque ça fait dix ans qu’on bosse dessus. On a commencé avec Facebook, et il y a 8 ans on a lancé Instagram. On est également présents sur TikTok, Snapchat, et X. Notre compte Instagram, avant qu’on se lance dans cette tendance, était à 12 000 abonnés. On avait donc déjà un petit temps d’avance par rapport aux autres magasins.

Noémie Jégou : Oui, on avait une bonne base, que ce soit en termes de contenu ou d’abonnés, avec une communauté déjà existante.

 

« Faire de l’humour, ce n’est pas notre métier. Nous, on est des épiciers, on est là pour vendre des pâtes. »

 

JUPDLC : Avant de faire les vidéos de transition, vous aviez tenté déjà de reprendre différentes tendances…

Thomas Cambou : Oui, à chaque fois qu’il y avait une tendance, on essayait de rebondir dessus. On sait bien que maintenant sur Instagram, il faut faire un peu d’humour, mais bon… Faire de l’humour pour faire de l’humour, ce n’est pas notre métier. Nous, on est des épiciers, on est là pour vendre des pâtes. Et on a réussi à débloquer ça dans notre esprit. C’est-à-dire que quand on scrolle comme des malades pour trouver des idées, maintenant qu’on a eu ce déclic, on se dit : « ah, ça on va l’appliquer à ça, ça on va le détourner de cette manière, etc. » C’est une gymnastique intellectuelle comme une autre, mais c’est un peu ça l’idée.

 

JUPDLC : Comment vous est venue l’idée de faire ces fameuses vidéos de transition ?

Thomas Cambou : C’est simple, on scrolle à fond (rires). On a un pouce énorme !

Noémie Jégou : On avait repéré cette tendance sur le compte d’Aprizo, et après l’algorithme nous a envoyé plein de vidéos de la même tendance, notamment beaucoup provenant d’Amérique du Sud. Comme pour les autres tendances, on s’est dit qu’on allait essayer !


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JUPDLC : Et c’est donc le 10 avril que vous sortez votre première vidéo de transition, pour promouvoir des jus de fruits. Est-ce que le buzz est immédiat ?

Noémie Jégou : Le buzz s’est fait 7, 10 jours après la publication de cette vidéo. Au départ, on l’a postée, et ça avait pris, mais vraiment au sein de notre communauté. Donc on a dû faire 30 000, 40 000 vues, à peu près. C’était une petite vidéo sympa, qui avait fonctionné normalement.

Thomas Cambou : Dans la foulée, on en fait une deuxième sur le même modèle, qui elle aussi fonctionne normalement. Mais une semaine après, on voit un bond dans les vues. Et en réalité, ce qu’il s’est passé, c’est que notre communauté a répondu à un commentaire négatif, et ça a démultiplié l’engagement. Et ça a fait remonter la vidéo dans l’algo d’Insta, et après c’était parti ! Ça s’est très vite concrétisé avec de l’abonnement en masse sur le compte du Leclerc de Pont-L’Abbé. C’est ça qui nous impressionne le plus, c’est la conversion en abonnés. Encore ce week-end, on a éteint notre compteur à 50 000 vendredi soir, et on l’a rallumé lundi matin à 61 000. Ça monte à une vitesse impressionnante ! Je pense qu’on a bénéficié largement notamment du nouvel algorithme d’Insta qui prend en compte le partage en DM.

 

JUPDLC : Comment vous fonctionnez pour produire ces vidéos de transition ?

Noémie Jégou : On a un stock de vidéos déjà prêtes, entre 20 et 30, et on attend d’avoir les promos de la semaine suivante pour se dire « tiens, celle-là on peut l’adapter à telle promotion, » etc.

Thomas Cambou : Là, on surfe clairement sur cette tendance, en attendant la prochaine. Mais c’est sûr qu’on en profite à fond, on ne peut pas laisser ça dans la nature comme ça, c’est trop bon !

 

JUPDLC : Comment se passe le processus de création d’une vidéo, de l’idée à la publication ?

Noémie Jégou : En gros, on sélectionne les vidéos qui nous plaisent. Si on a une promo en raccord avec ces vidéos, on part en tournage le matin-même. Souvent, on le fait avant l’ouverture du magasin, pour être tranquilles. Toujours sur des timings hyperserrés, on tourne le tout en un quart d’heure. Thomas est devant la caméra, et moi la plupart du temps je filme. Puis, je fais le montage sur mon PC ou directement sur mon téléphone. Je fais mes cuts, mes transitions, et puis je rajoute des sous-titres. Et voilà, en trois quarts d’heure, c’est plié !

Thomas Cambou : Si on a fait le choix d’incarner nous-mêmes les vidéos, c’est d’abord parce qu’on a des difficultés à trouver des personnes dans le magasin qui veulent bien jouer le jeu. Ensuite, quand on part sur des vidéos un peu borderline, on est jamais à l’abri du bad buzz, et on ne veut pas impliquer d’autres salariés. Quitte à faire des conneries, on préfère les faire nous-mêmes comme ça, on les assume. Et puis mon personnage s’est créé de lui-même. J’enfile ma polaire Leclerc et je suis dans mon personnage !

 

« On a carte blanche, on n’a jamais demandé l’autorisation de faire telle ou telle vidéo »

 

JUPDLC : Est-ce que vous vous imposez une limite au niveau de l’humour ? Est-ce que vous vous autocensurez, ou est-ce que la direction a un droit de regard ?

Thomas Cambou : Alors, on a carte blanche, on n’a jamais demandé l’autorisation de faire telle ou telle vidéo. On aime les risques ! On pense que sur ce genre de vidéo ou même sur toutes les vidéos, à partir du moment où tu poses la question à quelqu’un, ça va te mettre des araignées dans la tête, tu vas te mettre à douter de ton idée… Ce n’est pas bon. On sait où est la limite, mais la limite c’est un peu les gens qui regardent qui la fixent. Le curseur, c’est eux qui le donnent.

Ce qui me fait rire moi, c’est ce décalage. On se disait encore ce matin avec Noémie, faire des millions de vues sur un poulet… C’est juste exceptionnel ! Ça met en valeur un humour un peu décalé, qui m’évoque les Monty Python ou les Nuls, un humour qui un peu disparu aujourd’hui.

Noémie Jégou : Après, et c’est ce qu’on explique aussi à notre direction, on sait qu’on s’adresse à un public assez jeune. Sur Insta, on est vraiment sur du moins de 34 ans et plutôt masculin, avec beaucoup de 18-24, etc. Les plus de 44 ans ne représentent même pas 1% de l’audience touchée. Donc on sait que c’est une audience réceptive à ce type d’humour.

 

JUPDLC : Quels retours avez-vous en interne du côté de Leclerc ?

Thomas Cambou : En fait, tout est hyper positif ! D’abord, on est déjà gagnants sur la marque employeur parce que cela fait transparaître une certaine bonne humeur au sein des équipes. Ça nous a permis de faire des vidéos d’offres d’emploi à presque 500 000 vues. Et puis, on a eu une petite trentaine de 5 étoiles sur Google avec des commentaires qui disent « je n’habite pas à Pont-l’Abbé, mais les CM sont trop bons, je mets 5 étoiles ! » (rires).

Et au-delà de ça, on sent qu’il y a eu un déblocage chez Leclerc au niveau de la communication. Les gérants avaient peut-être tendance un peu à bloquer leurs équipes de com, en se disant « mais dans quel sens ça va partir ? ». Et là, aujourd’hui, ils sont vraiment partis sur : « ça marche, les retours sont positifs, donc, go, on y va ! » Résultat : on a d’autres magasins qui nous appellent en nous demandant ce qu’il faut comme matériel pour commencer à tourner des vidéos !

 

« Ce qu’on essaie de mettre en avant, c’est les métiers de gens qui travaillent dans la grande distribution et tout ce qui tourne autour de ça. »

 

JUPDLC : Que cherchez-vous à mettre en avant via vos différents contenus sur les réseaux sociaux ?

Thomas Cambou : En gros, nous, l’idée de base avant le buzz, c’est de valoriser les métiers, de valoriser les fabrications qui sont faites chez nous, que ce soit les bouchers, les traiteurs, les pâtissiers, les boulangers, les poissonniers, etc. Par exemple, on fait des vidéos pour montrer que les gens, ici, se lèvent, arrivent à 2h du matin pour faire du pain. Mais on a beau faire ces vidéos, on a toujours des commentaires qui nous disent : « mais c’est du surgelé… ». Donc voilà, c’est un travail de longue haleine ! Ce qu’on essaie de mettre en avant, c’est les métiers de gens qui travaillent dans la grande distribution et tout ce qui tourne autour de ça. Et la région Bretagne qui nous tient à cœur, évidemment, mais ça, c’est un sujet plus facile à traiter !

 

 

JUPDLC : Quelle est la rançon du succès ? Est-ce que vous le percevez aussi localement, au-delà du nombre de followers virtuels ?

Noémie Jégou : Alors oui ! (rires). La première fois que cela nous est arrivé, on était ensemble pour tourner une vidéo et il y a un jeune qui est arrivé et qui nous a dit : « euh, je peux faire un selfie ? ». Et depuis on en a fait une dizaine !

Thomas Cambou : Après c’est très local, c’est dans le magasin. Dès qu’on en sort, on est quand même un peu plus tranquilles ! Mais c’est vrai que sur place, les gens s’attendent un peu à nous voir. Une fois, on a même eu des gens qui étaient en vacances à côté, et qui sont venus spécialement au magasin. Ils ont demandé à l’accueil s’ils pouvaient nous voir, on a fait une photo et ils l’ont posté en commentaire Google ! Faire des selfies avec les clients, on ne travaillait pas pour ça, mais c’est chouette !

 

JUPDLC : Quelle est la prochaine étape pour vous ?

Thomas Cambou : On va bien finir de surfer sur la vague, parce qu’on est à La Torche et que c’est le pays du surf ! Donc on va bien faire la vague jusqu’au bout. Ce qui est sympa, c’est qu’on a une base solide de followers désormais. Donc les trucs qu’on faisait avant qui dépassaient à peine les 10, 20, 30 000 vues vont maintenant en faire 100 000. C’est hyper gratifiant ! Alors, tant que les gens aiment et qu’on ne fait pas de flop, on continue !

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