Phénomène en vogue, la gamification séduit de plus en plus d’acteurs. Et pour cause ! Elle permet de rendre un processus plus attrayant, un message plus pertinent, un cours plus intéressant, un modèle plus efficace… Sans oublier que le caractère universel du jeu – de société ou vidéo – multiplie les domaines d’applications de cette stratégie. Typiquement, la communication se gamifie. Campagnes, démarches de prévention, sites internet, publications sur les réseaux sociaux… Tout est bon pour fédérer ses communautés de manière ludique, et stimuler l’engagement.
Mais, que se cache-t-il derrière la notion de « gamification » ? Comment choisir les bons leviers ? Quels sont les enjeux actuels et à venir ? J’ai un pote dans la com s’est entretenu avec Mathieu Crucq, Directeur général de Brainsonic, pour le découvrir.
Gamification : entrevue avec Mathieu Crucq, Directeur général de Brainsonic
JUPDLC : Pour commencer, pouvez-vous nous définir le terme de « gamification » ?
Mathieu Crucq : La gamification, c’est tout simplement le fait d’appliquer des mécaniques et des usages issus des jeux de société ou des jeux vidéo sur des dispositifs, de communication notamment. Cela permet de rendre ludique, participatif et engageant un projet qui s’inscrivait alors dans une démarche verticale (message d’un émetteur vers un destinataire la plupart du temps).
Elle permet entre autres d’introduire plusieurs items, qui personnalisent l’expérience et la rendent interactive. Le choix de personnages ou d’avatars par exemple, la création de challenges avec des objectifs à atteindre, l’attribution de récompenses fréquentes pour satisfaire l’utilisateur, un classement par point des participants etc. Toutes ces mécaniques connues permettent d’impliquer émotionnellement l’utilisateur qui devient alors beaucoup plus actif lors de son expérience, qu’il s’agisse d’une campagne one-shot ou d’un projet de marque plus conséquent.
JUPDLC : Gamification des campagnes, des programmes de fidélité, des points de vente… Ce concept marketing prend de plus en plus d’ampleur. Pourquoi ? Pourquoi un tel engouement ? Le concept est-il nouveau ?
Mathieu Crucq : Fondamentalement il n’y a rien de nouveau. Tout comme on aime les histoires bien racontées, on aime tous jouer seul ou en groupe, et surtout gagner. On peut dire que c’est inscrit dans l’ADN humaine. Le jeu implique le défi et forcément, un défi, ça engage.
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance puisque pendant longtemps et particulièrement sur la communication B2B, on a opposé le « sérieux » et le « divertissement ». Il est évident que les réseaux sociaux et les nouveaux usages qui leur sont associés ont contribué à faire changer les mentalités. Ils ont aussi permis de montrer que les mécaniques d’engagement issues du B2C, s’appliquaient aussi au contexte professionnel, sans en diminuer la perception de la marque émettrice.
Dans un contexte de sursollicitation (pubs / notifications) jusqu’à la saturation la plus totale, l’enjeu est de gagner l’intérêt des publics. Cet intérêt ne peut découler que du plaisir généré grâce à l’expérience proposée. Réussir à faire esquisser un sourire ou passer un bon moment est déjà un énorme succès quand on parle d’une campagne de communication ou de marketing. Cela veut dire que nous avons réussi à générer une émotion positive. Cette émotion positive c’est notre Graal, car elle permet de faire passer les messages avec succès auprès de nos cibles.
JUPDLC : Quels sont les objectifs d’une telle stratégie ?
Mathieu Crucq : La gamification permet de répondre à plusieurs objectifs :
- Prolonger l’implication émotionnelle de l’utilisateur, et donc augmenter la mémorisation des messages passés.
- Susciter l’envie de revenir.
- Donner envie de partager / d’en parler autour de soi.
Pour les marques c’est donc extrêmement bénéfique, spécialement lorsque le but recherché est de renforcer des liens entre collaborateurs, ou de faire passer des messages sur des sujets complexes. La gamification rend l’expérience moins rugueuse et donc plus agréable.
JUPDLC : Quels sont les différents leviers de la gamification ? (transmédia, jeu publicitaire, application, plateforme pédagogique…)
Mathieu Crucq : On oublie que la gamification est déjà partout. Lorsqu’un community manager « joue » avec son audience sur Twitter, il y a une dimension ludique. On retrouve évidemment les jeux concours qui peuvent aller du simple formulaire, peu engageant, jusqu’à une expérience très impliquante. À titre d’exemple, nous pouvons évoquer les activations originales qui requièrent des mécaniques créatives.
Les challenges TikTok se basent énormément sur la gamification, et font appel à des technologies qui existent depuis près de 4 ans. L’innovation n’est donc pas technique, puisqu’elle existait déjà, c’est l’usage qui en est fait qui rend la démarche innovante. Avec la puissance des smartphones, c’est aujourd’hui quelque chose de parfaitement standard et démocratisé que de proposer un jeu concours interactif en réalité augmentée (AR). Dans les deux cas, il s’agit aujourd’hui de réponses natives à certaines plateformes qui ne demandent presque plus d’expertise technique.
Le véritable enjeu aujourd’hui va être d’intégrer ces expériences gamifiées plus en profondeurs sur les sites (externe / interne) ou plateformes transactionnelles des annonceurs pour enrichir, de manière native, la proposition de valeur. Et pourquoi pas stimuler les visiteurs ou clients et les surprendre !
JUPDLC : La gamification passe-t-elle uniquement par un outil tiers ? Ou peut-on exploiter un tool ou un jeu vidéo déjà existant ?
Mathieu Crucq : La gamification ne passe pas nécessairement par un outil tiers… Mais il est nécessaire d’avoir une culture technique solide pour connaître les différents outils ou les plateformes et ce qu’elles permettent de faire. Il faut les avoir testés, essayés, connaître leurs capacités et leurs limites pour proposer un dispositif pertinent au regard de la marque et de sa problématique. En fonction de l’audience, de son matériel de prédilection (ordinateurs, smartphones…), du timing, des besoins et du budget, on pourra déployer des solutions différentes pour répondre à un même objectif.
JUPDLC : Avez-vous des exemples à citer ?
Mathieu Crucq : L’expérience « Indata Jones » pour BNP Paribas Asset Management, a notamment été développée sur mesure. Pour cette opération de communication interne, il s’agissait de proposer aux 3000 collaborateurs de se transformer en aventuriers de la data, pour leur faire prendre conscience qu’il existe de véritables pépites dans la jungle des données. Une thématique aujourd’hui très présente, mais qui reste complexe à appréhender. Pour s’assurer de l’intérêt des collaborateurs autour du sujet et surtout éviter les décrochages, nous avons donc créé un serious game interne sur mesure, saupoudré de pop culture. Les utilisateurs choisissaient d’incarner l’un des 2 personnages, Jones ou Jane avant de se lancer dans l’expérience via une mécanique de quizz et d’obtention de points.
Ainsi, on a exploité les codes et les usages du gaming pour proposer une expérience d’acculturation digitale, ludique et personnalisée pour chacun. Et ce, via quatre univers correspondant à quatre niveaux d’apprentissage différents. L’expérience « Indata Jones » a généré trois plus d’engagement que souhaité et surtout 25 points d’augmentation du niveau d’apprentissage des collaborateurs sur la data (selon la mesure interne BNP Paribas Asset Management).
Bien que très différente dans sa forme, l’opération Microsoft « Blue Screens Land » sur Minecraft répond à ce même besoin d’engagement et de mobilisation. L’opération a été lancée en « teasing » de l’événement BUILD 2022 dédié aux développeurs et permettait de fédérer au sein d’une map dédiée les futurs participants à l’événement. Véritable chasse au trésor, il s’agissait de récupérer l’ensemble des écrans bleus de la mort : ces écrans qui surgissent lorsque le système d’exploitation ne fonctionne pas correctement. Ils sont présents depuis la version 2.0 de Windows et ils sont toujours autant appréhendés à l’ère de Surface et de Xbox. C’est clairement la bête noire des développeurs. En cela, l’opération est un modèle d’autodérision de la part de Microsoft, qui s’adresse à une population qui maîtrise la technique et qui lui reproche cette « faiblesse », en lui proposant d’en jouer pour passer un moment divertissant. Forcément, cela renforce la proximité avec la marque !
Par conséquent, on ne perd jamais de vue que l’expérience doit être adaptée à la cible, à ses usages (ordinateur, mobile, jeu vidéo…) et à l’histoire que l’on veut raconter. Beaucoup d’acteurs sont aujourd’hui positionnés davantage sur le design des expériences de gamification. Pour que le jeu soit une expérience de marque et qu’il réponde véritablement aux problématiques de communication et de marketing, il est essentiel de se pencher objectivement sur les usages de l’audience. Il faut une fine appréhension des groupes et des cibles, de leurs attentes pour leur proposer la meilleure mécanique. Sans quoi, les concepts ne peuvent pas s’inscrire dans le temps et bénéficier à la marque.
JUPDLC : Comment l’agence Brainsonic accompagne-t-elle et conseille-t-elle ses clients vers la gamification de leur campagne en général ? Comment faites-vous la différence ?
Mathieu Crucq : Aujourd’hui les projets de gamification ne vivent pas seuls à l’agence. Ils font partie d’une expertise plus globale autour des nouvelles expériences digitales, qu’il s’agisse d’expériences virtuelles, immersives, de gaming, ou Web3. Cette expertise embrasse aujourd’hui toutes les activités de l’agence, du social média à l’événementiel en passant par la communication interne.
Toutes ces nouveautés technologiques complètent aujourd’hui des dispositifs marketing déjà complexes. Nous avons en tant qu’agence un devoir de pédagogie, de démonstration et d’évangélisation de ces usages auprès de nos clients. Cela rappelle un peu le tout début des réseaux sociaux. Les questions et démarches des annonceurs sont les mêmes : c’est quoi ? À quoi ça sert ?
Chez Brainsonic on s’évertue à travailler sur la narration, pour que chaque projet ait un sens au regard du positionnement de l’annonceur et de ce qu’il souhaite raconter à son public. Et éviter autant que possible le « coup marketing » totalement gratuit.
JUPDLC : Comment mesure-t-on le succès de sa stratégie de gamification ?
Mathieu Crucq : Même si cela peut paraître étrange, les KPIs d’une stratégie de gamification sont proches de celle d’une stratégie Youtube par exemple. Nous allons être attentifs au temps d’exposition à l’expérience (en minutes ou heures), aux engagements (au sens des actions réalisées dans l’expérience), à la progression dans l’expérience, et évidemment le taux et la fréquence de retour. Chacune de ces métriques est mesurable évidemment, et on peut travailler à les optimiser grâce à des mécaniques marketing qu’il est essentiel de penser dès la conception du projet.
Pour BNP « Indata Jones », on a pu constater que l’opération a généré trois fois plus d’engagement que les objectifs initiaux de BNP Paribas Asset Management. Alors que 72% des participants n’avaient jamais été sensibilisés à l’univers de la data ! Le niveau d’apprentissage des collaborateurs a augmenté de 25 points entre le début et la fin de l’expérience. Quant au reach, il a été dix fois plus important que ce que nous avions estimé avant la campagne.
JUPDLC : Enfin, faut-il être ludique aujourd’hui, pour percer et réussir ?
Mathieu Crucq : Je pense que la plateforme TikTok est la meilleure réponse à cette question. Historiquement, c’est une application chinoise de Karaoké. Elle est devenue aujourd’hui la plateforme avec la plus forte dynamique de croissance, d’engagement et de temps passé. TikTok est basé sur le divertissement et la créativité, c’est son ADN et cela définit des nouvelles règles.
Les influenceurs, tout comme les marques qui y performent acceptent de « jouer le jeu » en utilisant cette nouvelle manière de communiquer, bien loin des standards historiques, comme affranchie des « manières ».
Pour l’UIMM (l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie), qui souhaite promouvoir les métiers de la métallurgie auprès des jeunes, nous déployons depuis deux ans la campagne #FierDeFaire qui s’appuie essentiellement sur des collaborations avec des Twitcheurs. Ce n’est pas juste « de l’influence » puisque les dispositifs se basent sur des jeux vidéo comme Satisfactory ou Minecraft, avec des expériences de création qui sont diffusées en live. C’est divertissant, ludique, la communauté est sollicitée à plusieurs moments de l’émission et le propos de l’annonceur s’y intègre totalement.
Le « tout ludique » n’est évidemment pas la panacée, mais il est évident que penser un dispositif ou un contenu en étant plus intéressant qu’intéressé, permet a priori d’être plus performant. Finalement, le plus compliqué est de faire comprendre à des marques qui ne sont pas des « love brand » ou des « life brand » qu’elles peuvent elles aussi utiliser ces mécaniques divertissantes, ou de gaming pour soutenir un propos.
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