Les intelligences artificielles, et plus particulièrement les IA génératives, sont accessibles au grand public depuis très peu de temps. Par conséquent, celles-ci sont encore imparfaites ! Mais serait-il possible de tirer bénéfice des biais algorithmiques engendrés, afin de les transformer en véritables opportunités créatives ?
Du fait de leur fonctionnement, les IA reflètent des biais déjà présents au sein de notre société. En effet, celles-ci collectent et filtrent des données accessibles au public, afin de générer le contenu qui leur est demandé. Par conséquent, elles reproduisent les biais préexistants, y compris les préjugés qui y sont attachés. Dans ce contexte, afin de les utiliser de manière plus éthique, quel est le véritable rôle des communicants ? Comment accompagner les futurs communicants aux usages de l’IA ? Comment prendre conscience des biais algorithmiques afin de s’en servir au mieux dans sa stratégie de communication ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous avons rencontré Christine Moisson, Directrice de l’ISCPA Toulouse ; Michel Henin, Responsable de la filière communication à l’ISCPA Paris, et Aude Ristat, Responsable de la filière communication au sein de l’ISCPA Lyon. Pour rappel, l’ISCPA, l’école des médias du Groupe IGENSIA Education, est implantée à Paris, Lyon et Toulouse. Depuis plus de 30 ans, l’école forme des professionnels sur ses 3 univers métiers : journalisme, communication et production.

JUPDLC : Comment l’intelligence artificielle, malgré sa sophistication, reste-t-elle influencée par les biais humains dans les choix de contenu, les algorithmes de recommandation, ou la personnalisation des messages publicitaires ?
Christine Moisson : Les IA génératives sont formées sur d’immenses quantités de données. Ces données sont constituées de textes et d’images produits par des humains et diffusés sur internet mais aussi de requêtes effectuées dans les moteurs de recherche. Autrement dit, les biais des IA reflètent les biais culturels, historiques et sociaux déjà présents dans notre société. Les IA génératives ne font que les reproduire.
JUPDLC : Comment les futurs communicants peuvent-ils détourner ces biais algorithmiques pour imaginer des campagnes qui soient plus inclusives, surprenantes ou transgressives ?
Michel Hénin : L’IA générative permet de simplifier et d’accélérer la production et la création de contenus. Elle ne remplace pas la créativité des communicants. Elle permet surtout de dépasser sa créativité et de rendre possible des choix créatifs hier impossibles, car bridés bien souvent par des budgets contraints. Une communication inclusive, surprenante ou transgressive naîtra d’abord et avant tout dans l’esprit du créatif. Charge à lui de veiller à ce que ses productions ne contribuent pas à renforcer des stéréotypes et approches discriminantes.
« La formation et l’accompagnement des communicants sont essentiels afin de garantir la transparence et la responsabilité face à ses nouveaux usages. »
JUPDLC : Avec une IA de plus en plus présente dans la production de contenu et la gestion des marques, quel rôle les communicants ont-ils à jouer pour veiller à une utilisation éthique des technologies ?
Michel Hénin : De par les biais des algorithmes, des données et des prompts, l’IA générative présente des risques forts liés à l’éthique et à la conformité. Il est donc primordial de mettre en place une gouvernance afin d’éviter de délivrer des insights erronés. La formation et l’accompagnement des communicants sont essentiels afin de garantir la transparence et la responsabilité face à ses nouveaux usages.
JUPDLC : Sur cette même question, quel est, selon vous, le rôle des gouvernements ?
Michel Hénin : Les gouvernements ont un rôle majeur en tant que régulateurs afin de s’assurer de la protection des droits individuels. Si certains se posent la question d’un projet “Manhattan” de l’IA, c’est en raison de la concentration des acteurs de l’IA et du repositionnement capitalistique d’Open AI.
Une régulation efficace permettrait de s’assurer de la transparence et de la confidentialité des données et de l’équité des algorithmes. Et enfin, le gouvernement devrait former et éduquer les citoyens aux usages de l’IA afin d’en faire des acteurs éclairés.
JUPDLC : Pouvez-vous nous présenter des exemples où des biais algorithmiques ont influencé des campagnes (positivement ou négativement) ?
Christine Moisson : Un exemple bien connu est celui d’Amazon qui avait développé un outil de recrutement basé sur l’IA pour présélectionner les CV des candidats. Les données historiques laissaient apparaître un biais en faveur des candidats masculins, en particulier pour les postes techniques. L’outil a ainsi systématiquement défavorisé les candidatures féminines. Heureusement, Amazon a fini par abandonner cet outil.
JUPDLC : Quelle est votre vision sur l’évolution de ces biais ?
Michel Hénin : L’IA générative est très récente (moins de 10 ans) et les lois récentes auront un impact significatif sur l’amélioration des biais. De plus, l’usage (devenu massif) du grand public et leur acculturation à ces outils obligeront aussi les grands acteurs technologiques à rendre plus fiables et plus équitables leurs modèles. Cela n’exclut pas que la vigilance soit de mise face aux acteurs privés qui auront aussi des objectifs plus commerciaux et moins éthiques.
JUPDLC : Comment formez-vous vos étudiants aux grands enjeux et outils proposés par l’IA ?
Christine Moisson : L’arrivée de l’IA générative a immédiatement questionné le monde éducatif. Sur le sujet de la fraude en général, et du plagiat en particulier. À l’ISCPA, nous avons fait le choix, dès le début, non pas d’interdire le recours à des IA génératives, mais d’en encadrer leur utilisation, Il s’agit de considérer l’IA pour ce qu’elle est, un outil capable de compléter et d’enrichir le travail du communicant. Pas de le remplacer. Notre conviction est que cette technologie n’est plus une option. Elle va s’imposer. Alors mieux vaut la maîtriser !

JUPDLC : En quoi les formations dispensées à l’ISCPA permettent-elles d’appréhender le futur créatif d’une manière différenciée ?
Aude Ristat : Les formations de l’ISCPA mettent l’accent sur le développement des capacités créatives, avec ou sans IA. Nous encourageons la disruption pour former des professionnels capables de faire émerger des idées novatrices, de faire des pas de côté pour répondre aux besoins des entreprises, des institutions, des associations, des collectivités en cohérence avec les enjeux actuels et futurs de la société. Dans tous les contextes et auprès de tous les publics. Nous formons des créatifs tout-terrain, capables de maîtriser les technologies qui apportent de la plus-value à leur travail. Et l’IA en fait clairement partie aujourd’hui.
JUPDLC : Avec l’arrivée de l’IA, comment imaginez-vous le secteur de la communication dans 5,10 ans ? Pensez-vous qu’humain et IA soient complémentaires ou, qu’à force d’innovations, l’IA pourrait réellement « remplacer » certains métiers ?
Christine Moisson : Comme toute innovation technologique, l’IA remplacera certains métiers. Cela a déjà été le cas par le passé. Les ordinateurs, la PAO ou les appareils photos numériques ont contribué à faire disparaître certains métiers. Comme les plateformes de streaming vidéo ont remplacé les vidéoclubs, aujourd’hui disparus.
Mais l’innovation technologique permet également l’émergence de nouveaux métiers. Spécialiste en cybersécurité, Data scientist, Pilote de drone ou encore Community manager sont autant de métiers qui n’existaient pas il y a quelques années. Le secteur de la communication n’a cessé de se réinventer au gré des évolutions technologiques. Et il va continuer avec l’IA. L’arrivée de nouveaux outils change la façon dont les professionnels de la communication exercent leur métier. Mais cela ne change pas la vocation même du métier : concevoir une idée.
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