En 2018, tout le monde s’extasiait sur la « business value » du design grâce au McKinsey Design Index (MDI). Qu’en est-il quatre ans plus tard ? En 2022, les intitulés de postes comprenant le mot « designer » ne cessent de se multiplier, tout comme les croisements entre différentes disciplines. La confusion semble être à la hauteur de la fascination pour cette expertise : les designers sont partout.
« On voit effectivement le mot « design » un peu à toutes les sauces. Il est très utilisé, et souvent de manière simpliste, mais finalement, en parler c’est attirer l’attention, attiser la curiosité. C’est ensuite aux acteurs du secteur du design de faire connaître leurs métiers et la valeur qu’ils peuvent créer. » souligne Céline Lévy, Directrice des programmes de l’École Supérieure de Design de Troyes.
On note même l’application d’une « méthodologie design » dans des secteurs, domaines et espaces complètement dépourvus de designers de formation. Le Design Thinking a le vent en poupe ! Cette démarche créative centrée sur l’humain consiste à aborder un problème ou un projet d’innovation, avec la même démarche que celle d’un designer. Néanmoins, de par son succès, le Design Thinking est presque devenu une énième méthode « clé en main », linéaire et conforme aux règles. De plus, cette façon de faire est en partie responsable de l’idée selon laquelle il suffirait d’appliquer des « étapes de réflexion » pour devenir designer.
Ainsi, à l’heure où nous sommes tous devenus « un peu » designer, qu’est-ce qui définit ce « vrai » professionnel ? Pourquoi le devenir ? Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté ce métier ?
Qu’est-ce qu’un designer ?
Le métier de designer est loin de se résumer à la conception de mobilier haut de gamme et désirable. Au contraire, son champ d’intervention est vaste ! On retrouve ce profil dans bien des domaines : industrie, artisanat, bâtiment, multimédia, conception graphique, publicité… Ainsi, les designers s’attaquent à diverses problématiques, sur des « terrains de jeu » de plus en plus variés. Ils peuvent rendre une marque inoubliable, comme optimiser un espace public, une interface ou une organisation, et même intervenir dans les politiques publiques. Et pour cause ! Ces experts contribuent également à répondre aux enjeux sociétaux comme le changement climatique, l’éducation, la santé, etc.
Il faut dire que le design est un outil stratégique qui contribue à challenger la société, en améliorant l’existant ou en créant de nouveaux objets, services et environnements. Avec ce profil créatif et pragmatique, le designer a donc la capacité d’imaginer et d’innover pour améliorer le quotidien de ses pairs. Véritable guide, cet expert va définir les besoins de ses commanditaires et leur apporter des solutions concrètes. Son rôle est également de planifier, de concevoir, de donner des conseils, de diriger le projet et la surveillance des travaux…
En fonction de sa spécialité, le designer est donc en capacité de travailler sur différents supports et différents matériaux. C’est pourquoi, il existe des professionnels dans le design d’espace (retail designer, scénographe, designer d’intérieur…) ou de produit (designer industriel, artisan créateur…), dans le graphisme (illustrateur, graphiste, designer packaging…) et même dans le high-tech (designer sonore, webdesigner…).
Peu importe la spécialisation, un « bon designer » cultive régulièrement son esprit critique, ses connaissances, ses références culturelles ou encore ses expériences personnelles et professionnelles. En effet, ce profil requiert de solides compétences techniques, une certaine conscience pratique et économique, mais aussi de la curiosité, de l’agilité, de la débrouillardise, une certaine rigueur mais surtout de la passion. Ces « soft skills » spécifiques sont presque plus importantes que la maîtrise technique d’outils. Le designer doit également être réactif et être à l’affût des nouveautés pour proposer des solutions dans « l’air du temps ». Enfin, ce dernier s’assure que son produit sera facilement utilisable. Au-delà de l’esthétique, le designer met l’accent sur l’application et l’utilisation de sa création.
État des lieux du marché
En 2020, l’Alliance France Design a réalisé une enquête pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par les designers. Un sondage qui nous permet aussi de dessiner un état des lieux du marché. Proportion des disciplines, mode de travail, situation, typologie… Que faut-il retenir ?
- La majorité des designers graphiques ont le statut d’artiste-auteur (48% des répondants au sondage disposent de ce statut). Quant aux designers de produit ou d’espace, ils sont généralement en profession libérale ou en société.
- Les clients des designers sont majoritairement des entreprises de petite taille, des collectivités, des agences de communication et de design, mais aussi des particuliers.
- Si beaucoup ont souhaité profiter de la crise pour se former, renforcer leurs compétences, expérimenter, formaliser de nouvelles offres, essayer de nouveaux modèles ; ils sont nombreux à rencontrer des problèmes pour concrétiser ces idées lors des confinements. En cause : l’impossibilité de se rendre à leur lieu de travail (55 % des designers ayant répondu au sondage sont concernés). Puis, il est opportun de souligner une autre difficulté dans les modalités de travail imposées : un tiers des designers ne travaille pas seul. Ils emploient du personnel, des assistants, des stagiaires… Mais surtout, ils échangent avec leurs clients, leurs collègues, leurs partenaires et leurs fournisseurs. Pour 94% des sondés, les déplacements chez les acteurs précédemment cités sont hebdomadaires. Autrement dit, les rencontres pour confronter les idées des uns et des autres sont importantes. Ainsi, le designer a besoin de s’immerger dans la problématique de son client ou de se plonger dans l’esprit de création de son collègue : c’est son mode de travail.
« Dans notre école, les entreprises ont une place centrale dans la pédagogie. Ainsi, durant tout son parcours étudiant, le jeune designer travaille sur des problématiques réelles que nous partagent des organisations partenaires. A sa sortie d’école, c’est donc naturellement que nos jeunes diplômés choisissent, pour la majorité, de travailler avec des entreprises. Designer collaborateur, designer indépendant, designer dans une agence… les statuts sont multiples. » précise Céline Lévy, Directrice des programmes de l’École Supérieure de Design de Troyes.
De même, une question semble devenir récurrente à l’heure du « tout digital » : le designer doit-il savoir coder ? Les réponses sont loin d’être unanimes. Pourtant, la notion de design résiste. On parle de plus en plus de « design d’algorithme » (avec des équipes de designers au parcours d’ingénieurs) ou de « conversation » (nécessitant des compétences de rédaction). Par ailleurs, le design joue un rôle de plus en plus important dans l’aspect opérationnel des projets. Typiquement, la notion de « Design Leadership » émerge alors que l’on appelle les designers à prendre place au conseil d’administration. Dans ce contexte, un métier passionnant semble également tirer son épingle du jeu cette année : l’UX designer (aussi appelé designer numérique).
De plus en plus sollicité, cet expert en multimédia et en programmation informatique, améliore l’expérience utilisateur à travers la création d’un storytelling. L’objectif ? Générer de l’émotion chez l’internaute. Pour ce faire, il doit se mettre à sa place et comprendre ses besoins. Sur ordinateur, tablette ou smartphone, l’UX designer met en place un processus adapté aux utilisateurs mais aussi à l’image de marque de l’entreprise. Dans cette optique, il travaille en collaboration avec les chefs de produit, les développeurs, les graphistes, les community managers, les rédacteurs… A l’heure actuelle, il n’existe pas de diplôme spécifique pour ce métier, mais de nombreuses formations en art numérique et en design graphique.
Comme c’est le cas à l’École de Design de Troyes qui propose trois cursus qui intègrent des modules, workshops et projets en relation avec le design génératif ainsi que les objets connectés, le développement d’application, le coding et évidemment, le design UX/UI.
- Un Bac+1 Assistant designer web (Labellisé Formation Supérieure de Spécialisation)
- Un Bac +3 Designer graphique (RNCP de niveau 6)
- Un Bac +5 Designer concepteur de projet (Visé par l’Etat et RNCP niveau 7) avec l’un des parcours du cycle master spécialisé en « Design et intelligence numérique ».
La crise sanitaire : une occasion pour les designers de prendre un rôle central
Au-delà des impacts négatifs, une crise est aussi une occasion de se questionner et de réinventer les modèles existants. Nous pouvons reprendre les propos de Bruno Latour, tenus sur Franceinter : « Si on ne profite pas de cette situation incroyable pour changer, c’est gâcher une crise. Nous avons l’occasion unique de regarder notre monde et nos organisations avec un œil neuf, de les questionner et de les réinventer, autrement dit d’innover ». Comme évoqué précédemment, le design a justement un pouvoir de transformation. Cette période est donc une opportunité pour les designers de renforcer leur « visibilité », de se positionner pro-activement sur les moteurs de relance et d’assumer un rôle majeur auprès des entreprises et plus largement de la société.
Pour ce faire, il advient d’identifier les tendances de fond. Et en 2021, les changements observés sont nombreux :
- Premièrement, on parle de plus en plus d’un « meilleur design » au service de la planète, afin de répondre aux impératifs écologiques.
- Puis, on peut également citer l’aménagement du territoire, avec notamment la relocalisation de certaines activités majeures dans les milieux ruraux (industrielles, pharmaceutiques…). Ces « chantiers » ouvrent la possibilité d’un renouveau économique avec la création d’emplois : une occasion rêvée pour les designers de s’investir dans ces secteurs où ils pourront conjuguer performance et quête de sens (l’agriculture, les biens d’équipement, la santé, l’urbanisme, l’éducation…).
- Ensuite, l’explosion du digital a fait émerger de nouvelles branches déterminantes et extrêmement porteuses aujourd’hui. Face à cette digitalisation massive et aux mutations du travail, on constate une hausse de l’offre. Et pour cause ! Les individus s’intéressent de près au design pour se renouveler mais aussi répondre au manque de créativité. Le design apparaît aussi comme un véritable atout sur un marché en perpétuelle mutation ou en « quête du nouveau filon ».
- Enfin, les entreprises sont de plus en plus friandes du design, d’où une hausse également de la demande. Les raisons sont plurielles : il s’agit d’une force de maquettage et de formalisation (important donc dans la chaine de production) mais c’est aussi un outil de facilitation. Il accompagne le changement en entreprise et séduit les collaborateurs.
Ainsi, pour prendre un rôle central, il est recommandé aux designers de :
- Devenir les nouveaux intermédiaires dans tous les secteurs
- S’inscrire en première ligne dans le processus d’innovation et plus en bout de chaîne
- Être la force de traction manquante pour aider les entreprises à se transformer
Une vision partagée par la direction pédagogique de l’École Supérieure de Design de Troyes : « Que ce soit à travers des projets exploratoires sur le « low tech », des workshops prospectifs pour proposer des solutions énergétiques, formelles et visuelles dans l’espace urbain, des électif traitant des néo-matériaux (notamment bio-sourcés), un Eco Design challenge, etc. nous souhaitons offrir de multiples « terrains de jeu » pour permettre aux étudiants de contribuer aux enjeux sociétaux et environnementaux de manière créative et responsable. »
Pour plus d’informations sur l’École Supérieure de Design de Troyes, rendez-vous sur sa page école dédiée !