Les métavers sont-ils vraiment condamnés à être les déserts que beaucoup évoquent ? Ou faut-il arrêter de les comparer aux jeux vidéo, et les juger comme des innovations de rupture, qui vont transformer notre manière de communiquer, de nous divertir et même de travailler ?
Incontournable en 2022, le concept de métavers, soit un univers virtuel immersif dans lequel nous pourrions évoluer sous la forme d’un avatar, suscite désormais le doute, ou du moins le désintérêt, malgré l’investissement de Facebook, qui l’a popularisé auprès du grand public en se renommant Meta à l’automne 2021. Toutefois, Horizon Worlds, son monde virtuel, n’attire que 200 à 300 000 utilisateurs chaque mois, soit la moitié de l’objectif affiché par la firme. Et seulement 10% d’entre eux reviennent sur la plateforme après leur première connexion ! Même ses développeurs ne sont pas des fans, à en croire Vishal Shah, le vice-président chargé du métavers chez Meta, qui demandait, dans un mail envoyé en septembre 2022 à ses équipes : « Si nous ne l’aimons pas, comment espérer que nos utilisateurs l’aiment ? »
Le responsable voulait alors obliger les personnes en charge du développement d’Horizon Worlds à y passer au moins une heure par semaine, afin de faire la chasse aux bugs qui rendent la première expérience de nombreux utilisateurs « confuse et frustrante », ou encore de trouver des idées afin de développer un modèle économique viable pour la plateforme… Il faut dire que la comparaison est rude avec les jeux en ligne comme Fortnite ou Roblox. Ces plateformes de gaming sont souvent décrites comme des prototypes du métavers, car elles rassemblent à elles deux plus d’un demi-milliard d’utilisateurs et ont engrangé chacune plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires. De son côté, Meta a misé toute sa trésorerie et une partie de ses revenus dans les projets liés au métavers, sans résultat. Depuis le changement de nom, 11 000 employés ont été licenciés, et le cours de bourse de Meta a été divisé par deux.
Par ailleurs, Horizon Worlds de Meta n’est pas le seul candidat au métavers à être critiqué pour son faible nombre d’utilisateurs. Régulièrement, des plateformes comme Decentraland ou The Sandbox sont décrites comme des « déserts », quand bien même plusieurs centaines de milliers de personnes s’y rendent régulièrement.
« Comment ne pas penser au Hype Cylce 2022 de Gartner, où les technologies émergentes sont positionnées en fonction de leur niveau de maturité ou bien des attentes et phantasmes qu’elles suscitent ? Le Web aussi a mis du temps à se développer, avant de connaître son développement actuel grâce au mobile. La technologie seule ne suffit pas, il faut aussi que l’usage se crée et que le bénéfice immédiat soit perceptible. Dans le cas du métavers, des irritants freinent pour l’heure l’adoption réelle », analyse Lionel Tardy, Digital Innovation Strategy & UX Consultant et intervenant à la Digital School of Paris.
Mondes virtuels : un « échec » à relativiser
Mais ces échecs sont à nuancer : l’adoption de ces innovations prend du temps, et de nombreux experts font le parallèle entre la situation du métavers aujourd’hui, et celle d’Internet à la fin des années 1990. Certains se réjouissent même du nombre d’utilisateurs sur Horizon Worlds ou The Sandbox, en rappelant que le premier n’est accessible qu’en VR, tandis que le second n’est encore qu’en bêtatest et exige d’ouvrir un wallet crypto.
Meta est d’ailleurs conscient de ces problématiques, puisque l’entreprise a annoncé en février vouloir lancer une version web et une version mobile, tout en proposant des expériences spécifiques aux utilisateurs âgés de 13 à 17 ans afin de renouer avec cette génération. Car les difficultés de Meta ne sont pas seulement liées à ses ambitions dans le métavers : le géant américain doit faire face à la concurrence de TikTok et, plus globalement, à un ralentissement de l’économie qui touche également les autres GAFAM. Toutes les entreprises de la tech ont vu leur cours de bourse diminuer. Même la valorisation de Google a diminué d’un tiers, poussant le géant américain à licencier 12 000 employés en ce début d’année 2023.
« L’économie a été soutenue pendant la crise sanitaire, qui a été un formidable accélérateur pour les activités numériques. Ces acteurs ont vu leur capitalisation boursière s’envoler, mais les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel… De plus, la demande des consommateurs s’oriente plus actuellement sur des activités « physiques » que « virtuelles ». Même l’e-commerce, le quick commerce ou le secteur des cryptoactifs en pâtissent », estime Lionel Tardy. « La Covid 19 peut être perçue comme un épisode de grande marée. Quand la mer se retire, les écosystèmes se réorganisent et ceux qui avaient un peu joué avec le feu, comme FTX, sont mis au jour. Rien de bien anormal. »
Par ailleurs, selon l’économiste Julien Pillot, Meta est loin de faire une erreur : l’entreprise fait face à un dilemme de l’innovateur. Elle est obligée d’investir dans le métavers, car si ce dernier devient une réalité, il a le potentiel de remplacer les réseaux sociaux dans leur forme actuelle, condamnant Facebook et Instagram à rejoindre des entreprises comme Kodiak ou Nokia au palmarès des leaders qui n’ont pas su anticiper le futur de leur secteur.
Enfin, l’engouement autour du métavers a permis de financer de nombreuses startups et de faire progresser la recherche en matière de réalité virtuelle et augmentée, mais aussi de génération d’images par l’intelligence artificielle, ou encore de retours haptiques, ces procédés qui permettent de ressentir des contacts physiques au sein d’environnements virtuels dont le développement semble ainsi de plus en plus probable. Au-delà du succès de plateformes de gaming comme Fortnite ou Roblox, qui sont autant de lieux de sociabilisation où l’on retrouve ses amis, il suffit pour s’en convaincre de voir l’évolution de nos modes de vie : nous passons en moyenne plus de sept heures par jour devant un écran. La recherche de moyens plus naturels de consommer du contenu, de nous divertir ou de travailler semble passer par la mise en place de ces environnements immersifs.
« Le challenge réside encore dans le hardware : les casques doivent devenir plus pratiques et moins chers », prévient Lionel Tardy, qui voit comme autres freins à l’adoption du grand public une offre encore trop axée sur le gaming et un manque d’interopérabilité entre les plateformes. « En revanche le métavers séduit les industriels. Créer un jumeau numérique d’une chaîne de fabrication et faire remonter de la donnée en temps réel peut permettre à un spécialiste de guider un opérateur local pour faire des interventions par exemple. La puissance de calcul du cloud permet de développer de nombreux usages. »
Quelles perspectives pour le métavers en 2023 ?
« Le métavers sera la version 3D de l’expérience Internet, tout comme le World Wide Web en est l’équivalent 2D ». C’est le constat réalisé par Forrester dans son rapport Prévisions 2023 : Metavers et NFT, au sein duquel l’analyste rappelle que le contexte économique poussera moins les entreprises à faire du « metavers washing », mais au contraire à rationaliser leurs investissements et à se focaliser sur des cas d’usages simples, mais efficaces. En commençant par faire le deuil d’un métavers ressemblant à l’Oasis de Ready Player One : selon Gartner, un tel niveau de maturité ne sera pas atteint avant une dizaine d’années et la création de nombreux standards. Toutefois, Gartner estime qu’en 2026, une personne sur quatre passera en moyenne une heure par jour dans un environnement virtuel immersif, pour des usages aussi variés que le divertissement, le shopping, l’éducation ou encore le travail.
C’est ce dernier cas d’usage qui devrait se développer le plus rapidement selon Forrester, qui estime que les outils de travail collaboratif comme Zoom, Slack, Webex et Google Workspace intègrent des fonctionnalités liées aux environnements 3D dès cette année, à l’image de ce que fait déjà Microsoft dans Teams en permettant d’évoluer dans ce type d’environnement via des avatars. Si de nombreuses marques vont continuer à investir le « métavers » pour engager leurs clients dans des jeux vidéo, créer des influenceurs virtuels pour les incarner en ligne ou encore vendre des produits virtuels, la tendance du métavers sera ainsi portée en 2023 par les usages BtoB. Dans quelques années, il sera courant pour des techniciens ou des chirurgiens de s’entraîner sur des jumeaux numériques de leurs machines ou de leurs patients avant de procéder aux mêmes opérations « IRL ». Une vague d’innovations qui doit s’accompagner dès maintenant par la formation de cursus dédiés.
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