Le 24 mai dernier, J’ai un pote dans la com était invité par Canva dans leur tout nouveau campus londonien pour fêter les 10 ans de la plateforme de communication visuelle tout-en-un. Au programme, une présentation (sur Canva, évidemment !) des trois Cofondateurs venus spécialement d’Australie : Mélanie Perkins, Cliff Obrecht et Cameron Adams. L’occasion d’aborder les ambitions de la plateforme pour les prochaines années et surtout leur stratégie pour accélérer leur croissance en Europe.
Nous avons ensuite eu l’opportunité d’avoir une interview en tête à tête avec Cameron Adams, Cofondateur et Chief Product Officer. Installés confortablement dans l’une des vastes salles de réunion flambant neuve, nous avons parcouru ensemble le passé, le présent et surtout le futur de Canva, avec notamment l’utilisation de l’IA. Un entretien aussi riche qu’instructif que nous vous retranscrivons en exclusivité.
Entrevue avec Cameron Adams, Cofondateur et Chief Product Officer de Canva
JUPDLC : Remontons un peu dans le temps : nous sommes en 2013 et Canva vient d’être officiellement lancé. À ce moment précis, quelle était l’ambition première ? Était-ce déjà de démocratiser le design au sens large du terme, ou était-ce peut-être une ambition un peu plus modeste ?
Cameron Adams : Quand on lance une start-up, vous devez adopter une démarche en quelque sorte contradictoire. D’un côté, vous vous devez d’avoir une vision d’ensemble très ambitieuse. De l’autre, vous devez également réfléchir de façon très concrète à l’étape que vous allez franchir aujourd’hui pour arriver à matérialiser votre vision globale demain. Pour Canva, nous avons toujours eu cette volonté de donner à chacun les moyens de concevoir les designs qu’il a en tête, mais vous ne pouvez pas la concrétiser dès le premier jour. Vous devez d’abord créer un produit qui trouve son écho auprès d’un certain public. Puis grandir, étape par étape, à partir de là.
Avec Canva, nous avons eu la chance de pouvoir faire ces deux choses simultanément. Pendant que nous construisions notre produit, nous mettions en place l’architecture afin que n’importe qui dans le monde puisse l’utiliser pour faire ce dont il avait envie.
JUPDLC : Quel a été votre premier public cible ?
Cameron Adams : Notre public cible initial était en grande partie les professionnels du marketing des médias sociaux. Dans cette optique, 2013 était plutôt un bon moment pour se lancer : Instagram commençait à peine à devenir populaire, Pinterest venait juste d’émerger… Les médias sociaux étaient un truc relativement nouveau, et la plupart des gens qui y travaillaient n’avaient pas encore les outils ou les compétences pour pouvoir créer des contenus adaptés à ces différentes plateformes.
Comme nous ne pouvions pas créer toutes les fonctionnalités que nous voulions créer, nous avons donc construit le produit qui correspondait exactement à ce dont ils avaient besoin. Il nous a fallu seulement un an pour créer ce premier produit, et pourtant les spécialistes du marketing des médias sociaux l’ont adoré quasiment immédiatement. Et non seulement ils l’ont utilisé, mais ils en ont parlé à tous leurs amis et collègues. Cela a vraiment aidé à faire connaître Canva au lancement.
JUPDLC : J’imagine qu’il y avait beaucoup de doutes lors de votre lancement, car vous aviez des ambitions initiales assez énormes. Avez-vous le souvenir d’un moment charnière où vous vous êtes dit : « ok, peut-être que nous allons quelque part avec ce projet, peut-être qu’on peut changer les choses d’une manière positive » ?
Cameron Adams : Oui, j’ai un moment très précis en tête. Vous savez, quand vous développez un logiciel, cela peut être assez abstrait. Vous le codez, vous le mettez en ligne sur votre site, quelqu’un quelque part dans le monde le télécharge et l’utilise, et vous ne parlez jamais à cette personne. Mais un jour, six mois ou un an après le lancement, on a reçu un e-mail de quelqu’un dont nous n’avions jamais entendu parler. C’était un e-mail provenant d’un orphelinat en Amérique du Sud. Ils nous ont juste écrit pour dire à quel point ils aimaient Canva et nous remercier d’avoir produit un tel outil. Ils ont en fait utilisé Canva pour les newsletters de leur orphelinat, qu’ils utilisent notamment pour trouver des familles à ces enfants.
C’était profondément émouvant pour moi qu’un outil de conception puisse avoir un tel impact sur la vie de quelqu’un. Mais aussi qu’une personne aussi éloignée – physiquement parlant – qui parle une langue que je ne parle pas, puisse utiliser Canva pour produire cet impact.
JUPDLC : Pensiez-vous aller aussi loin et révolutionner toute l’industrie de la création graphique ?
Cameron Adams : Je pense que nous avions ce rêve dès le départ, mais il y a un gouffre entre le rêve et la réalité. Encore une fois, vous devez penser étape par étape. Vous ne pouvez pas commencer à vous demander comme obtenir votre milliardième utilisateur. Vous devez d’abord réfléchir à comment avoir votre premier utilisateur, puis votre centième utilisateur, puis votre millième utilisateur, etc. Je pense qu’au départ, on ne peut pas trop penser aux milliards. Vous devez penser aux personnes qui sont juste en face de vous, et à ce que vous pouvez faire aujourd’hui pour les aider.
JUPDLC : Je pense que la plus belle preuve de votre succès est que vos concurrents tentent désormais de réagir : Adobe Express, Microsoft Designer… Êtes-vous inquiet à ce sujet ? Ou êtes-vous simplement heureux que votre réussite fasse réagir la concurrence ?
Cameron Adams : Oui, je pense que vous l’avez dit. Nous ne sommes pas trop inquiets, même pas inquiets du tout. Je pense qu’il y a dix ans, le marché que nous avons créé n’existait pas. Personne ne pensait que le design pouvait être entre les mains de « non-designers ». Nous avons donc créé ce marché, et nous avons vraiment démocratisé les communications visuelles. Et nous continuons à le faire ! Nous avons aujourd’hui 135 millions d’utilisateurs, mais il y a 4 milliards d’internautes dans le monde. Nous avons donc encore un long chemin à parcourir, beaucoup de choses à développer… C’est sur cela que nous nous concentrons : concrétiser la vision que nous avons eue il y a dix ans.
Nous pensons qu’atteindre un milliard d’utilisateurs sur Canva au cours des dix prochaines années est ce que nous visons. Nous savons ce que nous devons faire pour concrétiser cet objectif. C’est pourquoi, nous ne regardons pas ce qu’il se passe du côté de nos concurrents.
JUPDLC : Comme l’atteste votre présence à Londres aujourd’hui, vous mettez actuellement votre focus sur l’Europe. Mais les marchés italiens, espagnols, allemands, français sont très différents. Avez-vous une approche spécifique pour chaque pays ?
Cameron Adams : Nous avons un lien assez fort avec la France. Parce que l’un des tout premiers employés de la première entreprise de Mel et Cliff – Fusion Books, un logiciel qui permettait la mise en page simplifiée d’annuaires scolaires, N.D.L.R. – l’a développé sur le marché français. Je pense que c’est peut-être en partie la raison pour laquelle nous sommes aussi performants en France. Mais nous traitons vraiment chaque marché de manière individuelle. Au début de l’année 2016, Canva n’était qu’en anglais. Il fallait donc savoir le parler et le lire pour pouvoir utiliser Canva. Et nous avons compris que c’était un très gros obstacle à notre croissance et à notre mission de responsabiliser le monde grâce au design.
Nous nous sommes donc concentrés pour faire de Canva un produit véritablement international. Un produit qui parle aux individus dans leur langue, comprend leur culture et leur société, et sur lequel ils se sentent chez eux. Souvent, quand vous parlez aux utilisateurs de Canva, ils ne savent pas d’où vient le logiciel. Je pense que c’est la preuve que nous avons compris chacun des marchés que nous avons abordé.
Ici en Europe, c’est un énorme marché. Vous avez plus de 40 pays différents, parlant toutes sortes de langues. Je pense que le fait d’avoir des campus vraiment solides ici à Londres, à Prague ou encore à Vienne, cela nous donne une bonne base pour assurer correctement notre mission dans cette partie du monde. Sans parler de l’excellent travail de nos services marketing et communication en France, en Espagne, en Italie, en République tchèque, en Norvège, dans tous les autres pays d’Europe.
JUPDLC : Aviez-vous une approche particulière pour la France, où parfois on craint un peu de changer nos habitudes ?
Cameron Adams : Je pense que nous voyons vraiment Canva comme un outil générationnel. Il y a beaucoup de gens qui aiment créer des présentations PowerPoint, il y a beaucoup de gens qui aiment créer des diapositives Google. Mais nous assistons à un véritable changement générationnel dans la façon dont les gens veulent créer leur contenu, en particulier parmi la génération Y et la génération Z, et même dans la génération Alpha. Et ils montrent simplement qu’ils aiment Canva, ils aiment communiquer visuellement, et c’est pour eux que nous créons notre produit. Car ils seront les utilisateurs pour les 20 ans à venir.
L’un de nos points forts est de construire Canva comme un « allié » pour cette génération, qui comprend vraiment ses avantages et peut utiliser intuitivement ses outils. Et je pense que vous avez vu ça en France : beaucoup de jeunes l’utilisent, et c’est pourquoi nous avons une telle présence sur le marché français.
JUPDLC : Parlons un peu du futur maintenant, et notamment de l’IA. Quels sont vos projets dans ce domaine spécifique ?
Cameron Adams : Nous travaillons avec l’IA et l’apprentissage automatique depuis probablement six ou sept ans. L’IA peut être utilisée à différents niveaux au sein de votre produit. Bien sûr, en ce moment elle est utilisée de manière très visuelle. Donc davantage d’utilisateurs la « voient » et en parlent. Mais pendant longtemps, vous pouviez déjà l’utiliser pour le traitement des données. Ainsi, beaucoup des recommandations que vous voyez sur votre page d’accueil sont construites grâce à l’apprentissage automatique, en comprenant ce que vous créez, quand vous voulez le créer, et quel contenu vous aimez. Au cours de l’année dernière, vous avez vu apparaître ChatGPT, Dall-E… Toutes ces nouveautés ont mis en lumière les possibilités apportées par l’IA.
Mais, oui nous l’intégrons depuis longtemps et en apprenons de plus en plus sur elle. Nous savons de mieux en mieux comment l’intégrer efficacement dans notre expérience. Parce que l’IA, en fin de compte, reste une technologie, et la technologie n’est pas un produit en soi. Vous devez être en mesure de la prendre, de l’intégrer dans votre produit, de comprendre comment elle peut répondre aux besoins de vos clients pour leur offrir une expérience optimale. Nous sommes vraiment doués pour créer des expériences client qui apportent une réelle valeur aux personnes. Et nous utilisons l’IA pour cela chez Canva.
Nous avons étendu son utilisation à l’ensemble de la plateforme, de la page d’accueil jusqu’à la publication, et nous l’exploitons de multiples manières. Cela peut-être pour vous donner un petit coup de pouce dans la rédaction de votre texte ou pour ajuster légèrement vos images, ainsi que dans des applications plus étendues. Je pense que vous avez vu Magic Design durant la présentation de tout à l’heure, où vous pouvez télécharger une image et obtenir l’ensemble de la conception en quelques secondes. Je pense que l’IA peut jouer un rôle à tous les niveaux. Parce qu’en fin de compte, l’IA et Canva ont pour moi le même objectif : faciliter la vie d’un utilisateur.
JUPDLC : Exactement ! Au fond, c’est un peu la même chose : Canva et l’IA permettent de réaliser des choses qui étaient soit réservées auparavant à une poignée de personnes, soit extrêmement chronophages.
Cameron Adams : Oui, je pense que c’est toujours comme ça que je le vois. Avant Canva, vous pouviez faire un design, mais cela vous prenait des jours, voire des mois. Avec Canva, vous pouvez le faire en quelques minutes. Avec Canva et l’IA, vous pouvez le faire en quelques secondes.
JUPDLC : Quelles sont les prochaines étapes pour Canva, la prochaine grande nouveauté ?
Cameron Adams : Nous nous concentrons sur quatre domaines différents. Le premier d’entre eux est la croissance internationale et les marchés locaux. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui en Europe. C’est un marché incroyablement puissant dans son ensemble, mais c’est un marché incroyablement complexe à aborder. Et je pense que c’est le bon moment pour nous d’y faire face. Maintenant que nous avons des gens talentueux sur le terrain, quelques bureaux répartis en Europe qui peuvent se concentrer sur les différents marchés, et les ressources nécessaires pour investir.
Le deuxième est la croissance des équipes et des entreprises. Pendant les six premières années de l’existence de Canva, la plupart des personnes utilisaient Canva en tant qu’utilisateurs individuels. Il s’agissait majoritairement de petites entreprises. Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons constaté que de plus en plus de personnes utilisaient Canva en collaboration avec d’autres. Elles travaillent avec leurs collègues, collaborent avec des clients et travaillent au sein de grandes organisations. Nous avons donc des personnes qui utilisent Canva chez Amazon, Netflix, American Airlines. Ici en Europe, nous avons L’Oréal, Rolls-Royce, Unilever, et des agences comme WPP, qui sont énormes. Ils comptent environ 100 000 personnes, dont 10 000 utilisent Canva. Nous considérons donc les équipes et les entreprises comme la prochaine phase de notre croissance, et nous aidons les personnes à collaborer et à créer ensemble.
Le troisième, évidemment, consiste à élargir la gamme de nos produits et à pouvoir répondre aux besoins d’un milliard de personnes. Nous avons actuellement 135 millions de personnes qui utilisent Canva, mais il y a beaucoup plus de personnes dans le monde qui peuvent bénéficier du design, et elles ont toutes des besoins très différents. Il est donc important de construire un produit qui réponde à tous ces besoins.
Enfin, le quatrième concerne l’impact social positif que nous pouvons avoir. Nous avons parlé un peu de l’étape deux, qui consistait à faire le plus de bien possible dans le monde. Cela se fait non seulement à travers les décisions que nous prenons en tant qu’entreprise, mais aussi grâce aux efforts que nous consacrons à la Canva Foundation et aux différents programmes et projets que nous menons là-bas. Voilà nos ambitions pour la prochaine décennie à venir.
JUPDLC : Et qu’en est-il des fonctionnalités ? Travaillez-vous sur quelque chose actuellement, et surtout pouvez-vous nous en parler un peu ou c’est encore un secret ?
Cameron Adams : C’est un peu secret (rires). Mais cela en est encore à ses débuts. Il y a toujours la possibilité d’améliorer la qualité, la rapidité, l’efficacité de notre produit. Il y a donc des améliorations itératives et progressives que l’on peut encore apporter. Comme vous pouvez le voir avec Magic Design, la capacité à passer de rien à quelque chose en quelques secondes est encore un domaine qui nécessite énormément de recherche et de développement. Nous travaillons beaucoup là-dessus.
À côté de cela, nous nous concentrons beaucoup sur l’interactivité et l’engagement. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Flourish nous a tant attirés, car ils sont capables de créer des visualisations de données interactives, un contenu vraiment captivant, et surtout des façons uniques dont nos clients peuvent l’utiliser. Ils peuvent créer des PDF parlants, des présentations interactives qu’ils envoient à leurs clients, des vidéos incluses dans leurs présentations, des petits widgets de données qui vous permettent d’approfondir les choses et d’explorer et de comprendre. C’est un domaine qui regorge d’opportunités et sur lequel nous allons mettre les bouchées doubles !
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