À l’occasion des Cannes Lions 2025 toute l’équipe de J’ai un pote dans la com, s’est mobilisée pour vous faire vivre le festival comme si vous y étiez. Tout au long de la semaine, nous sommes allés à la rencontre de personnalités issues du monde de la pub pour qu’elles nous partagent leurs insights sur cet événement phare, et leur vision des tendances qui façonnent – et façonneront ! – le secteur. Ces interviews réalisées avec le soutien de MEDIA FIGARO vous offriront une variété de regards et d’éclairage sur cette édition.
Nous avons rencontré Jacques Séguéla, légende vivante de la publicité. À 91 ans, le cofondateur d’RSCG et désormais CCO d’Havas, n’a rien perdu de son esprit flamboyant ni de son amour pour la créativité. Retour sur sept décennies de Lions, d’idées, et de déclarations d’amour à la pub.
JUPDLC : Bonjour Jacques Séguéla, ravis de vous retrouver ici à Cannes. D’abord, vous disiez que c’était votre meilleure année créative. Pourquoi ?
Jacques Séguéla : On vient de terminer ce que j’appelle notre grand conseil national et international du jugement de la créativité du groupe, par rapport à tous nos concurrents… Et on leur a mis une bien bonne cette année parce que c’est notre meilleure année créative de tous les temps. Je suis full bonheur !
JUPDLC : Vous avez participé à presque toutes les éditions des Cannes Lions. Comment cette édition se compare-t-elle à vos débuts ?
Jacques Séguéla : J’ai fait tous les Cannes Lions, depuis ceux qui se tenaient en Italie. C’est d’ailleurs pour ça que le prix s’appelle le Lion : il vient de là. J’y étais déjà aux deux ou trois premières éditions, et depuis que c’est devenu cannois, je n’en ai manqué aucun. Ça fait bien 70 éditions, je dois être le plus vieux publicitaire encore debout a avoir fréquenté Cannes !
JUPDLC : Justement, vous avez vu l’évolution du festival. Comment décririez-vous ce changement entre votre première édition avec le Lido et aujourd’hui sur La Croisette ?
Jacques Séguéla : Le Lido, c’était formidable. À l’époque, les Français étaient les plus créatifs. Les Américains ne s’intéressaient pas encore à ce festival, qu’ils trouvaient trop franchouillard. Alors on était un peu les rois du jeu. On s’amusait comme des fous. C’était la belle créativité que j’aime : une idée, presque rien… mais une idée. Et chaque fois, on réveillait les ailes du désir de la publicité, on aimait la pub.
C’est sur la plage du Lido qu’on passait notre temps à s’embrasser, à se parler. C’était le contraire de ce qu’est Cannes aujourd’hui, où le business l’emporte sur tout. Là-bas, ce n’était pas le temps du business, c’était le temps de l’amour. Et c’était tellement mieux.
JUPDLC : Ce temps de la créativité pure, de l’amour de la pub, vous manque-t-il aujourd’hui ?
Jacques Séguéla : Mon métier, c’est de faire régner ça dans l’agence. Un jour, Bill Bernbach, le patron de DDB, l’homme qui a créé la publicité aux USA, m’a dit : « Ton rôle, c’est de faire régner l’esprit créatif dans toutes les agences. » C’est ce que je fais depuis des décennies, à Cannes comme ailleurs. Et cette année, en particulier, en Inde. On y a raflé beaucoup de Lions. L’Inde se réveille, et nous, on a pris position depuis longtemps : on y a 5 000 fils et filles de pub.
On est l’agence la plus créative de ce pays, qui est en train de doubler peu à peu la Chine, et qui sera l’un des grands marchés du futur. Avec une espèce d’humour, de bonheur de vivre, de vraie valeur de la famille, du respect de l’humain… Ce pays, ou plutôt ce continent, est pour moi le plus avancé en matière de créativité de demain. Même si personne ne le sait encore.
« L’intelligence artificielle, qu’on caricature parfois comme la nouvelle tarte à la crème, peut faire beaucoup de bien. Elle redonne un coup de pied dans la fourmilière de la publicité moyenne. »
JUPDLC : En parlant de demain justement, l’intelligence artificielle arrive-t-elle à vous surprendre, après tout ce que vous avez vu ?
Jacques Séguéla : Un jour, Cocteau demande à Diaghilev, le danseur : « Quelle est la définition de ton art ? » Il a réfléchi et répondu : « Étonne-moi. » Et Cocteau lui dit : « Non, ça, c’est mon métier, celui de la poésie, c’est moi qui étonne. » C’est aussi le mien. Étonner, c’est ce que doit faire la publicité. Elle doit changer la vie, pas l’oublier.
Mais aujourd’hui, elle baisse. Les grands films de marque, qui doivent durer au minimum 60 secondes, disparaissent. Plus personne ne prend le temps de raconter. Tout dure 15 ou 20 secondes. On n’a plus le temps d’avoir du talent, juste de caser papa, maman et les enfants dans la voiture, et hop, le prix à la fin.
On court vers la petite mort de la publicité. Et pourtant, je crois qu’il y a une prise de conscience. Et ce festival des Cannes Lions le prouve : si on veut étonner, il faut s’en donner les moyens. Pas en 8 ou 15 secondes. Il faut des grands films, ceux qui marquent les marques, hier comme demain.
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JUPDLC : Chez J’ai un pote dans la com, on essaie de secouer le monde du marketing et de la pub. On a eu Maurice Lévy l’an dernier. Vous étiez la pièce manquante. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes publicitaires qui nous écoutent ?
Jacques Séguéla : Aime la pub, et elle t’aimera. Donne-lui, et elle te donnera. Glorifie-la, et elle te glorifiera. Aimez la pub.
JUPDLC : Pour conclure : malgré les crises qu’on évoque, la pub a-t-elle encore de belles années devant elle ?
Jacques Séguéla : La pub n’est pas en crise. Le marché va bien. Mais la créativité doit s’imposer davantage. L’intelligence artificielle, qu’on caricature parfois comme la nouvelle tarte à la crème, peut faire beaucoup de bien. Elle oblige les créatifs à se dépasser, à l’explorer, à la mettre en scène. Elle redonne un coup de pied dans la fourmilière de la publicité moyenne, pour aller vers les cieux.