« Les jeunes ne vont plus au musée aujourd’hui ! » Si ce genre de clichés à la peau dure arrive jusqu’à vos oreilles en repas de famille ou à la machine à café, sachez que celui-ci est bien loin de la vérité ! En effet, plusieurs études ont récemment démontré que les jeunes générations (notamment la fameuse Gen Z) font preuve d’une appétence particulière pour les sorties culturelles en tous genres. Mais entre l’offre culturelle infinie mise à notre disposition, le développement de l’économie de l’attention, et toutes les nouvelles façons de penser la culture sur le volet digital, il peut parfois s’avérer bien difficile de faire le choix de la visite du bon vieux musée.
Comment les musées peuvent-ils capter l’attention de la Gen Z ?
Les musées et autres institutions culturelles ont besoin d’innover sans cesse afin de faire parvenir leur offre à de nouveaux yeux, et s’assurer – si ce n’est la croissance – au moins le maintien de leur fréquentation. Cette innovation peut passer par le fait de repenser sa présence sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux, créer des expériences uniques sur place comme les escape games ou autres jeux de rôles immersifs, particulièrement en vogue… Mais aussi par le fait de créer des campagnes de communication sous un angle nouveau, avec comme objectif d’attirer la précieuse attention de la Gen Z.
La Génération Z, quant à elle, dénote par ses habitudes de consommation. Née entre 1997 et 2009, celle-ci a la particularité d’avoir grandi avec le numérique à portée de main, et des réflexes qui diffèrent déjà de ses aînées. Pour la Gen Z, la qualité et l’authenticité des moments passés sont des facteurs indispensables à toute expérience. Son pouvoir d’achat croissant, combiné à une attention toute particulière sur l’équilibre de vie et la santé mentale, en fait une cible privilégiée des musées, qui sont pour eux de véritables lieux exutoires, leur permettant de se reconnecter au monde réel et historique.
5 campagnes créatives de musées à destination de la Gen Z
Pour avoir un aperçu de ce que les plus grands musées du monde ont pu nous concocter de plus fou ces dernières années, voici un top 5 des campagnes de communication réalisées par des musées ou institutions culturelles à l’intention de la Génération Z. Pour recueillir un avis d’expert sur le sujet, nous avons questionné Elise Nguyen, responsable du cursus Design Graphique et Communication Visuelle à l’Institut Artline, école spécialisée dans les arts numériques.
1. Pokémon x Musée Van Gogh
Ahhh, Pokémon ! La plus grande franchise de Pop Culture au monde fêtera bientôt ses 30 ans. Et pourtant, entre les jeux vidéo qui cartonnent toujours autant, les films, les séries, et bien sûr les cartes à jouer que s’arrachent les collectionneurs, Pokémon n’a jamais été aussi contemporain. Et ce, même aux yeux de la Gen Z (pourtant plus jeune que Pikachu lui-même !).
Ces dernières années, la franchise japonaise est entrée dans une nouvelle dimension, en multipliant les collaborations de tous bords. Puma, Balmain, Mcdonald’s… Toutes s’arrachent les droits d’image des petits monstres de poche (et oui, Pocket Monsters, c’est de là que vient le nom !). Et pour cause : c’est à chaque fois la quasi-assurance d’un succès commercial, tant les Poké-fans semblent être insatiables.
En 2023, pour célébrer les 50 ans du prestigieux Van Gogh Museum d’Amsterdam, les équipes du musée ont mis le paquet avec une collaboration unique en son genre. Pendant 3 mois, le musée a été transformé du sol au plafond, en incorporant les Pokémons dans l’univers du peintre impressionniste néerlandais.
« En combinant ces deux univers a priori opposés, les organisateurs réussissent à capter l’attention des jeunes. »
C’est ainsi que les visiteurs ont pu découvrir de véritables tableaux de Pikachu, Evoli ou encore Ronflex, détournant des classiques du maître, comme Les Tournesols ou La Chambre à Coucher d’Arles. Les œuvres sont réalisées par les renommés Naoyo Kimura et Tomokazu Komiya, deux artistes nippons. Un clin d’œil du destin, puisque le maître néerlandais était quant à lui un amateur chevronné d’estampes japonaises. Une collaboration inattendue annoncée par un trailer digne d’un film d’animation à gros budget, a frappé un coup très fort.
Résultat : des articles et des reportages dans tous les médias, un raz-de-marée de visiteurs, un musée qui ne désemplit pas, et des millions de tote bags, tee-shirts, casquettes ou cartes collectors vendus par la boutique du musée. Un véritable carton, notamment auprès de la Gen Z, particulièrement attirée par ce genre d’expériences uniques et temporaires.
JUPDLC : Que pensez-vous de la fusion des univers de Pokémon et Van Gogh a priori si éloignés ? Quels sont, selon vous, les enjeux techniques et créatifs pour assurer cette fusion tout en maintenant l’intégrité artistique des œuvres originales ?
Elise Nguyen : C’est une brillante stratégie de communication intergénérationnelle. Pokémon est l’une des franchises les plus populaires au monde. En combinant ces deux univers a priori opposés, les organisateurs réussissent à capter l’attention des jeunes, qui, autrement, pourraient ne pas se sentir immédiatement concernés par les musées ou l’art classique. Voir Pikachu représenté dans le style d’un célèbre autoportrait permet de créer un lien entre l’univers imaginaire et ludique des jeunes avec celui de l’art.
En conclusion, je dirais que la fusion entre Pokémon et Vincent van Gogh ne se contente pas seulement d’attirer les jeunes. Elle les engage également dans une expérience culturelle enrichissante. C’est une approche subtile qui éveille leur intérêt pour l’art.
2. Le Musée de l’Armée et l’agence Drôles d’Oiseaux en campagne d’affichage
Comment remettre au goût du jour un musée rempli d’objets historiques comme le Musée de l’Armée ? Situé à l’Hôtel des Invalides à Paris, ce musée bien que dense et passionnant peut sembler relativement secondaire tant la capitale française est truffée d’institutions prestigieuses. Eh oui, il est difficile de se tailler une place sur l’itinéraire touristique lorsque l’on est à seulement quelques mètres du Musée du Quai Branly, du Musée d’Orsay, ou du Louvre, le musée le plus fréquenté du monde.
C’est face à ce constat que l’agence Drôles d’Oiseaux a répondu en 2022 avec une idée créative brillante : faire parler les objets du musée. Au travers d’une campagne d’affichage dans les couloirs du métro de la capitale, les Parisiens ont ainsi pu voir une armure de Samouraï s’indigner que « Dark Vador m’a tout piqué ! » Que « Depuis Austerlitz, le mieux, c’est le RER », signé Napoléon en personne. Ou encore : « j’existe surtout en 44, moins en 39-40, » annoncé par une robe tricolore de résistante.
Une campagne qui mise donc avant tout sur l’humour, et qui joue du décalage entre l’Histoire et la culture populaire. Une opération qui a permis un certain buzz sur les réseaux sociaux. En mettant l’accent sur la spontanéité et l’authenticité, loin des discours parfois trop guindés du monde culturel, l’agence Drôles d’Oiseaux a donc mis le doigt sur la recette parfaite pour plaire à la Gen Z, mais aussi aux autres !
JUPDLC : Cette campagne est moins élaborée que le spot vu précédemment, et pourtant, elle a eu un franc succès ! Comment les techniques de storytelling visuel et textuel ont-elles été utilisées pour rendre les objets historiques pertinents et engageants pour une audience moderne ?
Elise Nguyen : Les répliques cultes sont souvent des phrases immédiatement reconnaissables, tirées de films profondément enracinés dans la culture populaire. Elles créent un lien instantané entre le public et le musée, en s’appuyant sur un élément familier et largement partagé.
Ces répliques font souvent remonter des souvenirs marquants chez les spectateurs. Ils se rappellent non seulement du film, mais aussi de l’expérience émotionnelle qui y est associée. Les musées peuvent capitaliser sur cet effet de nostalgie pour attirer un public spécifique.
Ce qui rend cette approche particulièrement efficace, c’est que les répliques cultes se prêtent parfaitement aux campagnes numériques. Elles sont faciles à partager et à faire circuler sur les réseaux sociaux. Une campagne qui détourne une réplique célèbre peut rapidement devenir virale, être commentée et partagée par les internautes, augmentant ainsi la visibilité du musée.
3. Tate Museum : la 1840’s GIF party
Institution londonienne de l’art moderne, le Tate Museum est une référence mondiale. Il héberge des œuvres signées Dalí, Magritte, Kandinsky, Picasso et bien d’autres. Lui aussi situé en plein cœur d’une grande ville culturellement très riche, sa collection exceptionnelle se retrouve bien vite invisible lorsqu’elle fait face à l’éclectique offre de musées de la capitale britannique.
Face à ce constat, le Tate a fait un véritable pari en misant sur une initiative nommée “1840’s GIF Party”. Le musée a lancé un curieux défi aux passionnés d’art : s’emparer des œuvres de sa collection issues de cette période, et les remixer dans un mode d’expression parfaitement contemporain, le GIF. En donnant libre accès à des versions haute résolution de ses toiles, le Tate a invité tous les artistes digitaux du monde à se réapproprier totalement ses œuvres, et les détourner avec pour seul mot d’ordre : la créativité.
Le pari est plus que réussi, avec plusieurs milliers de GIF uniques recensés. Certains internautes sont allés très loin dans le détournement en images animées, entre les animations humoristiques, les effets de style, les illusions d’optique ou stroboscopiques, voire même encore de la 3D. En bref, chacun y est allé de son style.
Une opération aux retombées positives multiples. De son côté, le musée voit ses œuvres dépasser ses canaux de communication habituels grâce à une production d’UGC massive et inédite. Ainsi, ce sont des milliers de feeds Instagram d’artistes, graphistes ou designers qui se sont remplis d’œuvres du Tate Museum. De l’autre côté, c’est une nouvelle approche qui permet à la Gen Z de découvrir sous un nouvel angle des œuvres d’art habituellement statiques, et surtout de se les approprier. Un véritable gagnant-gagnant !
JUPDLC : Comment cette initiative se positionne-t-elle par rapport aux tendances actuelles du design numérique et des arts visuels ?
Elise Nguyen : L’idée de créer des GIFs à partir d’œuvres d’art datant des années 1840 fusionne deux univers : l’art classique et la culture numérique contemporaine. En procédant ainsi, le Tate Museum offre au public moderne – habitué à consommer du contenu digital – l’opportunité de (re)découvrir ces œuvres d’une manière plus accessible et ludique. Le véritable coup de génie réside dans l’encouragement à l’interaction et à la participation du public. Cette approche novatrice a permis au musée d’attirer un nouveau public, de stimuler l’engagement et de générer une visibilité virale sur les réseaux sociaux, tout en modernisant l’image des musées.
4. Musée Dalí : Warhol Meets the Dalí, avec l’agence Spark
Avec la plus grande collection privée au monde de toiles signées du grand Salvador, le Musée Dalí de Tampa, en Floride, est un passage obligé pour tout amoureux d’art en vadrouille dans l’État du Sunshine State. Le lieu, tout aussi remarquable pour son architecture que sa localisation, est également une étape privilégiée des expositions parmi les plus passionnantes du monde de l’art moderne.
Alors pour célébrer l’arrivée d’une exposition dédiée à Andy Warhol, les équipes du musée ont mis en place, avec l’aide de l’agence Spark, une campagne bien particulière, qui consiste en la combinaison des univers uniques des deux artistes. D’un côté, le visage si expressif de Salvador Dalí avec sa moustache courbée reconnaissable entre mille, et de l’autre la touche ultra-colorée et les aplats de couleur de Warhol, précurseurs de la culture pop. Si historiquement, ce dernier avait plutôt choisi Marilyn Monroe comme modèle pour ses diptyques colorés, c’est cette fois le peintre espagnol qui en est le sujet. Un crossover qui aurait bien pu exister, puisque les deux artistes étaient amis, et qu’Andy Warhol a réalisé un film dont le sujet était le peintre catalan.
Des visuels accrocheurs, et une campagne dont la simplicité permet d’impacter massivement, le tout stratégiquement déployé aux points de passages touristiques de Floride (comme les aéroports ou les parcs d’attractions). La campagne imaginée par l’agence Spark a permis un regain durable de la fréquentation et de l’attractivité du musée, notamment pour les plus jeunes voyageurs.
JUPDLC : La communication visuelle est-elle la seule option viable pour un musée ?
Elise Nguyen : La communication visuelle est un atout essentiel pour les musées. Elle leur permet non seulement d’attirer et d’informer, mais aussi de captiver leur public. C’est un rôle clé pour créer une connexion émotionnelle profonde entre les œuvres et les visiteurs.
Dans un monde où les gens consomment massivement du contenu visuel, il est crucial pour les musées de s’adapter à cette culture visuelle moderne afin de rester pertinents. Cette approche rend le contenu plus accessible à tous les publics. Y compris ceux qui ne sont pas forcément familiers avec l’art ou la culture.
5. Louvre x Airbnb
Avec pas moins de 10 millions de visiteurs annuels, le Musée du Louvre a beau être le musée le plus fréquenté du monde, ses équipes doivent, elles aussi, se creuser quotidiennement la tête pour trouver l’angle parfait au moment de créer leur nouvelle campagne marketing.
C’est dans l’optique d’attirer l’attention de la Génération Z que la maison hôte de la Joconde s’est alliée avec l’une des plateformes privilégiées des jeunes touristes pour se loger – surtout lorsque ceux-ci sont de passage dans la capitale, qui dispose de plus de 50 000 logements sur la plateforme.
Cette fois, la collaboration entre les deux marques a pris la forme d’un immense jeu-concours permettant à son gagnant et un invité de passer une nuit d’exception au musée. Au programme : dès la tombée de la nuit, alors que les salles s’étaient vidées des derniers touristes, les gagnants ont eu le privilège de suivre une visite guidée menée par une historienne de l’art, puis de déguster un apéritif face au tableau le plus précieux du monde, la Mona Lisa en personne. S’en est suivi un dîner aux chandelles aux côtés de la Vénus de Milo, et un concert privé dans les salons Napoléon III. Et le tout conclu, bien sûr, d’une nuit à la belle étoile, puisque passée sous l’emblématique pyramide du parvis.
Une expérience inoubliable donc, et qui a le mérite d’être un cocktail parfait pour plaire à la Gen Z. Friante des collaborations combinant des univers distincts, il est aussi communément admis que celle-ci souhaite vivre des expériences uniques, authentiques et mémorables. Difficile de faire mieux que le lot mis en jeu ici. De quoi ravir les amateurs d’art, d’Histoire et de bons moments.
JUPDLC : Nous avons proposé bon nombre de campagnes qui nous ont inspirées. Et vous ? Pourriez-vous nous donner un exemple de campagne qui vous a marqué ?
Elise Nguyen : Pour toutes ces raisons, je citerais la campagne du film Barbie. Elle a su combiner de multiples axes avec brio : des activations expérientielles, comme la location de la Dreamhouse de Ken sur Airbnb, à une forte présence sur les réseaux sociaux. En misant à la fois sur la nostalgie et sur les tendances actuelles, telles que le phénomène « Barbenheimer » (une association inattendue avec le film Oppenheimer). Cette campagne a réussi à créer un immense buzz, attirant ainsi un large public de tous âges.
JUPDLC : Un petit mot pour conclure ?
Elise Nguyen : « Venez comme vous êtes ! » Un message connu de tous qui résonne bien dans le contexte des musées ou des événements culturels cherchant à attirer un public diversifié.
Pour en savoir plus sur l’Institut Artline, rendez-vous sur sa page dédiée !