Les enjeux RSE sont plus que jamais au sein des stratégies des marques et des agences. En effet, de plus en plus de clients sont en quête d’éthique, de transparence et de véritables engagements. La RSE est également une manière de donner du sens à ses objectifs tout en renforçant les liens existants avec ses employés, ses clients et ses fournisseurs. De plus, l’intégration d’une politique RSE à son modèle économique a un impact positif considérable sur l’image d’une agence.
Mais, dans les faits, qu’est-ce qu’une agence de communication RSE ? Comment ne pas tomber dans le greenwashing ? Comment construire un modèle plus inclusif et plus écologique ? Afin de répondre à toutes ces questions, nous avons rencontré Marion Andro, Directrice associée de l’agence B Side et alumnus d’Audencia SciencesCom.
Entrevue avec Marion Andro, de l’agence B Side
JUPDLC : Sur votre site internet, vous parlez d’entreprise « à mission ». Que signifie ce statut ? Qu’est-ce que ça implique concrètement ?
Marion Andro : Dans le cadre de la Loi Pacte, en mai 2019, le droit français a créé la qualité de « société à mission ». L’entreprise fait évoluer ses statuts pour intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans le cadre de son activité. Ce sont les engagements de l’entreprise envers elle-même, son écosystème et la société. L’entreprise formule une raison d’être, véritable ligne stratégique qui intégrera ces objectifs et orientera son action.
Devenir entreprise à mission, c’est aussi être audité par un organisme tiers indépendant qui va s’assurer que la mission et les indicateurs de mission sont respectés. C’est enfin organiser la gouvernance de la mission avec un Comité de mission qui va se voir plusieurs fois par an pour challenger, inspirer, valider et veiller à l’alignement des activités de l’entreprise avec sa mission et ses objectifs.
Nous sommes devenus une entreprise à mission en octobre 2020. Notre raison d’être est de militer et agir pour une communication utile qui amplifie le pouvoir de transformation des entreprises au service d’une économie positive. Nous avons été audités fin 2022 et avons confirmé tous nos objectifs. En ce qui concerne notre comité de mission, celui-ci est présidé par un salarié, constitué de clients, fournisseurs, salariés, experts en communication et enfin chefs d’entreprise.
Une mission n’est pas la démarche RSE. La mission engage le modèle d’affaires de l’entreprise. Elle interroge la raison d’exister de l’entreprise, ses impacts, au-delà de l’organisation.
JUPDLC : Comment intégrer la RSE au sein d’une stratégie de communication ?
Marion Andro : Afin d’intégrer la RSE au sein d’une stratégie de communication, l’on distingue plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a la RSE intégrée dans la stratégie de l’entreprise : cette dernière se transforme, suit une trajectoire. Le rôle de la communication est, dans ce cas, de soutenir et de partager cette stratégie, la raconter, la faire vivre.
Ensuite, il y a la RSE intégrée dans la façon dont on fait de la communication : là, on parle d’écosocioconception. C’est la capacité à prendre en compte, en amont de tout projet de communication, ses impacts sociaux et environnementaux et de se poser les bonnes questions : par exemple, cette vidéo, ce motion design ou cet événement sont-ils vraiment utiles ? Quels impacts négatifs peuvent-ils avoir ? Comment les limiter ? Peut-on faire autrement en croisant sobriété et efficacité de la communication ? Quels usages à terme ? A contrario, comment amplifier ses impacts positifs ? Par le choix de ses partenaires, sa dimension locale, la valeur créée… Et tout un tas d’autres questions de ce type !
JUPDLC : Concrètement, quelles actions menez-vous en termes d’inclusion ?
Marion Andro : L’inclusion peut concerner les acteurs avec lesquels on travaille comme les ESAT, une attention qui doit se renforcer sur la composition de l’équipe et l’ouverture à différents profils. Nous menons également des actions de mécénat avec plusieurs associations comme Coup de main numérique, Face 44, Fondation Territoriale 44, ou encore la Fondation de France, ce qui permet à chacune et chacun de contribuer à des actions concrètes.
JUPDLC : Quel est le rôle d’un chargé de communication RSE ? Quelles différences avec un chargé de communication « classique » ?
Marion Andro : Une chargée ou un chargé de communication est en général en entreprise, donc directement chez le client. Depuis plusieurs années, dans les entreprises, la fonction RSE évolue. Il peut y avoir une fonction RSE en tant que telle, ou bien elle peut être rattachée à la communication ou aux RH.
Demain, la RSE doit être intégrée nativement à toute fonction communication. Mais cela s’applique aussi à une fonction achats, commerciale ou RH. Elle est transverse, transforme durablement tous les métiers, et pas seulement la communication. Elle ne peut pas être un seul « additif ». Même si une fonction RSE va être utile, surtout au démarrage d’une démarche, pour la structurer, l’animer, et la diffuser en interne, elle peut également requérir des connaissances plus techniques.
JUPDLC : Toute agence de communication est amenée à travailler avec des marques, de plus ou moins grande taille. Comment les convaincre de se positionner sur une communication plus écologique ou plus inclusive ?
Marion Andro : À l’agence, nous avons mis en place une méthode d’écosocioconception qui nous permet dès le démarrage d’un projet d’intégrer cette question avec la marque. Si elle refuse de s’y intéresser ou si l’on sent un risque de greenwashing, nous ne pouvons pas nous positionner. En effet, il nous est impossible de porter la communication d’un projet insuffisant ou qui manque de sincérité.
En revanche, ensemble, nous allons nous interroger sur le pouvoir de transformation du projet avec le client. Puis, de la conception jusqu’à l’usage du projet de communication, nous allons challenger son utilité, son impact. C’est un vrai levier d’innovation, et cela contribue à part entière à la démarche RSE de l’entreprise, en plus de potentiellement servir son reporting.
JUPDLC : Les objectifs fixés dans le cadre de la RSE peuvent mettre du temps à être mis en place, et également être coûteux (certifications ISO…). Quel est l’intérêt de la mise en place d’une démarche RSE sur le court et long terme ?
Marion Andro : C’est de ne pas mettre en place des objectifs concrets et une démarche RSE qui seront à terme coûteux pour l’entreprise, au-delà d’engager son absence de responsabilité sur des sujets qui nous concernent tous (notre planète, notre société).
Demain, il sera demandé aux entreprises de rendre des comptes et de fournir des preuves de leur impact si elles veulent recruter, emprunter, conserver la confiance de leurs parties prenantes, s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique sur leur activité par exemple. Les actions peuvent avoir un coût mais elles permettent de mesurer, se projeter dans l’avenir, anticiper, se transformer, embarquer ses équipes. Il s’agit de se mettre en mouvement pour être plus utile et favoriser sa pérennité.
JUPDLC : Comment parvenez-vous à trouver un équilibre entre gestion des finances et démarche RSE ? Les deux sont-ils compatibles ?
Marion Andro : Écarter toute réflexion RSE parce que ce serait « trop cher » est une vision court-termiste suicidaire. On peut en revanche prioriser. Il existe aujourd’hui de nombreux dispositifs financiers qui permettent de soutenir une formation, la réalisation d’un bilan carbone, une certification, un plan de sobriété énergétique…
De plus, des réseaux d’entreprises facilitent le partage d’expériences, l’accès à des services à prix négociés, l’action collective. Dans tous les cas, il ne faut pas rester seul. Nous avançons tous en ce moment, à notre rythme, et la coopération est une clé majeure pour nous y aider.
JUPDLC : Une démarche RSE implique des modifications du point de vue de ses fournisseurs et/ou de ses clients. Comment êtes-vous parvenu à vous adapter à ces changements ?
Marion Andro : Il s’agit, en effet, d’un aspect essentiel. Notre démarche est partagée avec nos clients, que nous embarquons. En effet, nous avons une charte d’engagement fournisseurs et organisons chaque année une journée avec tous ceux ayant un chiffre d’affaires supérieur à 5000€/an.
L’an dernier, avec Mission Change, nous sensibilisions nos fournisseurs à la nécessité de conduire un bilan carbone (Scopes 1 à 3). Nous avons besoin de leurs données pour améliorer la pertinence de notre propre bilan carbone. Cette année, nous allons d’ailleurs parler, avec eux, de greenwashing.
JUPDLC : Du point de vue de vos équipes, quels engagements ont été pris pour internaliser cette politique RSE ?
Marion Andro : Toute notre démarche est co-construite avec les équipes. La démarche Itinéraire B Side d’écosocioconception, c’est l’équipe qui l’a conçue. Nous avons aussi des groupes de travail pour chaque grand objectif statutaire (qualité de vie au travail, achats, mécénat…)
Par ailleurs, l’ensemble de l’équipe a suivi l’an dernier une formation de 25h de transition écologique et humaine, proposée par Open Lande avec, au programme, une fresque du climat, une session biodiversité, des talks sur l’inclusion, la lutte contre le greenwashing avec le chercheur Mathieu Jahnich, et les modèles régénératifs. La formation est un préalable à l’action. Il était essentiel que nous partagions ce socle culturel commun.
JUPDLC : Sur votre site internet toujours, vous parlez de renoncement. À quoi faites-vous référence ? Quelles sont les choses auxquelles il faut renoncer pour faire de la communication utile ?
Marion Andro : Pour être alignés avec notre raison d’être, nous devons mettre notre expertise de communication au service de la transformation des entreprises, c’est-à-dire au sein de projets qui font sens. Nos renoncements sont liés à la typologie de projets et d’entreprises à accompagner.
Nous avons un outil qui nous permet d’engager le dialogue pour tout nouveau projet avec le prospect ou client. Ainsi, nous cherchons à mesurer la capacité de transformation du projet, la démarche de l’entreprise, ses prises de parole, ses engagements sociaux et environnementaux, ou encore la capacité à intégrer l’écosocioconception dans la conduite du projet.
Nous décidons ensuite collectivement de nous positionner ou pas. Nous avons renoncé à nous positionner sur une petite dizaine de projets depuis le début de l’année car nous pouvions identifier un risque de greenwashing, un besoin de l’entreprise de mieux structurer une démarche avant de communiquer, ou encore un projet de communication dont nous doutions de l’efficacité ou de la sincérité.
L’idée n’est pas de distribuer des bons ou mauvais points : nous pouvons aussi proposer des alternatives au projet, revoir les étapes. Nous remarquons que cela peut interpeller une entreprise et l’aider à se poser les bonnes questions. C’est un risque financier pour notre entreprise, mais nous l’assumons.
JUPDLC : Au vu du contexte actuel, pourquoi est-il prépondérant d’inciter à la communication responsable ? Quid de la responsabilité des entreprises et des agences traditionnelles ?
Marion Andro : Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de l’urgence environnementale et sociale à laquelle nous devons collectivement faire face, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. Nous savons et mesurons que les entreprises ont un impact, une responsabilité, donc un rôle nécessaire à jouer.
La communication devient un levier stratégique de transformation au sein des entreprises.
Nous, agences, avons une responsabilité énorme. Souhaitons-nous continuer à mettre notre talent créatif au service d’une incitation toujours plus pressante à la consommation, ou souhaitons-nous aider nos clients à se poser des questions et engager les transformations nécessaires ? Pouvons-nous proposer de nouveaux imaginaires enfin compatibles avec les enjeux environnementaux et sociaux ? Pouvons-nous faire autrement ? C’est également une opportunité de nous réinventer tout en gagnant en utilité.
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