Slow communication : comment faire rimer durable et rentable ?

En collaboration avec Audencia Sciencescom
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Après la slow fashion ou la slow food, un autre mouvement gagne du terrain : la slow communication. Et pour cause ! Dans notre société du zapping et son flot constant d’informations comme de distractions, de médias sociaux, d’e-mails ou d’écrans, une alternative est attendue, voire nécessaire. Une option plus consciente, humaine, réfléchie, authentique et transparente. Pour en savoir plus sur la slow communication – cette manière responsable et « minimaliste » de communiquer – nous avons interrogé Thomas Martine, Professeur chez Audencia SciencesCom. Comment appliquer ce parti pris ? Quelles en sont les clés ? On vous répond.

 

Entrevue avec Thomas Martine d’Audencia SciencesCom

JUPDLC : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « slow communication » ? En quoi cette pratique diffère-t-elle de la « communication traditionnelle » ? Pourquoi oser le « slow » aujourd’hui ?

Thomas Martine : La « slow communication » c’est d’abord une réaction épidermique à la « fast communication ». Celle à laquelle nous invitent les réseaux sociaux en imposant des formats courts (Twitter), facilitant la production de contenus (YouTube), voire le « re-packaging » de contenus (TikTok) et en valorisant la mise en scène de soi (Facebook, Instagram, etc.). La fast communication, c’est aussi cette communication qu’on trouve depuis longtemps à la télévision qui s’efforce de tout tourner en spectacle – ou en « clash » – de la politique au plus intime. Bref, la « slow communication » c’est d’abord une réaction contre la tendance à développer un rapport boulimique à la communication : exister en essayant d’en faire toujours plus. Mais c’est aussi comprendre qu’il y a dans cette boulimie quelque chose comme un ensorcellement mortifère, quelque chose qui nous piège et nous rend tristes au final.

La « slow communication » est donc une invitation à briser le sortilège, en apprenant à retrouver de la joie et de l’efficacité, dans une forme de communication plus sobre. Je ne sais pas trop ce que vous entendez par « communication traditionnelle », mais on a tendance à oublier que communiquer n’implique pas nécessairement de recourir à un « média » au sens de technologie permettant la diffusion à un large public.

Pensez par exemple à ce que fait un médiateur, une élue locale, un infirmier ou une enseignante. Une grande partie de leurs interactions se font en petits groupes, en face-à-face. Si leur communication est efficace, c’est précisément parce qu’il n’y a pas d’efforts de spectacularisation pour un public tiers, ou plus large. Ce sont les préoccupations de celles et ceux à qui ils s’adressent qui l’emportent sur le reste. « Bien communiquer », dans ce cas, suppose généralement de s’y prendre à plusieurs fois – et tant pis si cela prend du temps.

 

JUPDLC : Comment sensibilisez-vous vos étudiants à ce sujet au sein d’Audencia SciencesCom ?

Thomas Martine : Dans mes cours, j’essaie de montrer que « bien communiquer » c’est d’abord savoir répondre à ce qu’exige une situation. Et cela, bien sûr, peut prendre des formes très variables. On ne communique pas du tout de la même façon selon que la situation exige de vérifier une information, apaiser une colère, trouver un compromis, détailler un programme ou corriger une injustice. Dans chacun de ces cas, la situation nous impose des cahiers des charges bien différents. La première difficulté est donc toujours de repérer à quelle situation nous avons affaire. Ce qui exige du temps ! Dans le sens où il faut s’y prendre à plusieurs fois avant de savoir à quel cahier des charges il s’agit de se conformer (sans parler des cas où il faut pouvoir tenir compte simultanément de plusieurs logiques).

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Crédit photo : Unsplash / Christina Deravedisian

JUPDLC : Appliquer le « slow » à la communication revient donc à miser sur une bonne communication (authentique et transparente), propre (respectueuse de l’environnement) et juste (responsable). Pourtant, beaucoup opposent ces aspects durables à la rentabilité. Comment concilier business et responsabilité ? En quoi la « slow communication » permet aussi de créer de la valeur ?

Thomas Martine : Opposer sobriété et business me semble être un piège rhétorique un peu grossier. C’est oublier que si le consumérisme a paru si rentable pendant si longtemps, c’est parce qu’on évitait de prendre en compte (de compter littéralement) les dégâts pour lesquels quelqu’un, quelque part, allait un jour devoir payer. C’est un tour de passe-passe comptable, si vous voulez, mais qui ne marche que si l’on continue à croire à la fiction d’un marché qui s’autorégule « naturellement » et qui dispose de ressources, elles aussi « naturelles », infinies.

La période actuelle est justement celle où il devient impossible de croire à cette fiction. Précisément, parce que le système Terre – aussi appelé « zone critique » – se met à réagir à ce que nous lui faisons subir et que l’on sent bien que l’addition risque d’être bigrement salée ! C’est ici d’ailleurs que se situent les fondements les plus profonds du besoin de « slow communication ». Comment se satisfaire de pratiques de communication si diamétralement opposées à ce que requiert la situation actuelle ? Que pèse la vente de quelques t-shirts ou voitures supplémentaires dans cette équation ? J’en reviens à ce que je disais plus haut. Bien communiquer, c’est d’abord savoir entendre ce qu’une situation exige de nous.

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JUPDLC : Comment « faire moins, mais mieux » et ralentir dans une société de l’immédiateté et du snack content ? Comment la « slow communication » s’intègre-t-elle avec les autres tendances du secteur, comme la vidéo ?

Thomas Martine : Je vais faire le « vieux con » à nouveau, mais il me semble que le cinéma a su déployer des trésors de beauté et d’intelligence en misant sur la lenteur. Et ce, avant la mode des punchlines, des cliffhangers, des montages nerveux et autres techniques visant à capter notre attention. Il n’est jamais trop tard pour continuer à s’en inspirer.

 

JUPDLC : Pour finir, pouvez-vous nous donner des exemples concrets de méthodes de « slow communication » ?

Thomas Martine : Je pense à un exemple en particulier. Je participe depuis peu à des « ateliers d’auto-description ». Imaginés par le philosophe Bruno Latour, ces ateliers visent à réapprendre à faire de la politique dans un contexte où la situation écologique exige de développer de nouvelles pratiques politiques. Bien souvent, à la télévision ou sur les réseaux, parler politique consiste à mettre l’une en face de l’autre, deux personnes ayant des opinions irréconciliables et les regarder s’écharper.

Ces ateliers sont conçus pour éviter soigneusement ce genre de situation. Le point de départ consiste non pas à donner son opinion, mais d’abord à décrire sa situation, ce que Bruno Latour appelle son « terrain de vie ». Soit l’ensemble des facteurs qui sont nécessaires pour maintenir les choses qui sont importantes pour soi. Et c’est loin d’être facile, car après plusieurs décennies de mondialisation débridée, les choses sur lesquelles reposent nos modes de vie sont à la fois très proches de nous – une école, un parc, un commerce – et très éloignés – une terre rare, un règlement européen, une multinationale américaine.

L’objectif de ces ateliers est de nous obliger à ralentir, à éprouver collectivement la difficulté de faire ces descriptions, avant d’identifier nos alliés et nos ennemis politiques. Car ces derniers ne sont pas toujours ceux auxquels on croit. L’idée – et l’objectif à long terme – est donc de développer une nouvelle culture politique, une nouvelle façon de communiquer politiquement, et surtout, une culture capable de prendre en compte la diversité des êtres et des relations dont nous dépendons tous.

 

Pour en savoir plus au sujet de l’école et de ses programmes, rendez-vous sur sa page dédiée !

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