Générer des idées, des slogans, des textes, de la musique ou des images, automatiser des campagnes, recueillir des données pour alimenter un brief ou personnaliser le ciblage d’une campagne… Depuis quelques années, l’IA s’est infiltrée dans de nombreuses composantes du secteur de la publicité et du marketing. Pour autant, elle n’est pas utilisée de la même manière dans tous les domaines.
D’un côté, l’IA et la data vont venir soutenir et alimenter des campagnes de marketing digitales au sens large du terme. Ce duo va permettre d’améliorer le parcours de vente et d’anticiper les besoins des consommateurs grâce à des données. Ces deux technologies sont également utiles afin d’automatiser des tâches chronophages comme des reportings ou pour améliorer le service client via des chatbots.
De l’autre côté, l’IA, générative cette fois, s’implémente, elle, dans le processus de création publicitaire. Ainsi, à partir de données, elle va fournir aux créatifs d’une agence de la matière brute. Des pistes de réflexion, des perspectives d’insight ou encore des sources d’inspiration visuelles. Sans ouvrir l’interminable débat du « est-ce que l’IA va remplacer l’humain », il est nécessaire de préciser que malgré toutes ses capacités, cette technologie ne prend pas d’initiative. Ce sont les Directeurs artistiques, les Planneurs stratégiques, les Créatifs et les Concepteurs-rédacteurs qui ont la responsabilité de définir les objectifs d’une campagne et sa réalisation. L’IA nourrit donc le travail créatif, sans le remplacer.
Bien évidemment, l’IA soulève de nombreux débats passionnés sur le respect de l’intégrité et des droits d’auteur, sur la dépendance technologique ou encore sur la vie privée. Quoi qu’il en soit, un cadre juridique clair sera nécessaire afin d’éviter le plus possible de futurs problèmes.
Pour vous permettre de vous faire une idée condensée des possibilités offertes par cette technologie dans le domaine créatif, voici 5 campagnes marquantes décryptées par François Luc Moraud, Directeur et fondateur de Acculturia, Consultant en transformation numérique et Intervenant en IA à l’école SUP’DE COM.
La publicité pionnière (2018)
Annonceur : Lexus / Agence : The&Partnership London
Si l’on devait dater au carbone 14 la première réalisation publicitaire d’envergure basée sur l’IA, c’est sur ce spot TV que nous tomberions. Pour la première fois dans l’industrie créative, c’est une IA qui a entièrement rédigé le script d’une vidéo d’une minute.
Pour mettre en avant sa nouvelle voiture de luxe, la berline ES, Lexus a fait appel à Watson, l’IA développée par le géant IBM. Comme à chaque fois, il a fallu au préalable donner à l’IA des informations à analyser. Ainsi, Watson a analysé près 15 ans de spots publicitaires primés dans l’automobile, mais également des publicités de marques de luxe. Les algorithmes ont alors analysé les images pour catégoriser les objets, les lieux, les actions et les émotions tout en tenant compte de leurs combinaisons.
Malgré cette masse d’informations, il a fallu tout de même éviter un écueil : une production trop banale ou plagiée. Par conséquent, accompagnés par l’agence londonienne The&Partnership, les ingénieurs de Lexus ont également fourni à l’IA des données complémentaires sur l’univers de marque du constructeur, ainsi qu’un cadrage du projet.
Après tout ce brassage, l’IA a proposé de susciter des émotions en humanisant la voiture en la dotant d’une conscience. À partir de là, c’est le réalisateur Kevin Macdonald – connu notamment pour son film Le Dernier Roi d’Écosse – qui s’est chargé de donner vie au travail titanesque de Watson.
L’avis de l’expert
François Luc Moraud : « La campagne Lexus de 2018 a posé les fondations d’une ère nouvelle dans la publicité, où l’IA est devenue un outil essentiel pour la création de contenu, l’analyse de données, et la personnalisation des campagnes. En 2023 et 2024, cette approche a évolué pour devenir plus sophistiquée, avec une intégration plus profonde de l’IA dans les processus créatifs, tout en soulevant de nouvelles questions sur l’éthique et la collaboration homme-machine. »
La campagne tricolore la plus primée (2022)
Annonceur : La Laitière / Agence : Ogilvy Paris
Marque créée il y a plus de 50 ans, La Laitière est bien ancrée dans l’imaginaire collectif pour deux choses. Ses desserts, mais aussi son univers de marque qui s’inspire d’un célèbre tableau de Vermeer. Dans un univers coloré et chaleureux, une femme prépare avec délicatesse et amour une recette sucrée.
En 2022, l’agence Ogilvy Paris décide de faire écho à ce tableau en utilisant l’intelligence artificielle DALL-E. C’est plus particulièrement la fonctionnalité Outpainting qui est exploitée ici par les équipes créatives.
L’agence se sert alors de l’IA pour donner plus d’ampleur à la scène en révélant le décor qui pourrait entourer cette femme. Il en résulte une scène à la fois cocasse et touchante où l’on retrouve une série de personnages suspendus et absorbés par le spectacle de notre héroïne. Ils semblent par ailleurs tous attendre patiemment la fin de cette préparation et espèrent certainement pouvoir la goûter. Une campagne qui s’inscrit avec brio dans le nouveau territoire de la Laitière et sa nouvelle signature, « C’est si bon de prendre le temps ».
En plus d’avoir reçu de nombreuses récompenses, cette publicité tricolore a fait le tour du monde et a été relayée par de nombreux médias. Loin de s’arrêter en si bon chemin, Ogilvy Paris a donc décidé de récidiver fin 2023 en dévoilant cette fois-ci un spot réalisé avec une IA générant une illusion d’optique.
L’avis de l’expert
François Luc Moraud : « L’outpainting répond à la curiosité que tout spectateur a du Hors-Champ, qui est imaginé et révélé ici de façon dynamique et ludique, avec le renfort de la musique classique et le cadre final du tableau élargi pour établir une nouvelle référence. L’Intelligence artificielle est présentée comme un outil qui augmente et révèle ce qui est caché, y compris dans l’imaginaire d’un artiste. La vision initiale et la force de l’image emblématique de la marque La Laitière sont respectées ici et restent centrales. »
De l’importance du prompt ! (2022)
Annonceur : Bescherelle / Agence : Brainsonic
Pour utiliser une IA générative, il faut rédiger un prompt. C’est une requête écrite formulée à l’IA afin de lui donner des indications sur ce que l’on attend d’elle. Plus ce prompt est soigné et précis et plus la réponse de l’IA le sera également. Pour prouver au monde que le développement de l’IA ne signait pas nécessairement l’arrêt de mort des bons vieux Bescherelle, la marque a imaginé avec l’agence Brainsonic une campagne pleine d’humour.
Si une faute d’orthographe peut parfois changer le sens d’une phrase, c’est également le cas lorsqu’on se trompe dans un prompt destiné à une IA générative d’images. Ici, les équipes créatives de Brainsonic ont sciemment formulé à Dall-E et Midjourney des prompts mal orthographiés. Bien dans ses bottes, l’IA délivre alors une image qui correspond à notre demande…
Bien qu’elles exécutent nos ordres sans problème, les IA sont encore incapables de s’affranchir de nos potentielles erreurs de langages. En jouant là-dessus, Brainsonic réalise une campagne à la fois décalée et profonde. En effet, l’air de rien, ces visuels nous poussent aussi à nous interroger sur les limites de ces technologies.
L’avis de l’expert
François Luc Moraud : « Cette courte campagne humoristique de Bescherelle est percutante, et montre la puissance du verbe et de l’orthographe couplée à l’IA. Les IA Génératives ne font jamais de fautes d’orthographe, au contraire des personnes qui les utilisent. C’est un rappel de l’importance de l’orthographe, mais aussi de la richesse du sens des mots dans ce nouveau paradigme qui donne une force inédite à celles et ceux qui maîtriseront les prompts en langage dit naturel NLP c’est-à-dire la « langue normale » parlée par un être humain. Pas d’accès à la puissance de l’IA Générative en effet sans maîtrise du seul langage informatique nécessaire pour y accéder, à savoir la langue écrite, ici le Français. Bescherelle se renouvelle dans la continuité en surfant sur la hype IA générative. On peut aussi échanger avec les IA génératives avec la voix, mais c’est un autre sujet. »
Doritos au secours des misophones (2023)
Annonceur : Doritos / Agence : Sips & Bites
Que celui qui n’a jamais été agacé par les bruits intempestifs produits par la mastication d’un interlocuteur devant son micro nous jette la première pierre. C’est pour répondre à ce problème rencontré par de nombreux gamers que la marque de chips Doritos a développé une intrigante application à base d’IA. Baptisée « Doritos Silent », cette dernière est capable de supprimer les bruits de bouche parasites.
Avec l’aide de Sips & Bites, l’agence interne du groupe PepsiCo, Doritos a fait appel à la société de logiciels Smooth Technology afin de mettre au point un logiciel à installer sur son ordinateur. Ce dernier se charge alors automatiquement de distinguer d’un côté les bruits de mastication et de l’autre les voix. Pour y parvenir, la marque a recruté près de 500 personnes afin de les enregistrer en train de manger des Doritos. Grâce à cette base de 5000 bruits différents, l’IA a alors pu faire la différence entre le bruit à annuler et le reste.
Ce concept insolite est né à la suite d’une étude menée par la marque de chips au Royaume-Uni. Selon cette étude, 86% des gamers britanniques aiment grignoter en jouant. Cependant, 46% ont révélé ne pas supporter ces bruits lorsqu’ils sont émis par les autres. Forcément ! Pire, près de 20% des joueurs ont même avoué que cela leur donner envie de se déconnecter.
L’avis de l’expert
François Luc Moraud : « Près de 80 % des millennials et GenZ jouent aux jeux vidéo. Nous avons donc ici clairement une campagne ciblée gamers. À ce propos, Doritos avait lancé en 2018 une variété de chips moins bruyantes. Un concept qui n’avait pas vraiment fonctionné, les consommateurs recherchant en plus du goût, le côté croustillant. Grâce à l’IA, Doritos a pris ici le problème dans l’autre sens en utilisant la technologie de réduction de bruit active présente sur certains casques. Une campagne décalée et créative qui s’est accompagnée d’une déclinaison visuelle percutante, des personnes se bouchant les oreilles avec des Doritos. Surtout, c’est aussi une utilisation concrète de l’IA pour résoudre un problème finalement courant, la misophonie. Enfin, le côté éphémère de cette réalisation, l’application n’était disponible que pendant un court moment, a participé au buzz et au succès de cette campagne. »
Burger King n’a pas peur de l’IA (2023)
Annonceur : Burger King / Agence : Buzzman
Lors du dernier Halloween, la chaîne de restauration rapide a détourné à son avantage une peur collective irrationnelle. Le grand remplacement des humains par l’IA et par les robots !
Jamais avare d’activations créatives et insolites, Burger King s’est moqué habilement des défauts de jeunesse des IA comme Dall-E, Midjourney, ou encore Stable Diffusion. Bien que puissant, ces générateurs d’image ne sont pas à l’abri d’un résultat défaillant. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de réaliser des portraits d’humains.
Accompagnée par l’agence Buzzman, l’enseigne de restauration rapide a donc formulé une requête simple, comme « homme mangeant dans un Burger King », afin de voir les résultats. Certaines images proposées n’avaient alors rien de naturel, bien au contraire, les portraits étaient même plutôt malaisants. Une belle manière de faire peur, sans utiliser de fantômes, tout en prouvant que personne n’est parfait. Pas même l’IA. Et c’est bien là, le message le plus important à retenir.
L’avis de l’expert
François Luc Moraud : « Le text to video est un usage de l’IA générative où l’on génère quelques secondes de vidéo à partir de prompts. C’est une des tendances les plus prometteuses de 2024. Pour le moment la technologie n’est pas encore au point et génère de nombreuses aberrations, ce que l’agence a su parfaitement utiliser pour la campagne Halloween de Burger King. Depuis cette campagne, de grands progrès ont été réalisés, et on peut penser que d’ici la fin de l’année, on pourra techniquement créer des vidéos de plusieurs minutes, voir beaucoup plus longues à partir de texte, sans que l’IA hallucine. »
Pour en savoir plus sur l’école SUP’DE COM, rendez-vous sur sa page dédiée !