Aujourd’hui, les techniques de management tendent à se réinventer. De plus en plus, l’humain est placé au cœur des stratégies de management. En effet, l’intelligence émotionnelle des managers est une qualité qui semble être primordiale. Alors que l’on avait pour habitude de laisser ses émotions à la porte du bureau, une nouvelle approche du leadership des managers considère qu’il faut exploiter ces émotions comme des vecteurs de cohésion au travail.
Pour en apprendre davantage sur la place des émotions dans le leadership des managers, nous recevons Éric Le Deley, Directeur Académique de l’ISTEC !
Entrevue avec Éric Le Deley, Directeur Académique de l’ISTEC
JUPDLC : On a souvent dit qu’il fallait laisser ses émotions à la porte du bureau, pourquoi revient-on aujourd’hui sur ce stéréotype ?
Éric Le Deley : L’assertion de départ était fausse. L’idée qu’on puisse séparer les hommes de leurs émotions pour en faire des robots qui se consacreraient exclusivement à leurs tâches s’est avérée être une hérésie. Deux mouvements expliquent aujourd’hui le retour en force de l’intelligence émotionnelle :
- L’arrivée des nouvelles technologies : elles ont permis d’abolir les distances et donc une meilleure circulation de l’information, une communication plus efficace et humaine et des relations interpersonnelles renforcées qui favorisent la gestion et l’expression des émotions.
- La pénurie de talents : dans un contexte de guerre des talents, où chaque organisation cherche à recruter les meilleurs profils, être manager nécessite des compétences spécifiques permettant de créer un relationnel solide avec ses collaborateurs, fondé sur une culture commune. La prise en compte des émotions à la fois celles des managers et celles des collaborateurs favorise ainsi la cohésion sociale et la flexibilité de l’entreprise.
JUPDLC : Pourquoi l’intelligence émotionnelle doit-elle faire partie intégrante des techniques managériales ?
Éric Le Deley : À l’ère de l’information, l’objectif de toute organisation est de fluidifier au maximum le passage des données pour que chacun puisse en disposer au bon moment et que les équipes puissent prendre les bonnes décisions. C’est vers cet objectif que tendent les nouvelles technologies. Les freins à cette circulation sont nombreux, mais l’un d’entre eux réside dans les conflits interpersonnels. La prise en compte des émotions et l’intelligence émotionnelle dont font preuve les managers permet, en partie, de lever ces blocages en favorisant l’harmonie au sein des équipes, la cohérence dans l’action et les ambitions partagées.
JUPDLC : Aujourd’hui un bon manager n’est-il pas celui qui sait écouter ses propres émotions et composer avec celles des salariés ?
Éric Le Deley : Tout à fait ! Ce ne sont naturellement pas les seules qualités qu’un manager doit posséder mais effectivement, sa capacité à savoir gérer ses émotions tout en tenant compte des processus émotionnels de ses collaborateurs fait partie des compétences qu’il doit avoir. Une corrélation a d’ailleurs été démontrée entre gestion des émotions et satisfaction au travail : des collaborateurs évoluant dans des environnements de travail qui nécessitent un fort contrôle émotionnel ont une satisfaction au travail et un épanouissement qui est plus bas que pour des salariés évoluant dans un contexte leur permettant d’exprimer leurs émotions.
JUPDLC : Si autrefois l’on « censurait » les émotions au travail, n’était-ce pas pour limiter les risques de discordes au sein de l’entreprise ? N’est-il pas utopique de vouloir faire en sorte que toutes les émotions soient au diapason ?
Éric Le Deley : Au contraire : la volonté de réfréner les émotions à n’importe quel prix revenait à mettre un couvercle sur un volcan en attendant qu’il explose périodiquement avec des dégâts importants à chaque fois. Laisser les émotions s’exprimer librement en entreprise permet au contraire de désamorcer un certain nombre de conflits à condition qu’ils soient bien gérés.
Quant à vouloir mettre toutes les émotions au diapason, il ne s’agit pas de ça : permettre aux émotions de se manifester, les prendre en compte au quotidien, les intégrer au management, ne signifie pas que tout le monde doit ressentir et éprouver les mêmes sentiments au même moment. Il s’agit au contraire d’individualiser la relation de travail avec chaque collaborateur afin qu’il se sente le mieux possible dans l’organisation.
JUPDLC : L’intelligence émotionnelle, qui peut être perçue comme une certaine sensibilité, ne souffre-t-elle pas de préjugés dans le monde du travail ?
Éric Le Deley : Bien au contraire : on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y a pas que le QI qui compte, mais que l’intelligence émotionnelle fait partie des compétences essentielles et recherchées : les capacités à l’empathie, à comprendre l’autre, à négocier et manager, à s’intégrer dans un collectif sont autant de facettes de l’intelligence émotionnelle qui sont devenues des incontournables. Les écoles et universités l’ont bien compris : il suffit de regarder le développement de l’enseignement des soft skills qui prennent une place croissante dans la pédagogie de l’enseignement supérieur.
JUPDLC : Comment développer cette intelligence émotionnelle au travail sans tomber dans les travers du team building exagéré ou des « Happiness Managers » ?
Éric Le Deley : Le Chief Happiness officer est un nouveau métier apparu il y a quelques années à cause de la pénurie des talents : les organisations cherchaient à améliorer les conditions de travail pour retenir les collaborateurs au sein de l’organisation. Néanmoins, des limites sont vite apparues, et des voix se sont élevées notamment pour dire que le but d’une entreprise ou d’une organisation n’était pas d’organiser le bonheur de ses collaborateurs, cette notion étant naturellement très personnelle. En revanche, il y a aujourd’hui un consensus sur le fait que l’entreprise doit favoriser le bien-être de ses collaborateurs. Pour cela il faut un environnement épanouissant qui passe naturellement par le management et donc la prise en compte de l’intelligence émotionnelle.
JUPDLC : Comment former les managers de demain à cette nouvelle intelligence émotionnelle ?
Éric Le Deley : Toutes les écoles de commerce et les universités se sont emparées du sujet et les soft skills prennent une part croissante dans la pédagogie et l’enseignement. A l’ISTEC, ces notions sont abordées dès la 1ère année d’études et tout au long du parcours. Pour les managers qui sont déjà en poste et qui souhaiteraient élargir ou compléter leurs compétences sur le sujet, de nombreuses formations existent, parce que l’intelligence émotionnelle, ce n’est pas seulement être humain, prendre soin de l’autre, savoir écouter, mais c’est aussi des compétences qui nécessitent davantage de technicité : savoir négocier, gérer les conflits, manager, accompagner le changement, gérer la diversité, faire preuve de leadership sont autant de qualités qui nécessitent un accompagnement soit individuel (coaching), soit collectif.
JUPDLC : Quelles qualités un tel poste requiert-il ?
Éric Le Deley : Le manager idéal est paré de toutes les qualités : on voudrait qu’il soit (liste non exhaustive) à la fois empathique, inspirant, motivant, assertif, coach, facilitateur, cultivé, et orienté vers les résultats tout en privilégiant l’humain. Mais derrière chaque manager il y a des hommes et des femmes, qui ont aussi leurs moments de doute, leurs faiblesses et leurs questionnements. Mais à la réflexion, la meilleure qualité dont un manager puisse faire preuve est l’écoute : l’écoute de ses collaborateurs comme l’écoute de sa direction et la compréhension des besoins de chacune des parties prenantes. La devise de la cellule « négociation » du RAID est : « L’écoute est notre arme ». Et c’est effectivement, pour chaque manager, un outil particulièrement efficace !
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