Ce week-end, les portes du Rotterdam Ahoy se sont ouvertes pour accueillir la TwitchCon 2025. Depuis sa première édition, il y a dix ans, cet événement permet à Twitch de rassembler ses communautés et ses créateurs phares dans un espace d’échange, de fête et d’inspiration. C’est aussi l’occasion pour la plateforme de dévoiler ses dernières innovations techniques — parmi lesquelles, cette année : le stream vertical sur mobile, la diffusion en 2K, ou encore des outils de monétisation plus accessibles pour les streamers.
Au-delà de ces nouveautés, Twitch confirme sa volonté de consolider ce qui est au cœur de son ADN : le lien entre créateurs et communautés. Une dynamique qui attire un nombre croissant de marques, désireuses de s’associer à cette relation d’engagement. Car sur Twitch tout passe par l’interaction, la co-création, la proximité. Ce qui soulève plusieurs questions : quels formats fonctionnent réellement sur Twitch ? Quelles sont les attentes des communautés ? Et comment une marque peut-elle s’intégrer sans dénaturer l’expérience ?
Pour y répondre, nous avons tendu le micro à deux figures de cet écosystème : Annabel Dewar, directrice du Brand Partnership Studio Europe chez Twitch, qui orchestre les campagnes créatives entre marques et streamers, et @soupforeloise, streameuse britannique, qui conçoit des activations pensées pour et avec sa communauté.
Interview avec Annabel Dewar – Twitch Brand Partnership Studio Europe
JUPDLC : Pouvez-vous nous présenter le Brand Partnership Studio, votre rôle au sein de ce dernier, ainsi que la manière dont vous collaborez avec les marques ?
Annabel Dewar : Le Brand Partnership Studio est un studio créatif intégré chez Twitch Ads. Il rassemble plusieurs expertises : producteurs, stratèges créatifs, talent managers, chefs de projet… C’est une équipe pluridisciplinaire. Notre mission, c’est de connecter les marques aux talents sur Twitch, en produisant du contenu de marque sponsorisé : jeux interactifs, démonstrations produits… On fait le lien entre une marque qui veut parler à l’audience Twitch, et un créateur qui peut porter ce message.
Pour ma part, je suis responsable du BPS pour l’Europe. Mon équipe couvre cinq marchés clés : Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne et Italie. Je supervise l’équipe, mais honnêtement, ils produisent énormément de contenus en live… Je fais surtout en sorte de ne pas freiner ces personnes très talentueuses.
JUPDLC : Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples de campagnes emblématiques du BPS ?
Annabel Dewar : C’est difficile de choisir, mais l’une de mes préférées est une campagne Nike Jordan à Paris l’an dernier, autour des JOP de Paris. C’était une sorte d’anti-campagne olympique, organisée dans le 18e arrondissement transformé pour l’occasion en « District 23 ». Nike a investi le lieu pendant cinq semaines avec des ateliers crochet, art, photo, et un tournoi de street basket. Notre défi : faire vivre cette expérience physique sur Twitch. On a donc collaboré avec plusieurs streamers français, américains, britanniques, qui ont streamé en direct. Tout cela a culminé avec The One Finals, un stream de sept heures combinant sport et divertissement. L’artiste américaine Tinashe y a notamment fait une performance. Je pense que c’est l’activation de marque la plus réussie que nous ayons jamais organisée sur Twitch : tout ce que vous pouvez imaginer, tout ce qui fait un bon contenu de marque sur la plateforme, s’est retrouvé dans cette campagne.

« Twitch reste profondément ancré dans le gaming, mais on observe une vraie diversification. »
J’ai en tête un autre exemple qui date de l’année dernière, lorsque nous avons mené une campagne pour la Junte d’Andalousie… dans Minecraft. C’est particulièrement intéressant car on n’imagine pas spontanément une marque institutionnelle ou touristique investir Twitch. On les associe plutôt à des formats traditionnels comme la télévision ou l’affichage. C’était un mélange aussi improbable que réussi : un office de tourisme et l’un des jeux les plus populaires au monde. Nous avons recréé, brique par brique, plusieurs sites touristiques andalous emblématiques avec un niveau de détail impressionnant. La visite virtuelle était guidée par Crush, une petite mascotte en forme de lynx, accompagnée de cinq streamers. La campagne s’inscrivait dans une opération plus large, avec à la clé un voyage réel à gagner en Andalousie. Résultat : plus de 11 millions de minutes vues. C’était un projet aussi fun qu’artistique.

JUPDLC : Quelles sont les grandes tendances du live aujourd’hui, et comment les marques y réagissent ?
Annabel Dewar : Twitch reste profondément ancré dans le gaming — on détient 60 % de la part du live gaming mondial — mais on observe une vraie diversification. L’exemple du programme Twitch DJ est parlant : des artistes comme Lizzo ou Fred Again streament leurs sets en direct, interagissent avec le chat, prennent des demandes en live…
On voit aussi l’essor de formats sportifs alternatifs comme la Kings League, la Baller League ou encore l’Icon League, qui représentent une nouvelle manière de consommer du contenu sportif, très interactifs et nativement pensés pour Twitch.
Twitch devient une plateforme de culture live, au-delà du jeu vidéo. C’est, je pense, la chose la plus importante que j’observe. Et les marques, évidemment, veulent en faire partie, parce que c’est un lieu où il est intéressant (et amusant) de se retrouver.
JUPDLC : Justement, est-ce que de plus en plus de marques non-endémiques s’intéressent à Twitch ?
Annabel Dewar : Oui, clairement. Avant, Twitch attirait surtout des marques proches du gaming, avec des expériences autour de Fortnite ou de licences connues. Mais j’observe un nombre croissant de marques qui réalisent que Twitch peut être plus que cela, qu’il peut être vu comme un espace de narration de marque.
Nos streams sponsorisés durent souvent deux heures, et la moyenne d’un utilisateur Twitch européen est de trois heures de visionnage par jour. C’est énorme comparé aux formats courts sur les réseaux sociaux. Cette durée permet une connexion authentique avec le produit : un streamer peut le tester, répondre aux questions du chat en direct, créer une vraie interaction. Les marques y trouvent un engagement très fort.
« Il s’agit de trouver le créateur qui convient à une marque, qui va incarner ses valeurs et être capable de parler du produit de manière authentique. »
JUPDLC : Quels formats fonctionnent le mieux sur Twitch ? Et comment aidez-vous les marques à trouver la bonne tonalité, la bonne approche ?
Annabel Dewar : Il y a bien sûr les formats classiques (vidéos, display, bannières), mais ce qu’on préfère, ce sont les partenariats créatifs sur-mesure. Et il y a tellement de créateurs extraordinaires sur Twitch. Je le dis toujours, mais si vous vous intéressez à quelque chose et que vous aimez quelque chose, il y a quelqu’un qui le fait sur Twitch, qu’il s’agisse d’art, de pêche ou de cuisine.
Je pense donc que pour nous, il s’agit de trouver le créateur qui convient à une marque, qui va incarner ses valeurs et être capable de parler du produit de manière authentique. Aussi, nous essayons de concevoir des formats interactifs, qui encouragent vraiment le chat Twitch à participer au stream, à parler du produit, à s’engager et à avoir un va-et-vient. Et c’est là que nous voyons le plus de succès dans une campagne : lorsque les communautés peuvent avoir une conversation avec une marque.
JUPDLC : Et côté performance ? Quels KPIs sont pertinents ?
Annabel Dewar : Ce qui est intéressant avec Twitch, c’est que le chat permet une conversation en direct. Cela nous donne accès à des indicateurs qualitatifs, comme l’analyse du sentiment, les moments où le chat réagit le plus, ou encore le type de langage utilisé quand les spectateurs parlent du produit ou interagissent avec le streamer à son sujet.
Nous avons aussi quelques produits plus orientés conversion. Par exemple, nous avons développé une extension shopping qui permet d’intégrer directement dans le stream un carrousel cliquable avec les produits présentés. Les spectateurs peuvent faire défiler les articles et cliquer pour accéder à la page produit. Et dans certaines campagnes, ça fonctionne très bien. Cela dit, je ne positionne jamais un live sponsorisé sur Twitch comme un pur outil de conversion. Pour moi, il s’agit plutôt d’un format « mid-funnel », très engageant, centré sur l’USP du produit, qui permet d’en parler en profondeur. Pas forcément de créer une intention d’achat immédiate, mais une forte phase d’attention autour du produit, à un moment clé du parcours.

Tout dépend bien sûr du produit et de son positionnement. On peut prendre l’exemple de Pot Noodle (une marque de nouilles instantanée populaire au Royaume-Uni). Nous avons imaginé une campagne avec cinq streamers et un “Slurper Meter” (une forme de baromètre mesurant l’intensité du bruit – « slurp » – que faisait un streamer en mangeant ses nouilles). C’était à la fois drôle et engageant. Ce qui est remarquable, c’est que les visiteurs redirigés depuis Twitch vers la page produit Amazon ont passé 60 % plus de temps dessus que ceux venus d’autres sources.
« Quand une marque accepte de prendre cette liberté, le potentiel est énorme. On sent un vrai enthousiasme chez nos clients pour imaginer ce genre d’idées folles, interactives, engageantes. Et c’est exactement ce qu’on adore faire. »
JUPDLC : Et si on se projette : quel avenir pour les partenariats marque x Twitch ?
Annabel Dewar : On espère encore plus de campagnes ambitieuses et créatives. Les marques nous sollicitent de plus en plus avec des idées fun, expérimentales. Et c’est ça Twitch : un terrain de jeu interactif, où l’on peut créer des expériences IRL, des lives événementiels, des formats hybrides… Et surtout, jouer avec le public. Quand une marque accepte de prendre cette liberté, le potentiel est énorme. On sent un vrai enthousiasme chez nos clients pour imaginer ce genre d’idées folles, interactives, engageantes. Et c’est exactement ce qu’on adore faire.
Interview avec @soupforeloise (Eloise Johnson) – Créatrice de contenus Twitch

JUPDLC : Peux-tu te présenter et nous parler des marques avec lesquelles tu as collaboré sur Twitch, et de ton rôle dans ces projets ?
Eloise Johnson : Je suis Eloise, ou @soupforeloise sur Twitch. Je streame principalement du Minecraft, un peu de jeux en tout genre, et aussi du IRL (In Real Life), comme on dit. J’ai eu la chance de collaborer avec plusieurs marques sur Twitch. Récemment, j’ai travaillé avec un hébergeur Minecraft, mais aussi avec Squarespace, Pot Noodle ou WhatsApp. Pour WhatsApp par exemple, j’ai fait un stream pour présenter à ma communauté leurs nouvelles fonctionnalités de confidentialité. On a intégré ça dans un mini-jeu interactif : je quittais l’écran pendant cinq minutes, et le chat pouvait contrôler le jeu.
Chaque étape mettait en avant une fonction de sécurité que le chat débloquait, puis je revenais pour en discuter avec eux. C’était super fun et ça a bien marché. C’est tout l’enjeu : livrer le message de la marque de manière créative, adaptée à mon audience.
JUPDLC : Y a-t-il une campagne dont tu es particulièrement fière ?
Eloise Johnson : Oui, je dirais celle avec Squarespace. L’idée était de créer un site web en direct pendant le stream, ce que j’avais très envie de faire de toute façon. J’ai construit un site pour Soup for Eloise, avec l’aide du chat. Ils choisissaient les couleurs via des sondages, j’ai ajouté une galerie de projets de la communauté, et ils ont même voté pour créer une page dédiée à mon copain… Ce qui l’a beaucoup fait rire ! C’était un projet personnel, collaboratif, et très bien reçu.
« Je cherche à éviter l’effet lecture de pub. L’idée, c’est que le moment soit fun, intégré naturellement, que ça ne donne pas l’impression d’un contenu imposé. »
JUPDLC : Comment construis-tu le concept créatif d’un stream sponsorisé ?
Eloise Johnson : Ça dépend vraiment de ce que la marque apporte au départ. Certaines arrivent avec un brief très clair, elles savent exactement ce qu’elles veulent. Et dans ce cas, je me dis : ok, pas de souci, c’est précis — parfait. Mon travail, à ce moment-là, c’est de réfléchir à comment formuler le message de façon à ce que ma communauté le reçoive bien. Je cherche à éviter l’effet lecture de pub. L’idée, c’est que le moment soit fun, intégré naturellement, que ça ne donne pas l’impression d’un contenu imposé. Au contraire, je veux que le chat entre dans le jeu, que ce soit participatif et agréable à suivre.
Quand j’ai plus de liberté créative, je me demande : quel est le contenu du jour, et comment y intégrer la marque ? Par exemple, si c’est une marque food et qu’on me laisse carte blanche, je peux imaginer un stream pâtisserie et intégrer le produit à la recette ou à la mise en scène. Il y a toujours moyen d’être créatif, que ce soit dans le ton, dans le format, ou en restructurant entièrement le stream autour de la marque. Tout dépend du degré de liberté qu’on me laisse.
JUPDLC : Et ta communauté, justement, comment influence-t-elle ta manière d’aborder les contenus de marque ?
Eloise Johnson : Je fais très attention à ce que je leur propose. Je veille à ne travailler qu’avec des marques avec lesquelles je me sens alignée, autant pour leurs valeurs que pour leur pertinence vis-à-vis de mon public. Je prends en compte leur tranche d’âge, mais aussi ce qui leur parle, ce qui les amuse. Avec le temps, j’ai appris à savoir ce qui va les faire réagir positivement. Je veux qu’ils écoutent et qu’ils s’engagent, pas qu’ils se sentent spectateurs d’un spot publicitaire. Donc j’adapte en fonction.
JUPDLC : Un conseil pour une marque qui voudrait collaborer avec une créatrice comme toi ?
Eloise Johnson : Le plus important, c’est d’arriver avec une idée claire. Des objectifs bien définis, c’est utile autant pour nous que pour vous. Ça nous permet d’être sûrs d’aller dans la bonne direction, avec confiance des deux côtés. Mais « clair » ne veut pas dire « rigide » : il faut aussi faire confiance au créateur pour adapter le message à sa communauté.
Sur Twitch, on a une relation authentique et directe avec notre audience. C’est un média unique pour une marque. Il faut connaître les outils du live : emotes, sondages, interactions avec le chat… et surtout, il faut jouer le jeu. On peut faire des choses très originales et impactantes ensemble.