Havas, Publicis, Les Causantes, Omnicom, Babel, Ogilvy, We Are Social, Brainsonic, BETC, Marcel, Buzzman… Autant d’agences qui se concentrent à Paris et qui contribuent à faire de la capitale, le centre névralgique de l’industrie publicitaire en France. Du moins, telle est l’image qui persiste depuis des décennies et qui séduit un bon nombre d’étudiants qui cherchent à y faire carrière, ou de professionnels de la communication qui souhaitent se challenger. La ville de Paris est donc considérée par beaucoup comme un « passage obligé ». Toutefois, l’avènement du digital, la montée en puissance d’autres villes et la crise sanitaire semblent redistribuer les cartes. La perception traditionnelle de la « Ville lumière » en tant que hub de l’industrie publicitaire fait débat. Paris est-il toujours LE tremplin pour lancer ou poursuivre sa carrière en agence ? Avec Frédéric Le Gall, Fondateur de l’agence LORD et Intervenant au sein d’Excelia Digital School (sur la thématique de l’image de marque) ; nous avons tenté de répondre à cette épineuse question. Et ce, en interrogeant plusieurs professionnels du secteur, à l’image de Christophe Sousa (Dooweet), Alexia Henry (Vanksen), Jean-Philippe Barray (.becoming) et Julien Simons (Marcel). Cap sur cette interview en regards croisés !
Entrevue avec Frédéric Le Gall (agence LORD et Intervenant au sein d’Excelia Digital School)
JUPDLC : Dans quelle mesure la localisation d’une agence a-t-elle son importance ?
Frédéric Le Gall : Il existe de très bonnes agences de branding et de communication sur tout le territoire. Le sujet de la localisation est – de manière pragmatique – lié à la présence de vos prospects/clients et des ressources humaines. Typiquement, LORD est une agence leader dans le branding des startups dont l’écosystème est très présent à Paris, beaucoup plus que dans les autres régions. Même si des villes comme Nantes, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, Montpellier etc. sont des villes dynamiques en termes d’entrepreneuriat. Nous ouvrons un bureau à New York pour la même raison…
JUPDLC : Même avec la digitalisation massive ?
Frédéric Le Gall : On peut vivre et travailler en province et diriger une agence qui a son siège à Paris. C’est mon cas ! Pour autant l’agence à Paris est essentielle car elle réunit l’équipe 3 jours par semaine et est au plus près de ses clients…
JUPDLC : De façon globale, quels conseils donnez-vous aux étudiants en communication et design d’Excelia Digital School, lorsqu’ils vous disent qu’ils souhaitent faire carrière en agence ?
Frédéric Le Gall : Quand on dirige une agence de branding, il faut pouvoir construire une agence avec de vrais créatifs ! On ne devient pas un DA, un DC ou un planneur stratégique en sortant de l’école… Il faut absolument voyager, se frotter au monde de la création, en Europe, en Asie, etc. Chez LORD, les DA sont passés par une expérience à l’étranger (notamment à Londres et Singapour). Je conseillerai donc aux étudiants de partir loin, d’apprendre, d’échanger…
Pour cette interview en regards croisés, nous avons commencé par interroger Christophe Sousa, Fondateur et CEO de Dooweet, sur le sujet.
Le témoignage de Christophe Sousa (agence Dooweet)
JUPDLC : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre agence ? Quelles sont vos expertises et qui sont vos clients ?
Christophe Sousa : Dooweet est un ensemble de services d’attachés de presse, relations presse et marketing dans la musique ; proposés aux musiciens puis étendus à l’ensemble des acteurs culturels, soucieux de se démarquer.
JUPDLC : En 2018, vous déménagez votre siège social à Montpellier. Pourquoi ? Aujourd’hui, avec le recul, trouvez-vous ce pari réussi ?
Christophe Sousa : C’était à la base un choix de vie personnelle. Je venais de me marier et je souhaitais changer de lieu de vie. Une fois arrivés à Montpellier, nous avons décidé d’y ouvrir d’abord une seconde agence, puis nous avons décidé comme une évidence de fermer Paris. L’agence était bien plus coûteuse en frais fixes que celle de Montpellier. Elle n’apportait pas de plus value. Le pari a été gagnant, nous sommes passés de 280K€ de CA en 2018, 470K€ en 2019, une année COVID à 530K€ en 2020 et pour finir près de 750K en 2021. Nous étions dès 2018 habitués au télétravail, aux visioconférences : ça n’a été ni une révolution de notre quotidien, ni problématique à l’agence.
JUPDLC : Vous aviez déclaré à ce sujet : « il est évident que le modèle d’ultra-centralisation à Paris des agences de promotion dans la musique est dépassé ». Pouvez-vous revenir sur cette affirmation ?
Christophe Sousa : Je pense que cette affirmation se confirme d’autant plus de nos jours avec le numérique de plus en plus présent. Frédéric Raillard (de l’agence Fred&Farid) le disait déjà en 2016 ou 2017 dans une interview, il faut absolument des « structures plus modernes, légères et adaptées au monde du numérique » (sic). Ce qui, selon mon interprétation, n’est plus possible à Paris en 2023. Nos clients ne veulent pas payer des prestations 30 à 40% plus chères simplement pour couvrir des frais fixes plus élevés, mais qui n’ont aucun impact sur la qualité de nos prestations. Les agences qui ont évolué sur un modèle qu’elles n’ont pas su faire évoluer disparaîtront en même temps que leurs clients. Je suis absolument fan du travail de FF Paris et je pense qu’ils ont toujours eu un coup d’avance sur leurs concurrents.
JUPDLC : La forte concentration des agences à Paris est un modèle désuet, selon Christophe Sousa. Pouvez-vous nous donner votre avis Frédéric ? Cette situation est-elle une aubaine pour les futurs professionnels ou un « Far West » ?
Frédéric Le Gall : Ce qui est désuet, c’est la centralisation et « l’ancien monde » des agences traditionnelles… La réalité est tout simplement que pour recruter des bons designers, copywriters ou autres, il faut être là où ils vivent. Lorsque nous lançons un recrutement, nous recevons 200 CV en 48h. 90% vivent en Île-de-France, parce que nous vivons dans un pays centralisé. Ces profils s’ennuient dans des big agency où la créativité n’est plus le sujet…
Mais je suis d’accord avec le fait que tout cela évolue avec l’avènement du télétravail. Chez LORD, nous travaillons 2 jours par semaine en remote ! Notre CTO habite outre-Atlantique, j’habite La Rochelle, une de nos illustratrices a fait le tour du monde pendant un an en bossant, une de nos copywriters UK habite à la Réunion… Et oui, comme le dit Frédéric Raillard, « être une structure moderne, légère et adaptée est la clé ». Pour y parvenir, je pense qu’il faut un siège social dans une grande ville (et pas forcément Paris), une souplesse dans le travail, une capacité à s’organiser et surtout être créatif.
JUPDLC : Faut-il, malgré tout, faire ses armes à Paris quand on débute, Christophe ?
Christophe Sousa : Il est difficile pour moi de répondre car je suis né à Paris, j’ai grandi à Paris et j’y ai vécu jusqu’en 2018. Du coup, forcément, ça m’a forgé, je n’ai pas eu l’idée de développer notre agence en vivant à Montpellier. Après, je connais énormément d’attachés de presse qui ne sont pas originaires et qui ne vivent pas à Paris, mais à Marseille, Lyon ou toute autre ville.
JUPDLC : Avez-vous un conseil à donner aux jeunes qui souhaitent faire carrière en agence ?
Christophe Sousa : Soyez force de proposition ! Démarquez-vous par vos idées, essayez d’apporter vos connaissances, vos compétences et démontrez votre originalité et votre fiabilité par un travail quotidien.
Une interview complétée par celle d’Alexia Henry, qui a travaillé pendant 5 ans au sein d’une agence digitale au Luxembourg, Vanksen.
L’avis d’Alexia Henry (agence Vanksen)
JUPDLC : Après des études et des expériences professionnelles à Nancy, vous partez faire carrière au Luxembourg (2017). Pourquoi choisir cette ville en particulier ? Qu’est-ce qui vous a attiré/plu ?
Alexia Henry : En toute honnêteté, j’ai choisi le Luxembourg car je connaissais déjà Vanksen via mon école (ICN) et les anciens qui y travaillaient. Cette agence étant assez importante et connue, le choix fut plutôt évident. J’ai pu apprendre à apprécier le Luxembourg en y habitant, et depuis j’y suis restée. Si on n’a pas forcément envie de la vie parisienne, c’est un super compromis.
JUPDLC : Certains pensent qu’avoir le mot « Paris » sur leur CV est un atout non négligeable pour de potentiels recrutements. Le fait de ne pas être passée par cette « case » vous a-t-il fait défaut lors de vos recherches ?
Alexia Henry : J’ai personnellement l’impression que les agences parisiennes ont moins la cote qu’avant. Je connais d’autres agences « à taille humaine » dans d’autres villes comme Lyon qui sont aussi très bien réputées. Bien que beaucoup de recruteurs accordent de l’importance aux précédentes expériences et notamment dans des agences parisiennes – car c’est là, que se regroupent les agences les plus « connues » – je pense que c’est surtout l’expérience qui parle, les projets sur lesquels on a pu travailler, les résultats obtenus…
JUPDLC : Êtes-vous du même avis, Frédéric ? Quel est le poids du mot « Paris » sur un CV ? Que regardez-vous en premier ? Que conseillez-vous aux étudiants en communication et design d’Excelia Digital School pour se mettre en avant ?
Frédéric Le Gall : Ce n’est pas la ville qui fait le métier ! Du moins dans notre agence. Ce qui est important c’est la créativité, la capacité de construire des marques fortes, de travailler en équipe, d’écouter son client (mais pas tout le temps). Il faut se créer un book avec du caractère, de l’ambition et du talent. Et pour cela je conseillerai toujours aux étudiants de voyager…
JUPDLC : Pouvez-vous nous parler de vos cinq années au sein de l’agence Vanksen, Alexia ?
Alexia Henry : J’ai eu l’opportunité d’entrer chez Vanksen en stage au sein de l’équipe Social Media de l’agence. Stage que j’ai pu convertir en CDI, en tant que Social Media Expert. Au bout de deux ans, on m’a accordé le management de l’équipe (10 personnes à l’époque) aux côtés du Directeur du pôle. Je dirais que la vraie force de l’agence, d’un point de vue professionnel, c’est la dimension internationale des projets, avec des clients basés dans plusieurs pays à travers le monde : d’Europe (Benelux, France, Suisse, Allemagne..) mais aussi monde (USA, Moyen Orient). Tout cela couplé à de belles marques renommées, cela apprend énormément. Chaque marque à son univers, chaque entreprise sa manière de fonctionner. Pour un grand nombre de clients nous avions des prestations en always-on toute l’année ce qui permettait d’avoir une vision long terme et de suivre leur évolution au fil du temps. Tous ces points sans parler bien évidemment des avantages du travail en agence : ambiance bon enfant, échanges de savoirs et d’idées entre différentes expertises, et le côté très formateur qui est idéal pour démarrer sa carrière.
JUPDLC : Avez-vous constaté des différences entre la France et le Luxembourg dans la manière de travailler ? (management, hiérarchie, relation client, horaires…)
Alexia Henry : Pour avoir échangé avec certaines connaissances qui ont pu travailler dans des agences parisiennes, il me semble que le rythme de travail est légèrement moins soutenu ici. Mais peut-être que cela est dû aux types de prestations vendues (les prestations court terme ou one-shot étant de fait plus challengeantes). Les horaires sont aussi différents : en agence au Luxembourg on démarre généralement tôt (entre 8h30 et 9h30), tandis qu’à Paris il me semble que les personnes commencent plus tard. Pour le reste je ne saurais pas dire, n’ayant pas travaillé en France.
JUPDLC : Quels conseils pouvez-vous transmettre aux jeunes étudiants qui souhaitent se lancer dans le monde des agences ?
Alexia Henry : De foncer ! L’agence est un milieu exigeant en termes de rythme de travail, car il demande beaucoup d’agilité et d’organisation. Il reste très formateur ! Je ne regretterai jamais mon passage en agence car j’y ai fait de superbes rencontres et j’ai pu travailler pour des clients passionnants. Si on aime la diversité et le travail en équipe c’est parfait pour démarrer la vie active, et cette expérience ouvre de grandes portes par la suite !
Jean-Philippe Barray, Concepteur-rédacteur senior pour .becoming à Lille, s’est également prêté au jeu.
Les conseils de Jean-Philippe Barray (agence .becoming)
JUPDLC : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
Jean-Philippe Barray : Bien sûr. Tout a commencé en 2010. Après 2 ans de formation à Sup de Création à Lille, je prends mes clics et mes clacs direction Paris pour bosser en agence de pub en binôme avec Guillaume Rauturier. On est deux jeunes créatifs ultra-motivés. On travaille d’abord en stage à la JWT Paris avec Alban Penicaut comme directeur de création.
Avec Guillaume, on forme un duo de bons provinciaux (je n’aime pas du tout cette expression btw). On ne connaît pas grand-chose au monde de la pub, encore moins les codes parisiens. Puis, on comprend qu’on est un peu en décalage mais on s’investit à fond et on a la chance d’apprendre énormément sur le métier de créatifs.
On travaille ensuite chez Fullsix (aujourd’hui BETC Fullsix) pendant 6 ans. Notre binôme prend fin lorsque Guillaume souhaite tenter l’aventure du Canada. À ce moment-là, je prends une décision. J’arrête la direction artistique pour me concentrer sur ce que je préfère faire : trouver des idées.
Je décide de me mettre à mon compte pour travailler comme CR en free. Je dois dire que j’ai été pas mal aidé par Alban qui m’a branché avec Brainsonic, une belle agence digitale et social media. En parallèle, je fais également énormément de rencontres avec pleins d’agences de pub, Identité, Event, digitale.. Et je développe mon activité. Les missions s’enchaînent et c’est cool ! Je rencontre également plein de créatifs de talent. En parallèle je commence à donner des cours dans des écoles. Un gros kiff que je continue d’entretenir aujourd’hui !
JUPDLC : Depuis 2021, vous travaillez à Lille au sein de .becoming, en tant que Concepteur-Rédacteur senior. Pourquoi avoir quitté Paris ? Quel a été le déclic ?
Jean-Philippe Barray : Le déclic… Il y a eu un gros déclic lors de la crise du Covid. Je me suis retrouvé enfermé chez moi dans mon 22m2 de Levallois-Perret pendant 1 an. Nous n’avons pas tous vécu le confinement de la même façon. Pour les indépendants, se retrouver seul face à son ordi, dans la panique la plus totale, avec un monde du travail sous cloche totalement désemparé par la situation, ça a chamboulé beaucoup de créatifs.
D’ailleurs à la base, je n’étais pas vraiment calibré pour m’épanouir à Paris. Complexe d’infériorité, pas trop de réseau à mes débuts, crédit étudiant à rembourser… J’étais parti pour, disons 4 ans d’aventure dans la capitale.
Et bien après 11 ans et 3 confinements, j’ai clairement eu besoin de partir. Mon vrai déclic, ça a été la solitude totale que j’ai ressentie à cette période. Je ne vais pas vous mentir, j’ai fini chez le psy. Au passage, 51% des parisiens vivent seuls. 66% des Français déclarent se sentir seuls. Je suis dans les lignes de ces stats.
C’est à ce moment-là que j’ai envisagé un retour à Lille. Parce que j’ai des super amis dans le Nord qui me manquent. Parce que Lille, c’est 3 degrés de moins que la Capitale, mais 10 degrés de plus en chaleur humaine. Et enfin, parce que le télétravail se démocratise et que je me dis que l’adresse ne compte plus.
Donc en juin 2021, je rends mon appart, je déménage à Lille et je commence à travailler en free avec .becoming. Gros coup de cœur pour l’agence et les collaborateurs, les créatifs que je croise. On me propose de rejoindre l’aventure en CDI. J’y saute les deux pieds dedans. Un nouveau départ.
JUPDLC : Dans quelle mesure Paris a-t-il changé « de visage » depuis le Covid-19, Frédéric ?
Frédéric Le Gall : Les Parisiens quittent majoritairement la capitale pour s’installer en banlieue ou dans d’autres grandes villes. Le plus souvent pour la qualité de vie, des apparts moins chers… Et comme nous sommes déjà organisés en mode remote, cela n’a pas eu beaucoup d’effet sur l’agence. Certains de nos salariés se sont installés ailleurs avec le plus grand bonheur. À une seule condition : 3 jours à Paris par semaine. Ce qui a changé c’est surtout le rapport avec nos clients ! Nous faisons beaucoup plus de briefs en visio et nous signons des deals sans forcément les voir…
JUPDLC : Travaillez-vous aujourd’hui avec le même type de client qu’auparavant, Jean-Philippe ? Vos missions et responsabilités ont-elles changé ?
Jean-Philippe Barray : .becoming à la particularité d’avoir son siège à Lille et des bureaux à Paris et à Bruxelles. L’entreprise cumule 4 expertises : Entrepreneurship, Tech, Innovation et Communication. Le champ des possibles est gigantesque. Le modèle de l’agence me plaît beaucoup. Il est très innovant et promet de belles perspectives en termes de création.
À la différence de Paris et des clients qu’on voit de loin, je me retrouve davantage impliqué dans les réunions, les prises de décision, et à la participation Vision de .becoming. Les responsabilités, elles, viennent aussi plus naturellement.
Avec notre nouveau directeur de la création, Alexandre Drouillard, les équipes créatives ont pour consigne de garder la même exigence dans les idées, que ce soit pour un “petit client” lillois qu’un gros appel d’offres à la parisienne. Le challenge est là. Insuffler la culture de l’idée sur tous les sujets. Et les briefs ne manquent pas !
J’ai dû pour ma part réapprendre à bien collaborer au sein d’un groupe, à me réajuster et me remettre en question. Mais je me sens bien entouré (coucou Nicolas, Morgan, Justine, Nathalie,Gonzague, Guillaume… Et tous les camarades de l’agence !).
JUPDLC : Que pensez-vous de votre nouvelle ville ?
Jean-Philippe Barray : Lille, c’est la capitale des Flandres. Encore une capitale… J’adore cette ville. Déjà parce qu’elle a de la gueule. Je suis un amoureux des briques rouges. Parce qu’elle est chaleureuse. Car tu peux facilement parler avec les gens, à cœur ouvert, sans te sentir jugé. Parce qu’entre les quartiers du vieux-Lille, les bars de Wazemmes, les petites salles de concert, les soirées sur un coup de tête sans devoir planifier 1h de métro, tout est plus facile.
D’un point de vue créatif, la ville fait du bien aux idées. C’est jeune, ça bouge, c’est avant-gardiste même.
Lille a toujours été une ville fantasmée. Parfois victime de ses clichés (c’est le nord), de son histoire (déclin économique de la région suite à la désindustrialisation qui a fait du mal au secteur textile, notamment.), de son côté « ville étudiante, mais pas ville à carrière ». Eh bien je trouve que la ville a sacrément changé. Elle est en pleine dynamique. Elle est loin d’être parfaite bien sûr, mais je l’aime comme elle est.
JUPDLC : Certains présentent Paris comme un passage non plus « obligatoire », mais plutôt « temporaire » pour faire carrière en agence. On va à la capitale pour faire ses « premières armes », pour en faire un tremplin. Qu’en dites-vous ?
Jean-Philippe Barray : Pour un créatif, Paris te donne énormément de clés et de contacts.
- Côté pile :
En début de carrière, tu as des agences qui te font rêver, des beaux budgets, des idées plein la tête. Tu te crées un réseau, tu apprends des meilleurs, tu gagnes des compétitions, des prix pour les plus chanceux, tu ne comptes pas tes heures. Et bien sûr, c’est Paris : tu t’enrichis créativement au moindre coin de rue. Expos, concerts, Gaîté Lyrique, lieux alternatifs, personnalités passionnantes… Clairement, tu apprends.
- Côté face :
Ton pouvoir d’achat est ridicule, tu te sens paumé, tu te cherches en te perdant dans les rues, la pression est forte, la concurrence solide, on te met la pression dès le premier jour. Il faut pouvoir encaisser tout ça. C’est épuisant.
Est-ce que c’est un tremplin ? Oui, clairement, c’est un tremplin énorme ! Si tu as la chance de collaborer avec les bonnes personnes au bon moment dans la bonne agence, tu peux décoller très très fort. Les plus ambitieux y trouveront leur compte et sauront faire leur chemin.
Est-ce que c’est une finalité ? Pas du tout, et encore moins aujourd’hui. À l’heure de la décentralisation, du télétravail et du recentrage sur soi ; le milieu de la création se découvre des envies d’ailleurs. Des villes comme Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Nantes, Reims ont la cote en ce moment. Je connais des créatifs qui vivent à la campagne et font quelques allers-retours à Paris ou Lille, mais ne s’obligent plus à vivre absolument dans les grands centres urbains.
Mon sentiment : il va être un peu prévisible, mais ce sont les rencontres qui font grandir les carrières. Dans un monde ultra-ouvert et digitalisé, rien ne nous empêche de rejoindre l’agence de nos rêves à 400km parce qu’on nous a donné une opportunité d’y aller. Il faut surtout cultiver son savoir-être, sa créativité, sa passion, son réseau. Si on donne le meilleur de soi, notre meilleur tremplin de carrière, c’est nous-même.
Enfin, cette « enquête » est complétée par la prise de parole de Julien Simons, Creative Director chez Marcel.
Les arguments de Julien Simons (agence Marcel)
JUPDLC : Vos expériences professionnelles se concentrent à Paris. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette ville ?
Julien Simons : La réponse est assez simple : je suis né à Paris. J’y ai passé toute ma scolarité, et y ai effectué tout mon parcours professionnel. Même si j’adore m’échapper du tumulte parisien, je suis profondément amoureux de cette ville. Comme le dit le PSG, « Paris est magique ». On peut y faire ce qu’on veut quand on veut, même si je ne trouve pas toujours le temps d’en profiter !
JUPDLC : Vous avez travaillé dans six grandes agences de communication (COANDCO, Leo Burnett, TBWA Paris, Saatchi & Saatchi, Buzzman et Marcel). Pouvez-vous nous détailler votre parcours ? Toutes ces expériences professionnelles sont-elles le fruit de « charbon », de rencontres et/ou d’opportunités, notamment géographiques ?
Julien Simons : C’est un mélange d’un peu tout ça. Pour vous expliquer mon parcours, petit retour en 1997 : en primaire, j’étais plutôt assis au fond de la classe et j’ai toujours aimé dessiner. Le week-end, j’aidais mes parents qui tenaient un salon de coiffure près de l’école des Gobelins (l’école des métiers de l’image).
Hasard du destin mais le jour des portes ouvertes de l’école, je devais faire – comme à mon habitude – beaucoup de bêtises, et mon père a décidé de m’y envoyer pour avoir la paix une heure ou deux. J’en suis ressorti cinq heures plus tard, des étoiles plein les yeux. Je voulais faire « je ne sais pas quoi mais une école de dessin c’est vraiment trop bien ! » À ce moment, j’étais à l’école Sœur Rosalie et je vous laisse imaginer la réaction de mes professeurs quand, au moment de l’orientation, je parlais d’école d’art qui n’avait pour eux « AUCUN débouché ».
Par chance, ma professeur d’arts plastiques et ma professeur de maths ainsi que mes parents m’ont soutenu dans ce choix d’orientation. C’est donc en arrivant à Renoir que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à l’école et à travailler. Pas trop tôt à 15 ans ! Je sortais d’un milieu scolaire assez strict, et je me suis retrouvé dans un lycée à l’autre bout de Paris dans une ambiance qui baignait dans le hip-hop et le graffiti. Tous mes meilleurs souvenirs d’école sont là-bas !
J’ai ensuite continué sur un BTS Communication Visuelle où j’ai pu commencer à toucher à la publicité. Enfin, je suis passé par l’École Supérieure des Arts Modernes avec une alternance chez Co&Co. Durant cette période, j’ai beaucoup échangé avec ma prof de pub, Martine Collet, une ancienne membre du Club des AD, et j’étais fasciné par tout ce qu’elle me racontait sur le milieu de la publicité. Même si mon alternance était top, je ne rêvais que des grandes agences dont elle me parlait…
Avec son aide, j’ai réussi à rentrer en stage chez Leo Burnett, et à peine passé le pas de la porte j’ai su que j’étais à ma place. Je ne quittais pas l’agence le soir sans avoir déposé une idée de print ou de script sur le bureau du DC. Ces premiers pas étaient vraiment magiques mais on ne parlait que de TBWA à l’époque, qui venait d’être agence de l’année à Cannes pour la 4ème ou 5ème fois. J’ai été pris pour un stage de 6 mois. J’étais très naïf à l’époque et je pensais pouvoir travailler sur de belles campagnes comme j’en voyais dans les magazines ou les livres de festivals, mais je passais le plus clair de mon temps à faire des sets de plateaux McDo ou des déclinaisons. Grosse désillusion, mais cela m’a donné encore plus de rage et d’envie dans mon travail.
J’y ai aussi rencontré mon premier rédac, Anthony Clouet, avec qui j’ai obtenu mon premier CDI chez Saatchi & Saatchi. Une très belle expérience qui m’a ouvert les portes de mes premières « vraies » campagnes. J’ai ensuite participé au premier speed dating de la création organisé par DDB, l’équivalent de la Creative Connection aujourd’hui. J’y ai rencontré Georges Mohammed-Cherif, avec qui le feeling est immédiatement passé et qui a apprécié mon book. Pourtant sur le moment, je n’étais pas super-emballé, je n’avais jamais entendu parler de Georges et Buzzman n’avait que 4 mois… C’est drôle de se dire ça aujourd’hui !
J’ai vu l’agence et la famille Buzzman se construire petit à petit et même si le travail y était dur, j’y ai appris énormément de choses. La couleur de ma carrière créative ne serait pas la même sans Georges. J’y ai aussi rencontré Xavier Leboullanger, avec qui nous avons partagé presque 10 ans de vie professionnelle chez Buzzman puis chez Marcel, où nous sommes arrivés en team créa. C’est grâce à Xavier que nous avons pu rencontrer Iona MacGregor, Directrice Associée chez Marcel à l’époque, puis Sébastien Vacherot, ainsi que le boss de fin Pascal Nessim. C’était en 2011 et nous pensions rester trois ou quatre ans afin d’étoffer notre book ! 11 ans après, on est encore là et DC depuis bientôt 8 ans…
JUPDLC : Aujourd’hui, vous êtes chez Marcel, une agence qui compte plus de 200 employés. D’où vient cet attrait pour les grands groupes ? Pourquoi y travailler ?
Julien Simons : Ce n’est pas vraiment un attrait pour les grands groupes, même s’il y en a quatre dans mon parcours professionnel. C’est surtout l’attrait pour les personnes que j’ai pu rencontrer qui ont poussé mes choix de carrière. Même si Marcel compte plus de 200 employés, c’est une grande famille de 200 « copains » qui œuvrent pour faire la meilleure création possible. Je me réveille tous les matins heureux de les retrouver et d’avoir des personnes si talentueuses à mes côtés. C’est sans doute ce qui fait de Marcel l’une des meilleures agences de Paris !
JUPDLC : Pensez-vous, Frédéric, que les plus « grosses agences » rassemblent les « meilleurs créatifs » ?
Frédéric Le Gall : Tout dépend de ce que l’on fait comme métier. Chez LORD, le nôtre est de créer des marques et de les déployer sur le web. Les agences de branding les plus cotées du moment ne sont pas les Big agency ! On confond souvent agence branding, agence de com, agence de pub… Marcel, Buzzman, F&F etc. sont des agences de pub talentueuses mais nous ne faisons pas le même métier. Pour moi, la meilleure agence de branding du moment, c’est Collins aux US.
Nous avons créé chez LORD plus de marques que toutes celles précédemment citées en 2022. Et je pense que c’est leur talon d’Achille : être à l’écoute des nouvelles entreprises (startup ou pas) qui deviendront les futurs nouveaux annonceurs. Si ces agences veulent préparer l’avenir, elles devraient réfléchir à la façon dont on attire les Doctolib, Swile, Lydia, ibanfirst, Deskeo, BlaBlaCar etc.
Les meilleurs créatifs ne sont pas que dans les agences précédemment citées : ils sont partout !
JUPDLC : Pourquoi faire de la publicité votre métier, Julien ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce milieu ?
Julien Simons : Pendant mes premières années d’études j’aimais vraiment toutes les matières, le dessin, la typo, la photo, etc. Puis, quand j’ai commencé mes premiers cours de création publicitaire, je me suis rendu compte que la publicité regroupait tout ce que j’aimais. Elle offrait la possibilité de toucher à tout type de création ! Des plus « classiques » évidemment – avec du film ou du print – aux plus originales : imaginer et composer l’hymne d’un nouveau pays pour Granola (le Granoland), réaliser une expérience gaming dans Fortnite pour Oasis, faire rapper Bigflo et Oli pour Axe, ou même créer un stand pour Poudlard au salon de l’étudiant pour la sortie du jeu Hogwarts Legacy. Quand j’ai commencé, il n’y avait que trois supports (print, TV, radio), alors que mon quotidien aujourd’hui est rythmé par le brand content, le gaming, l’IA… C’est juste incroyable !
JUPDLC : Selon vous, faut-il voir Paris comme un tremplin pour s’y faire une place ? Un investissement pour son futur, aujourd’hui ?
Julien Simons : Étant né à Paris, je ne suis pas le mieux placé pour répondre à cette question. Mais au vu de la mixité géographique que l’on retrouve chez Marcel, je pense que c’est un passage obligé. Nous avons la chance d’avoir dans notre agence des créatifs issus de toute la France et de l’International, pas nécessairement formés à Paris, mais qui cherchent à s’épanouir et se mesurer à ce qu’il se fait de mieux en termes de création.
Ainsi, chaque parcours est différent. Et si la ville de Paris est un excellent tremplin pour se faire une place en agence, elle n’est pas la seule option. Il est possible d’exceller dans ce domaine ou de se faire ses propres armes, en dehors de la capitale. Tout dépend de votre projet, de vos ambitions, ou encore de vos attentes personnelles.
Dans tous les cas, Excelia Digital School se donne pour mission de vous préparer au mieux à ces carrières.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur sa page école dédiée !