Cette année 2024 a connu un contexte sportif très marquant : les Jeux olympiques et paralympiques, à Paris. À cette occasion, les marques ont su saisir leurs opportunités, changeant la manière de percevoir et de s’approprier le marketing sportif.
Sponsoring, publicité, influence ou activations… De plus en plus de marques dépassent cette approche axée sur la performance en adoptant une dimension davantage multiculturelle et sociétale du sport. Un animé pour célébrer les 120 ans du Real Madrid en France, ou encore une campagne pour Netflix sport choisissant de révéler les histoires cachées derrière le sport plutôt que ses résultats… De nombreux exemples permettent d’identifier l’évolution des conventions et ainsi réinventer les approches en matière de marketing sportif.
Afin de dévoiler le nouveau maillot d’Arsenal (club de football anglais), l’agence MNSTR et la marque d’équipementier adidas réalisent « Lundun Callin’ » : une campagne social media participative avec le streamer Grimkujow. L’objectif ? Mettre en avant la fusion croissante entre le sport et la culture pop chez la Gen Z française, de plus en plus difficile à captiver et à engager.
Voyons plus en détail le déroulé de cette campagne in english, ainsi que l’évolution du marketing sportif avec Guillaume Carrère, DGA et directeur du planning stratégique de l’agence MNSTR.

MNSTR et adidas ont trollé les fans d’Arsenal
Pour cette campagne, l’agence et la marque sont parties de 2 postulats : la Gen Z française penserait que la culture anglo-saxonne est à la mode… Mais qu’elle aurait aussi un peu de mal avec la langue de Shakespeare.
Alors pour le lancement de ces nouveaux maillots et pour troller les fans : « Lundun Callin’ » is in the place ! Le but ? Testez votre meilleur anglais grâce à un Gunner (supporter du club d’Arsenal).
Une chasse aux indices avec Grimkujow
Et oui, en plus d’être bon en anglais il faut aussi être un vrai détective ! Afin d’annoncer la campagne, un teaser a été diffusé sur les comptes Instagram du streamer Grimkujow et de adidas. La marque d’équipementier sportif a donc donné des maillots d’Arsenal au streamer pour les faire gagner à sa communauté.
Comment ? En récoltant les indices semés sur le canal de diffusion de la marque. Durant 3 jours, des énigmes ont été dévoilées toutes les deux heures pour permettre aux fans de trouver LE mot de passe. C’est d’ailleurs la première fois qu’adidas intègre la fonctionnalité des « Canaux de diffusion » pour la réalisation entière d’une campagne. Un calcul en note vocal, un indice à trouver sur Google Maps ou encore sur Vinted : il fallait épier internet. À la clé, des maillots mais aussi des tickets pour le North London Derby, la célèbre rencontre opposant Arsenal et Tottenham : les clubs de football du nord de Londres.
Cette activation a rassemblé une vraie communauté de fans puisqu’au total 30 000 participants et 3 millions d’impressions ont été constatés.
Entretien avec Guillaume Carrère, DGA et directeur du planning stratégique de MNSTR.
JUPDLC : Qu’avez-vous remarqué de différent entre le marketing du sport avant et celui de maintenant ?
Guillaume Carrère : La principale différence est la professionnalisation toujours plus importante du secteur. Il y a beaucoup plus d’acteurs qui se positionnent sur ces sujets (en matière de sponsoring, de relations avec les athlètes, d’agences créatives spécialisées, etc.) mais aussi toujours plus de marques et de partenaires qui souhaitent s’emparer de cette thématique dans leur communication. De la lessive aux plus grandes griffes du luxe, en passant par les grands équipementiers sportifs : toutes les marques tentent de s’approprier les valeurs du sport et s’arrachent ces athlètes vedettes. L’enjeu est de parvenir à émerger dans un océan de prises de parole sportives, très souvent substituables les unes aux autres. Ce qui peut apparaître comme une difficulté, est en réalité une formidable opportunité pour réinventer nos pratiques et de repenser nos discours. L’objectif étant d’apporter toujours plus de créativité et de singularité aux marques.
JUPDLC : Comment voyez-vous l’évolution du storytelling de marque dans le secteur du sport ?
Guillaume Carrère : On observe un élargissement croissant de la portée culturelle du sport, qui ne s’adresse plus uniquement aux puristes. Le sport et ses valeurs dépassent désormais le cadre strict de la performance pour s’inscrire dans la vie quotidienne des gens. Le succès des séries documentaires sportives sur Netflix ou YouTube, telles que Drive to Survive, Tour de France, ou encore Kaizen d’Inoxtag, en est une parfaite illustration. En découvrant les coulisses de ces sports et les histoires humaines qui se cachent derrière, un nouveau public développe un intérêt pour des disciplines qu’il ignorait jusqu’à présent. De nouveaux fans et de nouvelles communautés émergent, entrant dans l’univers du sport par des voies inattendues, tout en s’appropriant ce domaine à travers des codes culturels inédits.
Les récents succès des événements sportifs portés par des streamers – Eleven All Stars, GP Explorer, Kings League, Pétanque Explorer – ainsi que l’expansion continue de l’esport, illustrent aussi cette fusion entre le sport et la culture du gaming, permettant de rendre le sport plus interactif et conversationnel. Cette évolution offre un double avantage pour le storytelling de marque : aborder le sport sous un angle nouveau et, surtout, toucher des audiences inédites. L’enjeu pour les marques est de savoir comment connecter le sport à toutes les dimensions de la culture populaire.

À découvrir sur JUPDLC
JUPDLC : Quelles sont les tendances émergentes selon vous ?
Guillaume Carrère : La première – qui va dans le sens de ce que l’on disait précédemment – est que le sport est plus culturel que jamais. Les marques qui tireront leur épingle du jeu seront celles capables de connecter le sport à d’autres territoires culturels afin de créer des croisements qui offriront un nouveau regard sur le sport. Par exemple : capitaliser sur l’animé, consommé par les fans de foot, pour célébrer le Real Madrid avec adidas. Ou encore, s’appuyer sur l’essor de la culture britannique en France (mode, séries, musique) pour défier les Français sur leur niveau d’anglais avec Arsenal. La pertinence culturelle devient le nouvel indicateur de performance dans le marketing sportif.
La deuxième tendance concerne le nouveau rôle des athlètes. Aujourd’hui sursollicités, ils prêtent leur image à une multitude de marques, saturant ainsi le paysage publicitaire. Mettre en scène un athlète ne suffit plus pour émerger. D’autant plus qu’ils sont devenus des marques à part entière, avec une présence sociale et un accès direct à leurs communautés, faisant d’eux des médias puissants. On voit de plus en plus de marques créer des rôles sur mesure pour les athlètes ou les surprendre en les mettant en scène à contre-emploi. Par exemple, Jules Koundé, icône de mode devient, le temps d’une campagne, co-designer d’un maillot exclusif avec la « queen » de la broderie sur maillot, Football Gal. On peut également évoquer le joueur norvégien Erling Haaland, qui a surpris tout le monde en faisant son entrée dans le jeu Clash of Clans avec un personnage créé spécialement pour lui.
La dernière tendance concerne la dimension sociétale portée par le sport, prenant une place toujours plus importante. À travers le sport et ses représentations, c’est toute une société qui se donne à voir. Les grands événements sportifs, les marques et les athlètes ont une responsabilité dans les imaginaires qu’ils convoquent et qu’ils peuvent parfois bousculer.
Prenons l’exemple du repositionnement d’Asics autour de la santé mentale, avec sa plateforme « Sound Mind, Sound Body » qui fait du sport une source de bien-être avant tout. Plus récemment, les Jeux paralympiques de Paris, à travers leurs campagnes de communication, ont su réveiller le soutien de tous les Français pour leurs athlètes en ne tombant pas dans le piège des approches présentant les athlètes comme des super-héros. Les jeux ont ainsi bousculé les imaginaires liés au handisport et ont plus largement amené à s’interroger sur la place des personnes en situation de handicap dans notre pays.
« adidas s’est ainsi adressé aux fans de foot sans avoir à parler uniquement de foot. »
JUPDLC : En quoi la campagne avec adidas participe à cette nouvelle ère du Marketing Sportif ?
Guillaume Carrère : En illustrant parfaitement cette multiculturalité que doivent incarner les marques de sport pour élargir leur portée, adidas s’est ainsi adressé aux fans de foot sans avoir à parler uniquement de foot. Nous sommes bien loin des approches traditionnelles qui utilisent les joueurs dans des campagnes statutaires, mettant en scène gestes techniques et autres actions spectaculaires. À l’inverse, nous avons cherché à connecter la marque à une tendance issue de la culture de la Gen Z pour réveiller la passion autour d’un club mythique comme Arsenal. Dans notre cas précis nous avons capitalisé sur une tension culturelle française : la nouvelle génération est férue de culture anglo-saxonne et plus particulièrement londonienne (rap, musique, mode, séries TV etc.), malgré un niveau de la langue de Shakespeare qui continue d’être plus que mauvais.
JUPDLC : Pourquoi avoir choisi le streamer Grimkujow pour cette campagne ?
Guillaume Carrère : Dans cette démarche de connecter le club à la culture Gen Z, nous souhaitions sortir le foot de ses représentations habituelles. Notre campagne est imprégnée d’humour, de culture internet, de références, de mèmes, de trolls et d’une bonne dose d’autodérision. Le choix de Grimkujow – qui, je le rappelle, est le roi du flop – s’est imposé naturellement dès les premières discussions créatives que nous avons eues, d’autant plus que sa communauté nous a permis de toucher une audience plus large. Elle nous a aussi permis d’ancrer adidas et Arsenal de manière légitime sur un territoire humoristique où la marque était peu présente. Qui de mieux que lui, avec son anglais approximatif (sorry Grim), pour lancer en collaboration avec un vrai gunner à l’accent britannique impeccable, nos énigmes vocales à déchiffrer ?

JUPDLC : Quels étaient vos objectifs sur cette campagne et ont-ils été atteints ?
Guillaume Carrère : L’objectif était de mettre adidas et le nouveau maillot d’Arsenal au cœur des conversations sociales de la rentrée. En passant d’une logique de drop à une logique de quête sociale qui introduit un enjeu – comprendre ce que dit ce vrai gunner – nous avons transformé un lancement produit en véritable défi communautaire pour les consommateurs. Au total, plus de trois millions de vidéos ont été vues et près de 30 000 joueurs ont participé à notre opération. Sur toute la période, plus de 120 000 interactions ont été générées. C’est l’opération la plus engageante de la marque cette année, preuve s’il en fallait une, que même le vocal peut créer une connexion unique avec ses audiences.
JUPDLC : Quel est, selon vous, le plus grand défi auquel le marketing sportif sera confronté dans les années à venir ?
Guillaume Carrère : Je pense que le plus grand défi sera celui de la saillance et de la différenciation. Comme mentionné précédemment, le marketing sportif évolue vers une professionnalisation accrue, avec une concurrence toujours plus forte. Le véritable enjeu sera donc d’adopter des approches singulières, capables de révéler les postures des marques tout en les connectant à leur époque. Certaines d’entre elles n’hésiteront probablement pas à aller vers des discours plus radicaux pour se démarquer.
Un bon exemple est Nike, avec sa nouvelle plateforme Winning isn’t, qui affirme clairement que « non, gagner n’est pas fait pour tout le monde ». Avec une pointe d’humour, ils n’hésitent pas à présenter leurs athlètes comme des méchants de films de superhéros, impitoyables envers leurs adversaires et prêts à tout pour gagner. Récemment, la marque a même lancé une campagne de running sans montrer un seul athlète en train de courir. À la place, on voit des personnes en tenue de ville se déplacer difficilement (descendant des escaliers ou essayant de s’asseoir avec peine), paralysées par des courbatures, qu’on devine être dues au marathon de la veille. Cet insight – qui peut sembler négatif pour des coureurs novices – est en réalité très parlant pour les véritables marathoniens, qui connaissent parfaitement cette sensation post-course. Cela renforce le sentiment d’appartenance à cette communauté.
Nike s’éloigne volontairement des approches consensuelles que l’on a vu se généraliser chez les plus grandes marques de sport. La marque ne tente pas de convaincre tout le monde mais fait le choix de porter une vision volontairement clivante qui parle à tous.

Pour en savoir plus sur MNSTR, rendez-vous sur sa page dédiée !