11 ans d’existence, on aurait presque du mal à le croire ! Créé en 2011, Twitch est longtemps resté l’apanage des gamers avertis. Avec les années, la figure du geek évoluant, les marques ont commencé à regarder d’un œil curieux ce réseau où des utilisateurs sont prêts à payer pour suivre des contenus exclusifs de leurs streamers préférés. Il faut dire que depuis de nombreuses années, les chiffres parlent d’eux-mêmes, l’industrie vidéoludique est le secteur culturel le plus dynamique, loin devant l’industrie du cinéma et de la musique. En 2013 en France, ce secteur générait 2,7 milliards d’euros, en 2020 c’est près du double avec 5,3 milliards d’euros.
Du coup, la curiosité s’est peu à peu muée en intérêt comme le prouve en 2014 le rachat de la plateforme par Amazon. Bien aidé par les confinements successifs, Twitch est aujourd’hui un réseau social mature et grand public que de nombreuses marques investissent pour des activations social media. En 2022, la plateforme revendique près de 1,51 million de visiteurs uniques par jour et ces utilisateurs passent en moyenne 6,5 heures par mois devant leurs écrans.
Au-delà des chiffres, pour un profane, la logique d’un tel réseau peut sembler loufoque. Des amateurs de jeux vidéo regardent d’autres amateurs en train de jouer aux jeux vidéo. Sauf que Twitch est bien plus que cela. C’est un lieu de sociabilisation et de divertissement pour une jeune génération à la recherche d’une alternative au média télévisuel. Bien qu’elles soient largement majoritaires, les vidéos de gaming ne sont plus le seul format de Twitch. On y trouve dorénavant des talkshows, des interviews, des formats IRL (« in real life »), des revues de presse… Des formats dans lesquels on peut aborder différents sujets. Si bien que désormais le monde politique, la presse audiovisuelle et écrite, le monde du sport (foot, F1, etc.) et bien entendu les marques, se bousculent au portillon pour investir le réseau.
Attention cependant à ne pas se précipiter. Sur Twitch, 70% des utilisateurs ont entre 16 et 34 ans. Ils sont particulièrement hermétiques au marketing invasif et à la pub traditionnelle. Avant de se lancer, une marque doit bien comprendre les codes du réseau et la logique d’engagement et de solidarité de ses utilisateurs. Pour les pousser à suivre régulièrement une chaîne, il faut offrir aux viewers des émotions, de l’inattendu, des compétitions, des fails en tout genre et des exclusivités. Et le bon moyen d’y parvenir est de monter une activation avec un streamer connu. Pour établir ce classement, nous n’avons pas simplement regardé la popularité d’une chaîne, mais plutôt la convergence entre l’activation d’une marque et l’univers du streamer.
Twitch : 10 des streamers incontournables
1. Gotaga, le numéro 1 en France
De son vrai nom Corentin Houssein, c’est actuellement le streamer le plus suivi sur Twitch avec 3,6 millions d’abonnés. Très respecté sur la plateforme du fait de son ascendance avec l’e-sport, Gotaga a remporté de nombreuses compétitions notamment sur les jeux populaires comme Call Of Duty ou encore Fortnite.
Pour diversifier ses contenus et chouchouter ses abonnés, le jeune homme n’hésite pas à inviter souvent des personnalités venant d’autres horizons. Ce fut le cas le 2 février dernier, quand le streamer a réalisé une émission avec un de ses fans, le rappeur Vald, qui a interprété en live et en exclusivité deux morceaux inédits de son album “V” qui sortait deux jours plus tard. Un teasing efficace aux allures d’une réunion entre copains à mille lieues des circuits traditionnels de promotion musicale.
2. Squeezie, le vidéaste précoce
C’est à l’âge de 15 ans en 2011 que Lucas Hauchard se lance sur YouTube pour parler principalement de jeux vidéo. Deux ans plus tard, sa chaîne dépassait déjà le million d’abonnés. Depuis, Squeezie a adopté la technique de la diversification pour pouvoir toujours proposer à son audience de la nouveauté. En 2019, il crée sa marque de vêtements, l’année suivante, il se lance dans la musique avec son premier album Oxyz et cette année doit sortir une BD qu’il a coécrite sur le thème de l’horreur. Infatigable, le streamer est devenu une icône multiplateforme que les marques s’arrachent pour son fun et son sens de la narration. C’est certainement ce qui a dû séduire Vivo. Début 2021, la marque de smartphone a enrôlé le vidéaste pour devenir son ambassadeur. Une information que Squeezie a, bien évidemment, révélée en exclusivité à ses 3 millions d’abonnés lors d’un live Twitch.
3. ZeratoR, l’initiateur du Z Event
Adrien Nougaret se fait un nom dans l’univers vidéoludique au début des années 2010 en commentant différentes compétitions d’e-sport, notamment sur le jeu Starcraft. Habitué depuis très tôt à l’art oratoire, ZeratoR anime avec passion sa communauté de 1,3 million d’abonnés afin que chaque minute de direct soit un spectacle. En 2017, il cofonde avec son ami et streamer Dach, le Z Event. Un événement caritatif qui réunit la crème des streamers durant tout un week-end afin de récolter des fonds pour une association. En 2021, ce marathon de stream a réussi à récolter plus de 10 millions d’euros pour l’association Action contre la Faim. Grâce au Z Event, Twitch s’est imposé depuis comme la plateforme idéale pour réaliser ou communiquer sur des opérations caritatives.
4. Maghla, l’oasis féminine
Bien que l’audience se féminise petit à petit, fin 2021 près de 67% des utilisateurs de Twitch étaient des hommes. Spécialisée d’abord dans les jeux vidéo d’horreur, Maghla propose désormais des contenus plus variés (FPS classique, Animal Crossing…) à ses 635 000 abonnés. Misant sur l’humour et la spontanéité, cette streameuse est un excellent point d’ancrage pour des marques à destination des femmes. Fin 2021, la streameuse a animé une émission spéciale en partenariat avec Sephora. Durant ce Maghla Xmas Show, des invités de l’univers de YouTube et Twitch (Sora, Brawks…) ont échangé en toute décontraction autour du thème du maquillage. Au programme : débats, défis de maquillage sous la forme de cosplay et quizz. Une opération qui a réuni près de 30 000 viewers uniques.
5. Domingo, le créateur du talkshow PopCorn
Moins formatée, plus interactive et créative pour la jeune génération, la plateforme Twitch est assurément la télévision de demain. Depuis 2019, Pierre-Alexis Bizot, plus connu sous le pseudo de Domingo, en est persuadé puisqu’il transpose les préceptes du talkshow sur le réseau avec son émission PopCorn. Tous les mardis, il anime un live où il invite un streamer afin de parler d’actualités et de culture web. Avec une audience moyenne de 30 000 viewers, c’est un des programmes réguliers les plus suivis du réseau.
Pour élargir sa stratégie d’influence, généralement axée autour des célébrités ou des athlètes, adidas a organisé en 2021 avec le streamer trois lives 100% sport. Baptisée « L’échapée », ces émissions voyaient s’affronter 8 personnalités du réseau, habillé pour l’occasion de la marque à trois bandes, dans une course de cyclisme en ligne. Commentés par Domingo, ces lives ont rassemblé en moyenne 200 000 viewers. adidas prouve que Twitch permet également à une marque de sortir de sa zone de confort en se rapprochant au plus près de la réalité, à savoir que nous ne sommes pas tous des grands sportifs bodybuildés.
6. Sardoche, le joueur salé
Ses 1 173 000 abonnés le savent très bien. Lorsque Sardoche, Andréas Honnet dans le civil, perd une partie de League of Legends ou de Rocket League, il le fait savoir… Les pétages de plomb de ce joueur e-sport sont devenus tellement mythiques qu’il existe des compilations sur YouTube à ce sujet. Dans l’univers du gaming, quand un joueur perd, on dit qu’il est « salé », si bien que Sardoche est surnommé sur le réseau comme le « roi du sel ». Début 2021, le maire de Guérande, Nicolas Criaud, saute sur l’occasion en le taquinant sur Twitter sur le thème des marais salants de sa ville. Pas mauvais joueur, sur ce coup, le streamer doit se rendre à Guérande en juin prochain afin de réaliser une vidéo pour promouvoir le tourisme dans cette presqu’île auprès des jeunes. Twitch au service du marketing territorial, qui l’eût cru ?
7. Gastronogeek, la slow TV food
Bien connu des geeks gourmands, le cuisinier Thibaud Villanova a écrit de nombreux livres (300 000 exemplaires vendus) ayant pour thèmes la nourriture inspirée de la culture pop. Des plats végétariens issus de l’univers Star Wars, des cocktails sous forme de potions de jeux vidéo, des recettes légendaires en référence à Dragon Ball Z… Sur sa chaîne, il partage à sa communauté de 70 000 abonnés ses facéties gloutonnes et ses conseils de dressage.
Au printemps dernier, Tefal, séduit par le positionnement plutôt rare de ce streamer, a proposé à Gastronogeek d’animer pendant 10 semaines des lives de recettes cuisinées avec le matériel de la marque. Un concept de slow TV à rebours des tutos de snack content façon fast-food qui pullulent sur les autres réseaux. Un bon moyen aussi de prouver que pour séduire les millenials, une marque alimentaire doit aussi savoir les divertir.
8. BoramyGaming, la kawaï attitude
À l’origine star sur YouTube, BoramyGaming est passionné de manga, de cosplay et de tout ce qui a attrait à la culture japonaise. Arrivée sur le réseau en 2020, elle comptabilise déjà plus de 1 million d’abonnés. Sur sa chaîne, la jeune femme réalise des lives autour de jeux à l’univers kawaï comme Pokémon ou encore Animal Crossing. Ce dernier est d’ailleurs devenu un véritable phénomène suite aux confinements successifs, si bien que de nombreuses marques de modes (Valentino, Marc Jacobs, APC…) ont multiplié leurs incursions dans le jeu.
Fin 2020, Nina Ricci établissait un partenariat avec la streameuse afin qu’elle personnalise des aspects de la carte du jeu avec les codes de la marque. Au programme : un showroom virtuel pour présenter des pièces iconiques, une boutique pour découvrir les dernières fragrances de parfum et des événements temporaires comme un marché de Noël et un DJ set. Très actives sur Twitch, notamment sur Animal Crossing, les enseignes de mode ont bien compris que la confiance qui relie un streamer et son audience permet de crédibiliser la promotion des produits d’une marque.
9. Leah Viathan, la spécialiste du jump scare
Aussi bien adepte des open-world (Red Dead Redemption 2) que des jeux de simulation (Gas Station), cette streameuse anglaise divertit sa communauté grâce à sa locution rapide et ses « jump scare ». Une aubaine pour Pringles qui s’est servi de sa frousse légendaire comme rampe de lancement pour une campagne publicitaire. En plein live du jeu d’horreur West of Dead, un zombie est apparu par surprise pour venir s’emparer de la boîte de Pringles posée sur le bureau de la streameuse. Sursaut, cri, effroi… Le chat de Leah Viathan s’emballe d’un coup, le buzz est créé et de nombreuses connexions affluent vers sa chaîne. Avec une audience de « seulement » 173 000 abonnés, Leah Viathan n’est pas la plus grosse streameuse outre-Manche, pourtant Pringles a prouvé que pour réussir sur Twitch, il fallait avant tout faire coïncider le message publicitaire et la personnalité du streameur.
10. Jiraya, la proximité sans détour
Bien que les sessions de gaming soient énormément appréciées, il faut savoir que la fonctionnalité la plus populaire sur le réseau est le Just Chatting, un live pendant lequel un streamer discute avec sa communauté sur des thématiques larges et variées. Adepte de cette pratique, Jiraya échange plusieurs fois par semaine avec ses 522 000 abonnés afin de renforcer ce lien de proximité. Pour promouvoir ses deux gammes Brookie et Brownie, la marque Brossard a réalisé avec le streamer une activation fin 2021 sur le jeu de réalité virtuelle Hado Sport.
Après avoir invité trois de ses compères de la plateforme (Xari,Junpei et Norman Genius), Jiraya a constitué deux équipes qui se sont livrées en live à ce drôle de jeu qui consiste à toucher ses adversaires avec des boules d’énergie fictives. Pour parachever l’opération, Jiraya n’a pas manqué de débriefer cette opération avec sa communauté lors d’un… « Just Chatting ».
Twitch, « the place to be » pour les marques
Vous l’aurez compris, Twitch est un puits de créativité et d’activations qui ont du sens ! Un réseau auquel l’école ISEG sensibilise ses étudiants. Coralie Comblez, intervenante à l’ISEG, titulaire d’un Ph.D en Sociologie et Consultante en marketing digital a d’ailleurs répondu à nos questions sur le sujet !
JUPDLC : Est-ce que pour vous Twitch est en train de ringardiser définitivement la télévision auprès de la jeune génération ?
Coralie Comblez : De manière générale, il est assez aisé de dire que la télévision n’est plus du tout un média privilégié par les jeunes générations, avant même l’émergence de Twitch. La manière de consommer du contenu aujourd’hui est tout à fait différente et est liée à deux types de phénomènes : l’explosion du streaming et le rapport au temps face à la digitalisation.
D’une part, le format statique qui a fait émerger les réseaux sociaux dans leur ensemble, à savoir la photo, s’est petit à petit effacé au profit de la vidéo. D’abord sur des formats courts, telles que les Stories Snapchat puis celles Instagram, puis sur un format plus long, comme l’IG TV, les Reels et le contenu qui émerge sur Tiktok. YouTube a su également tirer profit de ces évolutions, en allongeant également ses formats et en se rendant suffisamment indispensable. Par la suite, ce sont les plateformes de streaming telles que Netflix ou désormais Amazon Prime Video ou Disney + qui paraissent les plus attractives auprès des cibles jeunes, qui petit à petit semblaient plus familiers aux systèmes de Video On Demand. La raison est simple : pouvoir choisir le contenu que je veux visionner quand je veux, où je veux, sans dépendre de la programmation.
D’autre part, YouTube, et désormais Twitch, ont la force de pouvoir s’accaparer le monopole de l’attention. Lorsque l’on est sur Twitch, non seulement l’attention est focalisée sur le contenu en lui-même, en Live la plupart du temps, mais en plus j’ai la possibilité d’interagir en direct avec l’intervenant ou le reste de sa communauté via des commentaires et des tchats. Au-delà de maintenir l’engagement d’une communauté pour son contenu, cela donne la possibilité aux internautes de participer à leur manière, et ajoute une dimension ludique à la consommation d’un contenu vidéo : cela maximise le divertissement et permet d’interagir avec encore moins de barrières que sur les autres plateformes.
JUPDLC : Pourquoi est-ce important de sensibiliser très tôt les étudiants aux codes de ce réseau ?
Coralie Comblez : Les étudiants doivent se former au plus tôt aux codes de cette plateforme parce que ce n’est pas une plateforme d’avenir, de « demain », mais bien d’ici et maintenant. Amazon l’a bien compris, en rachetant Twitch en 2016, et ne l’a pas fait sans raison. Dans une certaine mesure, le développement par la suite de ses autres fonctionnalités telles qu’Amazon Prime Video et Amazon Music est intimement lié. Le secteur du divertissement représente une attractivité majeure pour les consommateurs, et l’industrie du jeu vidéo par exemple est l’une de celle dans lesquelles les investissements financiers en termes de développement technologique sont les plus colossaux : faire vivre une expérience, réelle ou virtuelle, et gamifier le quotidien est un des buts principaux de la technologie depuis longtemps.
Il se trouve que Twitch, d’abord réservée au secteur du gaming, combine les deux : à la fois la concentration d’une communauté orientée autour des jeux vidéo mais également celles qui se regroupent autour de divertissements divers et variés qui inclut l’expérience par le format vidéo. Même les marques les plus institutionnelles, comme certaines marques de luxe, se sont mises à faire des partenariats avec les jeux vidéo pour s’ancrer dans le quotidien des consommateurs : Gucci avec les Sims 4, Louis Vuitton avec League of Legends, Nina Ricci avec Animal Crossing…
C’est là qu’intervient Twitch : une révolution dans l’industrie du luxe s’est produite lorsque, lors de la Fashion Week de Septembre 2020 et privée de défilés comme toutes les autres marques de mode, Burberry a choisi de faire son défilé en streaming sur Twitch. A ce moment-là, on a instauré la culture geek dans une forme de culture mainstream, et Twitch a commencé à réellement devenir « the place to be » pour les entreprises.
JUPDLC : Comment trouver le bon équilibre lors d’une activation social media sur Twitch entre l’interactivité et la créativité ?
Coralie Comblez : Tout dépend du type d’activation que l’on souhaite réaliser. Généralement, plus on va faire appel à un(e) influenceur(se) qui a l’habitude d’être sur ce média, y diffuse du contenu et connaît les codes, plus il faut lui laisser carte blanche : afin de maintenir l’authenticité et la transparence de la marque, qui sont deux critères primordiaux pour les nouvelles générations et très attendus de leur part. Dans ce cas, le champ de l’entreprise est réduit en termes de créativité mais l’interactivité sera forte.
En revanche, si l’activation social media Twitch se base plus sur de l’interne ou du Native Content, la marque possède un périmètre beaucoup plus large en termes de créativité et doit penser à se focaliser sur un contenu qui lui soit propre : il y a une certaine continuité dans les attentes des internautes sur Twitch vis-à-vis du contenu d’une chaîne. L’objectif ici est de se démarquer en proposant du contenu intéressant, dynamique et spécifique, mais dont le message et les codes sont clairs et intuitifs. Après, l’aspect communautaire fera le reste : Twitch, c’est une plateforme qui fonctionne beaucoup sur le système de teams, de leagues, et donc sur la recommandation. Une personne appréciant un contenu va faire rentrer une autre personne de son groupe pour lui faire découvrir : cela fonctionne généralement sur un système pyramidal.
Pour en savoir plus sur l’école ISEG, rendez-vous sur leur page école dédiée !