Bien que l’opinion des Français sur les influenceurs reste mitigée, on ne peut nier leur poids sur les décisions d’achat, les comportements ou encore les façons de penser, notamment des jeunes. En effet, ces créateurs de contenu apparaissent comme des acteurs clés dans la prise de parole sur des sujets essentiels. Surtout à l’heure où tout passe par les réseaux sociaux et où les publics attendent plus d’authenticité, d’engagement ainsi que de proximité. Dans un contexte de marketing d’influence plus éthique, responsable mais aussi plus réglementé, les influenceurs ont un rôle à jouer dans le changement de paradigme et la sensibilisation des audiences. Mais, lequel ? Quel est l’impact de ces profils ? Pour quelle(s) prise(s) de parole ? Les influenceurs sont-ils légitimes sur toutes les problématiques sociétales actuelles ? Comment peuvent-ils aider les marques à aborder des thématiques qui suscitent souvent l’appréhension, à l’instar de la mixité, du harcèlement ou de l’écologie ? Pour le découvrir, nous avons sollicité l’expertise de l’agence social media Tribu, par l’intermédiaire d’Émilie Lecot, Head of influence, et de Jessy Bunel, Influence manager.
Entretien avec Émilie Lecot (Head of influence) & Jessy Bunel (Influence manager) de l’agence Tribu
JUPDLC : L’impact des créateurs de contenu sur les consommateurs est indéniable. Si bien que le marché de l’influence – de plus en plus réglementé – continue d’évoluer de manière fulgurante. La question est donc la suivante : les influenceurs peuvent-ils parler de tout aujourd’hui ?
Émilie Lecot : En effet, les influenceurs sont soumis à de plus en plus de réglementations. Législation, normes des plateformes qu’ils utilisent, éthique personnelle, engagements contractuels avec les marques… En dehors des sujets nouvellement régulés (jeux d’argent, médecine esthétique, etc.), les influenceurs peuvent parler de beaucoup de sujets. Mais ils ne sont pas libres de parler de tout sans penser aux conséquences potentielles que cela pourrait avoir sur leur image, leur communauté ou leurs partenariats commerciaux.
JUPDLC : Selon vous, quel rôle jouent-ils dans notre société ? En quoi leur influence va-t-elle au-delà du domaine du marketing et de la publicité ?
Jessy Bunel : Avant tout, les influenceurs sont des créateurs passionnés qui aiment parler de sujets qui leur tiennent à cœur. Ils ont un rôle de divertissement et de conseil. Les influenceurs peuvent également jouer un rôle de lanceur d’alerte. On l’a notamment vu pour #MeToo, où ils se sont investis en nombre pour la cause avec un vrai effet multiplicateur. Ce sont aussi des ambassadeurs, surtout pour des causes qui leur sont chères. Les influenceurs, comme les micro-influenceurs par exemple, ont des communautés qui leur sont fidèles et qui sont très engagées. Et ce, car ils installent avec elles une relation de proximité. En diffusant ses messages ou ses idées auprès de sa communauté, l’influenceur donne donc un gros coup de projecteur sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Ce qui peut naturellement inciter ses abonnés à s’informer et à agir, même sans leur demander explicitement.
JUPDLC : Comment les créateurs de contenu peuvent-ils contribuer à briser des tabous et lever le voile sur des sujets sensibles comme la mixité, le harcèlement ou l’écologie ?
Jessy Bunel : Les influenceurs partagent très souvent leur quotidien avec leurs abonnés. Beaucoup se dévoilent au travers de vlogs ou même de formats Q&A, pour normaliser leur expérience personnelle, briser les tabous et lever le voile sur des sujets sensibles. Ils peuvent aussi organiser des lives avec des abonnés pendant lesquels chacun prend la parole et donne sa vision des choses, partage son expérience… C’est cet échange humain, authentique et réaliste, qui va créer une vraie proximité entre l’influenceur et sa communauté, un sentiment d’appartenance à un groupe et générer de l’engagement.
JUPDLC : Quels sont les avantages pour une marque de s’associer à des influenceurs pour aborder ces sujets délicats ?
Émilie Lecot : Un influenceur – s’il est bien choisi et s’il a une réelle cohérence avec les valeurs de la marque – peut être intéressant, car il véhicule une image authentique. Sa prise de parole aura donc davantage de poids que celle d’une entreprise qui communiquerait toute seule. Associer son image de marque à celle d’un influenceur se travaille et doit être réfléchi pour porter ses fruits et avoir un réel impact positif. De plus, il peut être assez difficile pour un annonceur d’évoquer un sujet sensible sans avoir l’air « opportuniste ». Certains vont notamment lui reprocher de vouloir faire un « coup de com ». Associée à un influenceur, la marque ne parle donc plus avec sa propre image, mais au travers d’une image moins sujette à un bad buzz.
JUPDLC : Quels sont les travers dans lesquels il ne faut pas tomber ?
Émilie Lecot : Ils sont nombreux mais voici les 4 principaux :
- Numéro 1 : travailler avec n’importe qui, n’importe quand.
Une marque se doit de sélectionner des influenceurs pertinents pour son marché, sa cible et ses objectifs. Il est important de veiller à ce que raconte l’influenceur au quotidien, comment il est perçu par sa communauté, mais aussi au-delà. L’investissement auprès d’un influenceur doit avoir un impact positif sur votre préférence de marque. Côté timing, il est important de profiter de l’influence d’un créateur de contenu lorsque vous êtes prêt et que votre action est bien rodée.
- Numéro 2 : cibler uniquement les stars de l’influence
Il est certain que travailler avec un influenceur star vous offrira une réelle visibilité. En revanche, leur communauté est souvent moins ciblée et engagée. Les partenariats sont également plus nombreux et la cause risque donc d’être un peu dissoute parmi tous les posts commerciaux proposés par l’influenceur. N’hésitez pas à envisager des influenceurs avec des communautés plus réduites comme les middle et micro-influenceurs, qui vous offriront qualité, ciblage et engagement : des avantages non négligeables pour la promotion d’une cause.
- Numéro 3 : travailler avec un influenceur sans brief.
Lorsque l’on parle de sujets sociétaux ou d’une cause en particulier, il est important de fixer quelques règles avec l’influenceur. Bien entendu, il conviendra de le laisser libre dans sa créativité et son opinion, mais n’hésitez pas à lui préciser les éléments que vous souhaitez particulièrement mettre en avant (événements à venir, contact…) afin d’atteindre vos objectifs.
- Numéro 4 : parler d’une cause pour parler d’une cause.
On l’a dit précédemment, l’influenceur permet d’offrir un capital authenticité à la marque. Attention cependant à ne pas vouloir s’engager en faveur de toutes les causes qui peuvent vous tomber sous la main. Elles doivent parler à votre marque et à l’influenceur et l’opération influence doit se faire avant tout pour la cause.
JUPDLC : Les influenceurs sont-ils « légitimes » pour traiter des problématiques sociétales ?
Jessy Bunel : La légitimité est une question complexe, car elle peut susciter plusieurs interprétations. Comme tout citoyen et toute personne publique, les influenceurs peuvent exprimer leur opinion sur les sujets sociétaux et la pluralité des avis peut nourrir un débat. Cependant, en fonction de l’investissement de l’influenceur sur un sujet, on peut soit lui accorder du crédit puisqu’il est réellement engagé, soit noter son manque d’expertise, car il n’est pas expert et peut livrer des informations inexactes ou simplistes. De même, leur influence peut être positive en encourageant l’investissement et la prise de conscience, ou négative si elle tourne à la désinformation ou à la polarisation. La légitimité d’un influenceur à s’exprimer sur des sujets sociétaux dépendra donc de son éthique envers son audience et de sa capacité à traiter ces problématiques avec respect.
JUPDLC : Comment sélectionnez-vous les profils qui sont en phase avec les valeurs que la marque souhaite promouvoir justement ?
Émilie Lecot : Chez Tribu, nous nous appuyons tout d’abord sur notre portefeuille influenceurs. Autrement dit, des personnalités avec qui nous avons l’habitude de travailler et dont nous connaissons parfaitement les valeurs et les engagements profonds. Nous lançons aussi une recherche méticuleuse et sur mesure pour chacun de nos clients afin de trouver de nouveaux profils. Grâce à notre outil, nous allons commencer par regarder les KPIs des influenceurs, mais aussi par analyser la fiabilité de l’audience. Cet indicateur nous permet de détecter si l’influenceur a acheté des abonnés ou s’il a créé sa communauté uniquement à partir de son pouvoir organique. Nous allons ensuite suivre les campagnes qu’il a déjà réalisées avec d’autres marques, analyser ses prises de parole, ses prises de position, sa relation avec ses abonnés… Tout en les comparant avec le brief fourni par notre client afin de voir si la cohérence se confirme ou s’infirme.
JUPDLC : On entend de plus en plus parler d’influenceurs « engagés », « green » ou « responsables ». Voire même « d’éco-influenceurs ». Méritent-ils notre confiance ? Ces adjectifs reflètent-ils réellement leurs valeurs et une prise de conscience, ou sont-ils simplement des étiquettes à la mode sans fondement réel ?
Émilie Lecot : Ces termes restent des opinions et sont donc subjectifs. Il est important de faire ce travail d’investigation pour être sûr que vous partagez les mêmes valeurs « green ». Peut-être que l’influenceur qui affiche cette étiquette, n’ira pas assez loin dans ses engagements, selon vous, et ne sera donc pas le plus adapté pour soutenir votre cause. Notre conseil : vérifiez aussi auprès de l’ARPP si l’influenceur est certifié « influenceur responsable ». Ce dernier aura plus de légitimité à s’engager sur certains sujets.
JUPDLC : Avez-vous des noms à nous recommander ?
Jessy Bunel : Il y a quelques jours, @charlinepradeau et @dragacciii ont posté des vidéos sur TikTok à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre le sida. Une belle opération pour mettre en avant l’accès aux préservatifs gratuits. On ne cite plus @mybetterself (Instagram) et son post sur la précarité menstruelle, il y a quelques années déjà. Concernant le harcèlement scolaire, @tristanmattioli, s’est exprimé également il y a quelque temps.
JUPDLC : Pouvez-vous nous partager un exemple de campagne réussie et qui a eu un impact significatif ?
Jessy Bunel : Le post de Louise Aubery (@mybetterself), précédemment mentionné, sur la précarité menstruelle est le parfait exemple d’une campagne réussie avec un impact majeur. L’idée était simple. Pour chaque partage de son post Instagram en story, l’association Agir Pour la Santé des Femmes se voyait reverser une boîte de protections hygiéniques. Avec plus d’un million de likes sur son post, des articles de presse sur différents sites internet et de nombreuses retombées sur d’autres réseaux sociaux, l’objectif de visibilité de l’association a été largement atteint.
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JUPDLC : Comment mesurez-vous l’impact des campagnes d’influence sur la perception du public vis-à-vis des sujets sociétaux ?
Émilie Lecot : Nous pouvons mettre en place des campagnes de veille suite à la réalisation des campagnes d’influence pour identifier les retombées issues de la prise de parole d’un influenceur. Nous allons mettre en surveillance le hashtag utilisé par la campagne, le nom de l’influenceur sur le web au global pour capter les retombées médiatiques qui pourraient paraître suite à la campagne ainsi que l’évolution des mentions de l’influenceur au moment de la campagne sur les réseaux sociaux. Au-delà du périmètre de l’influenceur, nous allons réaliser une veille marché et totaliser manuellement les retombées qui seront diffusées afin d’analyser l’évolution de l’opinion des publics au sujet de notre enjeu sociétal. Cette veille et cette analyse du marché peuvent s’étaler sur plusieurs mois pour identifier la durée de l’impact de la campagne sur les publics et son évolution.
JUPDLC : Avez-vous un ou plusieurs conseils à donner aux marques qui souhaitent s’engager dans des prises de parole sociétales avec des influenceurs ?
Jessy Bunel : Prenez votre temps. Sélectionnez les bons influenceurs qui correspondent à vos valeurs et n’hésitez pas à créer des partenariats durables avec eux ! Cela aura davantage d’impact sur leur communauté, donnera un plus grand sentiment d’expertise et d’authenticité au public et vous offrira une meilleure visibilité. N’oubliez pas également de laisser la parole à vos influenceurs dans le processus de création d’une campagne : vous ne choisissez pas un influenceur uniquement pour son authenticité, mais aussi pour sa créativité.
JUPDLC : Pour finir, comment voyez-vous l’avenir des collaborations entre les marques et les influenceurs ?
Émilie Lecot : À l’avenir, les marques et les influenceurs vont devoir créer des partenariats plus authentiques. Les influenceurs vont devoir prendre position et sélectionner des produits, des causes en lesquels ils ont confiance. Et ce, car l’attente des communautés est très forte à ce niveau. Proximité, engagement et authenticité seront les maîtres mots de l’influence pour cette année 2024.
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