Digitalisation : quels sont les nouveaux défis des médias traditionnels ?

En collaboration avec ISCPA
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Comment aurait réagi Schumpeter en voyant l’arrivée d’internet ? Le père de la théorie de la « destruction créatrice » aurait-il su rassurer les médias ? 25 ans après les débuts de l’internet grand public, les médias traditionnels ont-ils réussi à faire face à l’avènement du numérique ? Comment les plus grands groupes télé, presse et radio se sont-ils réinventés ? Ont-ils réussi leur digitalisation ? Quels nouveaux business models ont-ils développés pour s’adapter à la nouvelle distribution de leurs contenus (Google, Facebook…) ?

Dans cet article, on parle de la digitalisation des médias, de ce qui a été fait, et de ce qui reste à faire !

 

La digitalisation, ça veut dire quoi ?

La digitalisation d’un service, d’après le Larousse, c’est le « processus de transformation des services (financiers, commerciaux) d’une entreprise, par un recours accru aux technologies de l’information ». Pour votre banque par exemple, c’est le fait de vous proposer un site internet ou une application, où vous pouvez consulter vos comptes, imprimez vos RIB, effectuez vos virements tout seul.

Cette définition de la numérisation (le nom français officiel de la digitalisation), nous l’avons trouvée… en ligne ! Et elle nous offre un bon exemple d’une entreprise (Larousse) qui a été obligée de se digitaliser et de faire évoluer son business model. En effet, la vente de dictionnaires est en baisse depuis des années (48% perdus depuis 2008), depuis l’arrivée du CD-Rom en 1989. Depuis, les dictionnaires comme Larousse ou le Petit Robert offrent aussi des versions numériques (sites internet accessibles à tous), financées par la publicité et proposent aux abonnés d’accéder à des versions sans publicité.

Et pour les médias écrits comme les magazines, les journaux ou les médias vidéo, quelles ont été les conséquences de la digitalisation, souvent vécue comme forcée ?

 

La digitalisation des radios

Dans Good Morning England, la radio pirate émettait librement depuis un bateau. En France, les radios libres sont « nées » en 1981, et les premières webradios sont apparues au début des années 2000. La plus emblématique, c’est Arteradio.com, qui émet en ligne depuis 20 ans déjà (lancée en 2002). Plus besoin d’un poste de radio : les radios ont investi le digital, soit en créant leurs propres applications comme RFM, Nostalgie, France Bleu pour écouter les programmes en direct, soit en intégrant des applications qui regroupent toutes les radios, comme Radioplayer ou TuneIn.

De septembre 2020 à juin 2021, près de 3 Français sur 4 ont écouté la radio selon les chiffres de Médiamétrie. Avec 8,3 millions d’individus qui écoutent la radio sur des supports numériques chaque jour, la digitalisation des radios est en bonne voie.

Si le standard est toujours là et que les auditeurs peuvent toujours passer à l’antenne (sur France Inter le matin, ou dans l’émission de Difool sur Skyrock), les radios ont bien compris l’intérêt d’avoir des oreilles et une présence sur… les réseaux sociaux. Ainsi, chaque jour, l’équipe du Virgin Tonic de Manu Payet propose des sondages et la dénommée Ginger a les yeux rivés sur les réactions des auditeurs sur Twitter. Un bon moyen d’utiliser les réseaux sociaux pour faire la publicité de leur émission.

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Face à la montée en puissance des podcasts – l’étude CSA/HavasParis, et, PodInstall montre qu’en 2 ans, l’écoute des podcasts a pris 10 points d’évolution entre 2019 et 2021 et désormais 1 Français sur 3 entre 18 et 64 ans écoute un podcast – les radios se sont mises à la page pour être elles aussi disponibles partout. Désormais, tous les programmes sont disponibles très rapidement après leur diffusion, en podcast, de la plus petite chronique à l’émission phare de Fabrice Drouelle, Affaires sensibles, le podcast le plus écouté de France. Le mot-clé, c’est la délinéarisation : chaque auditeur peut écouter son replay quand il le souhaite.

Aussi, la publicité n’est plus à heure fixe sur les radios, mais se trouve directement sur les sites des radios. Les diffuseurs de podcasts expérimentent avec la publicité pre-roll, mid-roll, post-roll et même native, ou avec l’abonnement, de nouveaux business models. Quant aux enceintes connectées, elles vous offriront souvent un spot publicitaire avant de vous servir la voix de votre animateur préféré.

Mais le plus grand défi des radios dites « traditionnelles », aujourd’hui, reste de toucher les jeunes. Car si la radio est toujours écoutée, par qui l’est-elle ? L’audience des stations historiques est vieillissante. « En dix ans, les stations françaises ont perdu 1 250 000 auditeurs de la tranche 13-24 ans », expliquait Emmanuelle Le Goff, de Médiamétrie en 2021. « Comment séduire les jeunes, cette cible présente sur les réseaux sociaux mais qui n’a pas la “culture radio” sous la douche ou avec le café du matin pour démarrer la journée ? ». Parmi les nouveaux territoires que la radio explore, on trouve les relais sur les réseaux sociaux comme Twitter, Snapchat et, bien évidemment, les plateformes comme Deezer, Spotify ou Apple podcasts offrent de belles opportunités. Le online sauvera-t-il l’un des medias phares offline ?

 

La digitalisation de la télévision

Au début était la télévision linéaire, avec ses speakerines et ses programmes en noir et blanc. Et la nuit, plus rien, fin des émissions. Puis les émissions de télé-achat sont venues remplir les cases vides d’abord aux États-Unis puis en Europe.

Désormais, les grilles de programmes des chaînes de télévision sont constamment remplies et proposent des émissions 24/24h. L’adoption de la digitalisation de la télé s’est faite en plusieurs étapes : d’abord est arrivé le replay (la catch-up télé, ou télé de rattrapage). L’avantage des programmes de replay chez TF1, M6 et le service public a été la collecte massive de données, lors de l’inscription obligatoire des internautes. C’est cette data qui permet par la suite le ciblage précis, la personnalisation des publicités proposées aux internautes avant, pendant et après leurs programmes.

Les émissions en direct sont aussi impactées par la digitalisation : vous connaissez probablement l’acronyme ATAWAD (anytime, anywhere, any device), qui vise à rendre accessibles tous les programmes n’importe quand, n’importe où et sur n’importe quel support numérique, qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone.

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Crédit Photo : Unsplash / Jonas Leupe

La tendance actuelle avec les télés connectées sera le décrochage régional, local des publicités, comme en radio. Cette nouvelle étape de digitalisation de la télé consistera à passer sur des publicités TV segmentées, adressées, adressables ou ciblées : tous ces synonymes désignent le fait que votre voisin fan de NFT ne verra pas les mêmes pubs que votre mère ou que votre grand-mère (les données personnelles, géographiques, sociodémographiques seront transmises aux régies publicitaires par les opérateurs des box, avec votre accord).

Nous avons retenu deux stratégies intéressantes depuis la mise en place progressive de la digitalisation des médias. Une première stratégie a été utilisée notamment par les séries 10 pour cent sur France 2 et En thérapie sur Arte. Ces deux séries « offraient » la possibilité aux internautes de regarder les épisodes en ligne, avant la diffusion linéaire en télé. Objectif double atteint : générer des inscriptions sur les espaces membres (collecte de data) et « générer le buzz » ! Les « early adopters » regardent les épisodes en ligne, en parlent dans leur cercle social et sur les réseaux sociaux, aidant les séries à faire de meilleurs démarrages au moment du « direct ».

Une seconde stratégie observée avec la digitalisation de la télévision est la création et la diffusion de contenus supplémentaires dédiés aux plateformes en ligne. Une émission comme The Voice proposait dès 2012 des interviews exclusives des talents, en ligne sur le site MyTF1 et sur les réseaux sociaux. Cela permettait de prolonger l’émission.

Enfin, depuis quelques années, la télé doit faire face aux assauts de concurrents qui semblent mieux partis sur le digital : Netflix, Amazon Prime, Disney+. Malgré deux grands coups signés en 2021 (Friends the Reunion et la diffusion de And Just Like That, la suite de Sex and the City), la riposte française Salto n’atteint pas encore des taux de pénétration suffisants et la fusion TF1-M6 inquiète quant à l’avenir même de Salto.

Au fond, comme pour la radio, la digitalisation de la télévision ressemble à un prolongement naturel, liée aux nouvelles technologies. Qu’en est-il de la presse ?

 

La presse face à la digitalisation

Finie l’époque de Tintin reporter avec son carnet en main. Disparue la figure du journaliste, cigarette à la bouche, qui tape sur sa machine à écrire. Quel est l’avenir pour les journalistes ? Le journaliste d’aujourd’hui et de demain doit être connecté à sa cible, et c’est notamment pour cela que dès 2013, Jeff Bezos rachetant le Washington Post, déclarait à sa newsroom : « Le business du journal papier est en déclin structurel. Vous devez penser à une cible plus jeune et rendre l’expérience plaisante pour les tablettes. »

A l’occasion de la conférence sur la formation des journalistes de demain, organisée en décembre dernier par l’ISCPA Paris, Frédéric Abecassis, son directeur de la communication, précise : « Cette table ronde a mis en avant la nécessité de s’adapter aux supports digitaux consommés par les 15-24 ans, à savoir la vidéo (le succès d’Hugo décrypte en témoigne) et les réseaux sociaux (Emmanuel Macron n’hésite d’ailleurs pas à utiliser YouTube, Twitch ou TikTok pour s’adresser aux jeunes) ».

 

Le modèle freemium, financé par la publicité

En tant que consommateurs, nous avons tous pris une mauvaise habitude au début du web : nous nous sommes habitués à consommer du contenu gratuit. Les géants de la presse française se sont digitalisés de manière forcée au début, avec cette crainte de devoir tout offrir gratuitement. Les revenus publicitaires générés en ligne peinaient à compenser la perte des ventes physiques (achats quotidiens ou abonnements).

Puis le sujet a été pris au sérieux par toutes les rédactions : le journalisme est un métier sérieux et l’information a un prix. Face à la presse traditionnelle, des « gratuits » financés par la publicité sont distribués à la sortie du métro : 20 Minutes, Metro et Direct Matin (qui deviendra CNews). Pour survivre à cette digitalisation, la presse a mis en œuvre différentes stratégies pour améliorer son business model. Par exemple de nombreux sites proposent 5 articles gratuits par mois (Wired, Washington Post, Libération, …) avant de bloquer l’accès aux articles afin de promouvoir les offres d’abonnements.

Sur des sites comme L’équipe, le Figaro ou le Monde, une autre stratégie est à l’œuvre : vous n’avez accès qu’à un nombre restreint de contenus : 80% des articles sont réservés aux abonnés. On parle du modèle freemium : seuls quelques articles généralistes sont disponibles, sans limite. Mais les articles les plus intéressants sont réservés aux abonnés.

 

Les abonnements numériques : la version premium qui déverrouille les contenus

Pour passer au niveau supérieur d’information, les médias proposent des abonnements : vous pouvez recevoir votre quotidien en version numérique ou avoir accès à l’ensemble des contenus depuis votre espace abonné. Ces abonnements permettent d’avoir accès à tous les articles réservés aux abonnés, souvent du travail journalistique sérieux, sourcé et fact-checké, ils sont donc plus poussés que les articles disponibles à tous. Le Monde a ainsi communiqué sur ses chiffres fin 2021 : le volume total d’abonnés a dépassé en décembre 2021 la barre du demi-million, avec 501 000 abonnés, dont 414 000 exclusivement numériques : 80% des abonnés ne reçoivent pas le format papier. Et avec la pandémie, les achats au numéro et les abonnements ont bondi. Selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) : entre juillet 2019 et fin juin 2020, les titres de presse grand public ont progressé de 18,9 %, contre une augmentation de 3,5 % sur la période 2018-2019.

L’abonnement numérique ne suffira pas à garantir les revenus des titres de presse à moyen ou long terme. Si on a beaucoup parlé du succès des mastodontes comme le Washington Post (3 millions d’abonnés) et du New York Times (6 millions d’abonnés), les titres locaux eux, se meurent en silence ou survivent artificiellement grâce aux aides de l’état.

Et il semblerait que l’option groupée d’abonnements sur les kiosques numériques comme Cafeyn ne permette pas aux titres de presse d’être assez rentables.

Cafeyn est un kiosque numérique : sur son app, vous pouvez lire tous les titres de presse en version numérique. Plus de 1 600 titres de presse sont disponibles pour 9,99€ par mois, dont Libération, Marianne, L’Express, Le Point, Première, So Foot, La Tribune, L’Equipe, Le Parisien, etc. En tant que média, les titres perçoivent peut-être moins que s’ils vendaient leur abonnement en direct au lecteur et certains titres qui ont tenté ce « Spotify de la presse » souhaitent désormais reparler « en direct » à leurs abonnés. Début 2022, le quotidien L’Equipe mène son combat pour rompre son contrat avec Cafeyn (contrat qui court jusqu’en août 2022). L’hebdo Le Point, lui aussi, mettra prochainement fin à l’expérience pour apporter au lecteur une édition numérique « enrichie de photos et d’illustrations, un PDF et une offre de jeux », déclare son PDG Renaud Grand-Clément à Stratégies.

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Crédit Photo : Cafeyn

 

Les nouveaux relais de croissance pour générer encore plus de revenus

L’information n’est pas gratuite et une des batailles à mener pour la presse sera celle face aux GAFAM, notamment Google Actualités et Apple News+ (pas encore disponible en français). En France, en Allemagne, en Australie, Google doit faire face à des procès pour abus de position dominante. Le géant du numérique, qui indexe les contenus des journaux, est accusé de refuser de payer les éditeurs à leur juste valeur.

En quête de croissance, les groupes de presse, durement attaqués par la consommation purement digitale des internautes les plus jeunes, tentent de s’adapter. Le Monde, en tête, séduit en janvier 2022 1,47 million d’abonnés sur Snapchat, et 492 000 sur TikTok. Sur les modèles des pure players Konbini, Brut ou Hugo décrypte, des rédactions sérieuses sont forcées d’adapter leurs formats au snack content plébiscité par la génération Z.

Outre les notifications qui incitent à lire l’actualité la plus fraîche, on assiste au grand retour de la newsletter. Bien rédigées, celles-ci sont d’excellents vecteurs de trafic vers les sites des titres de presse. La newsletter n’est d’ailleurs plus depuis quelque temps un simple outil pour générer du trafic pour les grands titres de presse : certains médias n’existent QUE sous forme de newsletter. On pense au succès de MyLittleParis, de TTSO (Time to Sign Off) ou des 5 Bullets Friday, la newsletter de Tim Ferriss aux États-Unis. Un outil comme Substack permet désormais à tous les créateurs de contenu de créer leur newsletter et de proposer des abonnements aux lecteurs.

Tous les médias se sont donc adaptés avec plus ou moins de succès au numérique, qui a remis en question l’ensemble des business models en place. Les changements dans les comportements de consommation questionnent également la présence de la publicité et l’utilisation qui est faite des données, notamment chez les jeunes générations. Autant de contraintes qui ont obligé les médias à faire des choix entre le premium et le freemium. Aujourd’hui, l’avenir des médias est flou et l’on peut se demander si la rentabilité de ces nouveaux business models sera au rendez-vous.

 

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